Hier soir, la salle du Cercle d’Evires avait du mal à contenir toutes les personnes venues se renseigner sur le futur collisionneur du CERN. Si le projet n’est pas encore suffisamment connu au-delà des initiés et des habitants directement concernés par le tracé, pour celles et ceux qui se sont renseignés, la pilule a encore beaucoup de mal à passer. Il va falloir que le CERN, dont le porte-parole était présent ce jeudi, fasse preuve de bien plus de dialogue et de pédagogie s’il compte obtenir l’acceptation de son projet par la population :
Le FCC, un grand projet pas comme les autres
Dans le langage des militantes et militants, l’acronyme GPII est bien connu depuis quelques années. Celui-ci désigne les « Grands Projet Inutiles et Imposés », de grandes infrastructures promues par les pouvoirs publics et/ou des entreprises privées accusées de détruire l’environnement sur l’autel de l’argent, en étant imposées aux habitants sans réelle concertation. L’aéroport de Notre Dame des Landes, le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, le Lyon-Turin, etc. Plus près de nous, le défunt vélodrome Arena[1] qui était prévu à La Roche-sur-Foron relevait typiquement du GPII pour ses nombreux opposants. Bien souvent, si l’aspect « imposé » est difficilement contestable tant la population est rarement concertée, le côté « inutile » peut lui être au cœur de débats sans fin. Et il semble que ce soit le cas du Futur Collisionneur Circulaire du CERN[2], ce FCC qui commence à être célèbre en nos contrées.
Rappelons les faits : le FCC, ou Futur Collisionneur Circulaire, est un projet ambitieux du CERN visant à construire un nouveau type d’accélérateur de particules. Il s’agirait d’une gigantesque machine, bien plus grande que le collisionneur actuel, le LHC (Large Hadron Collider), avec un tunnel prévu de 92 kilomètres de circonférence censé passer sous Genève, l’Ain et la Haute-Savoie[3]. Enfoui à environ 240 mètres sous terre, d’un diamètre de forage de 6,5 mètres, avec 8 puits de surface prévus, dont 7 en France d’une emprise au sol d’au moins 5 hectares chacun, le FCC prévoit au bas mot 10 ans de travaux à partir de 2030 pour un budget global de dizaines de milliards d’Euros (ou Francs suisses), sans doute 60[4]. Un très grand projet donc, sans doute le chantier du siècle, mais dont l’utilité réelle est difficilement contestable pour qui n’est pas physicien au fait des subtilités de la matière et de l’infiniment petit. Car le FCC permettrait de disposer d’une énergie près de dix fois plus importante que celle du LHC actuel, constituant ainsi un extraordinaire « microscope » afin de sonder le cœur de la matière et les origines de l’univers. Même les profanes peuvent finir par s’extasier sur un tel projet à vocation de recherche fondamentale, loin des grands projets bêtement commerciaux habituels.
Evires à guichet fermé
Ce jeudi 12 septembre à 20h, ni la nuit tombée ni le froid très précoce de ce début septembre n’ont freiné les ardeurs à venir se renseigner sur ce projet de collisionneur. La petite salle du Cercle, sise juste en face de l’Eglise d’Evires, avait beaucoup de mal à contenir les quelques 160 personnes présentes, venues pour certaines de l’autre bout du département. Il faut dire que les réunions publiques organisées depuis quelques mois par l’association Action Contre Les Atteintes Au Sous-Sol (ACLASS) et le collectif Co-CERNés[5] côté haut-savoyard, avec l’association Noé 21[6] côté genevois, connaissent un franc succès de fréquentation[7]. Preuve que le sujet intéresse, et peut-être surtout que les gens ne sont pas réellement informés.
Le déroulé est désormais bien rodé, avec la présentation par Jean-Bernard Billeter, ingénieur membre de Noé 21, sur les immenses impacts engendrés par le futur chantier, sur le territoire, sur la transition énergétique et sur le climat, avant les aspects plus opérationnels pour les propriétaires concernés par le tracé, notamment juridiques, présentés par Elisabeth Charmot, venue exprès du Chablais. Beaucoup de personnes critiquent le gigantisme du projet et son décalage avec les priorités actuelles, tant sociales qu’environnementales, à la fois devant l’assemblée et depuis la salle. Tant et si bien qu’après deux heures de critiques acerbes contre le projet de FCC, Arnaud Marsollier, le porte-parole du CERN présent dans la salle, n’a pas la tâche aisée. Bien rôdé aux affres de la communication, ce dernier insiste sur le fait que « ce projet n’est pas décidé, on a le temps pour en discuter », tentant même un « vous avez raison ! ». Une intervention qui ne semble pas vraiment convaincre l’assistance, dont certains se montrent particulièrement véhéments à l’encontre du représentant du CERN.
Même si le projet n’en est encore qu’à sa phase de prospection, comme ne cessent de le clamer ses thuriféraires, les inquiétudes et la colère parfaitement perceptible encore hier soir n’en sont pas moins immenses, de la part d’habitantes et habitants d’un territoire, la Haute-Savoie, qui finissent par saturer, entre le mal-logement, le sur-tourisme et une économie genevoise en surchauffe qui ne cesse d’attirer du monde et d’exacerber les inégalités. Le FCC, sans doute une formidable machine sur le papier, mais loin d’être une priorité pour les personnes présentes hier soir à Evires. Et la résistance semble bien ne faire que commencer.
Quant à Arnaud Marsollier, il a peut-être médité cette citation de Flaubert en rentrant chez lui : « L’avenir est ce qu’il y a de pire dans le présent. »
Camille Content
[1] Relire sur le sujet nos nombreux articles dont celui-ci : https://librinfo74.fr/velodrome-arena-retour-sur-le-soir-ou-la-democratie-locale-a-dit-non/
[3] Lire notre dernier article sur le sujet : https://librinfo74.fr/futur-collisionneur-du-cern-une-premiere-operation-seduction-face-aux-critiques-qui-montent/
[4] Lire par exemple https://www.lemessager.fr/649321329/article/2024-08-06/une-nouvelle-petition-mise-en-ligne-par-le-collectif-co-cernes
[5] Voir https://www.facebook.com/COCERNes/
[6] Voir https://www.noe21.org/
[7] Lire notamment notre 1er article sur le sujet : https://librinfo74.fr/futur-collisionneur-du-cern-un-grand-projet-inutile-au-nom-de-la-science-2/