Ce 24 avril, le CERN organisait sa première grande réunion publique dans ses locaux en banlieue de Genève afin de présenter son projet de futur collisionneur et commencer à répondre aux nombreuses questions qui se posent face à un tel projet. Deux heures de pédagogie scientifique et technique très instructives, mais qui n’ont visiblement pas suffi à calmer la colère et les inquiétudes exprimées par un certain nombre d’habitants concernés par le tracé et de citoyens dubitatifs sur la priorité d’un tel projet. Or le compte à rebours est bel et bien lancé :
Meyrin, commune d’environ 26 000 habitants, en périphérie ouest de Genève et accolée à l’aéroport international, est bien embouteillée ce mercredi sur les coups de 17h30. Une situation banale à cette heure-ci, moment de la journée où beaucoup de frontaliers quittent leur travail genevois pour rentrer en France, vers le Pays de Gex et bien au-delà. Néanmoins en ce 24 avril, l’afflux de véhicules est également dû à la réunion publique organisée par le CERN à partir de 18h pour présenter au grand public son futur collisionneur circulaire, le FCC, qui commence à faire parler de lui sur le territoire et suscite de nombreuses inquiétudes et interrogations.
Répondre aux inquiétudes du terrain
En effet, ce gigantesque projet concocté par le prestigieux centre de recherche est l’objet depuis plusieurs semaines de réunions publiques réunissant plusieurs dizaines, voire centaines d’habitantes et d’habitants, curieux et pour beaucoup inquiets concernant les nombreux impacts du futur collisionneur sur le territoire. Après une première réunion qui avait fait salle comble à Annemasse en octobre 2023[1], organisée par l’ONG genevoise Noé21[2], d’autres ont suivi depuis, à Reignier-Esery[3], Thorens-Glières, Genève ou encore Bonneville la veille au soir. Ce 23 avril dans l’Agora de Bonneville, même en soirée et en pleine période de vacances scolaires, plus de 100 personnes avaient fait le déplacement, à l’invitation de l’Université Populaire locale[4], pour écouter la présentation du chantier du futur collisionneur faite par l’ACASS (« Action contre les atteintes au sous-sol »).
A chaque fois, ce qui semble marquer le public est l’ampleur du chantier prévu pour le FCC et les nombreux impacts environnementaux que celui-ci entraînera sur le territoire. Evidemment, un tunnel de 91 km de circonférence, enfoui à environ 240 mètres sous terre, d’un diamètre de forage de 6,5 mètres, avec 8 puits de surface prévus, dont 7 en France d’une emprise au sol d’au moins 5 hectares chacun, c’est à minima 10 ans de travaux, sur un territoire comme la Haute-Savoie où la pression foncière est d’ores et déjà exacerbée[5]. C’est donc peu dire que ce mercredi le CERN est attendu au tournant. De nombreux habitants concernés, ainsi que quelques maires et élu.es locaux, avaient donc fait le déplacement jusqu’à Meyrin pour écouter la première présentation publique organisée par le centre de recherche lui-même sur son futur collisionneur.
Deux heures de pédagogie scientifique et technique
Le CERN avait donc pour l’occasion « mis les petits plats dans les grands » afin d’accueillir les près de 300 personnes ayant fait le déplacement dans son auditorium du Portail de la science. Un tout nouvel espace conçu par le célèbre architecte Renzo Piano et inauguré quelques mois plus tôt, le 7 octobre dernier[6]. Le porte-parole du CERN, Arnaud Marsollier, accueille les visiteurs et promet dès son discours d’introduction que la réunion publique de ce soir n’est que la première d’une longue série, faite surtout d’après ses dires pour : « informer, écouter et entamer le dialogue », insistant sur le fait que nous ne serions encore « qu’à mi-parcours de l’étape de faisabilité du projet ». Puis c’est au tour de Raphaël Bello, directeur des finances et des ressources humaines, de revenir sur l’histoire du célèbre centre de recherches, insistant lui-aussi sur la nécessité du « dialogue qui fait partie de l’ADN du CERN », semblant dès à présent anticiper les nombreuses inquiétudes qui risquaient de remonter de la salle.
Christophe Grojean, physicien théoricien, monte ensuite sur scène pour plus d’une demi-heure de présentation passionnante, bien que complexe pour les profanes, sur les origines de l’univers, la composition de la matière et les recherches effectuées par les machines du CERN. On y apprend notamment que le FCC constituera une nouvelle « frontière d’intensité » franchie et qu’il pourra réaliser en 2 à 3 minutes l’ensemble du programme du LEP[7], le prédécesseur du LHC actuel. Des chiffres qui donnent le vertige. Johannes Outleber, coordinateur du projet FCC, d’origine autrichienne, présente ensuite l’ensemble de l’étude de faisabilité menée par le CERN depuis … 2014, avec les quelques 100 scénarios d’implantation étudiés et tous les impacts environnementaux calculés, largement minimisés dans sa présentation.
Puis une table ronde prend place, avec à nouveau Raphaël Bello, mais également David Chevallier, le délégué d’Auvergne-Rhône-Alpes de la CNDP[8], et Sylvain Ferretti, le directeur général de l’office de l’urbanisme de Genève. Heureusement que la journaliste Domitille Arrivet modère le débat, seule femme de cette soirée entre hommes qui peut donner l’impression que la physique fondamentale est affaire de testostérone. « Dialogue, écoute, échange, faisabilité, opportunité… », pendant près de deux heures, c’est bien le champ lexical de la concertation qui a été choisi par le CERN, selon une « opération séduction » rondement menée. Ce qui n’empêche pas de nombreuses mains de se lever depuis la salle à la fin de cette présentation.
Une acceptabilité encore loin d’être gagnée
Et les questions posées démontrent plutôt l’existence de nombreuses inquiétudes et interrogations sur l’ampleur du projet, en particulier l’absence d’information jusqu’à présent d’une grande partie de la population, malgré les velléités affirmées de transparence du CERN. Alors que des réunions publiques sont organisées avec les élus locaux, au moins une cinquantaine depuis deux ans d’après Raphaël Bello, ces derniers n’ont pas été prompts à communiquer sur le sujet auprès de leur population. Il faut dire que les travaux ne commenceraient pas avant 2030, alors que les prochaines élections municipales auront lieu en 2026.
On apprend également par la bouche de monsieur Bello qu’il n’y a pas de plan B en cas d’impossibilité de réalisation du FCC. LE CERN risquera simplement de s’éteindre, surtout face à la Chine qui a également un collisionneur dans les tuyaux. Le chantage à l’emploi et à la compétitivité internationale, une petite musique déjà entendue.
Peu après 20h30, la soirée se termine et les discussions continuent sur le parking, de la part d’habitants de Cercier, Fillière ou encore la Roche-sur-Foron pas vraiment convaincus par cette opération séduction du CERN. Une réunion n’y suffira pas. « Faisabilité » et « opportunité » peut-être, mais en matière d’acceptabilité, il y a visiblement encore « loin de la coupe aux lèvres. »
Le CERN pourra toujours méditer à toute fin utile l’interrogation de Baudelaire : « Et à quoi bon exécuter des projets, puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante ? »
Camille Content
[1] Lire notre précédent article : https://librinfo74.fr/futur-collisionneur-du-cern-un-grand-projet-inutile-au-nom-de-la-science-2/
[2] Voir https://www.noe21.org/
[3] Lire notre article : https://librinfo74.fr/futur-collisionneur-de-plus-en-plus-de-monde-con-cern-es-et-consternes-2/
[4] Voir https://www.upbonneville.fr/
[5] Voir le site du CERN : https://www.home.cern/fr/science/accelerators/future-circular-collider#:~:text=La%20mission%20du%20FCC%20sera,recherche%20d’une%20nouvelle%20physique
[6] Voir https://voisins.web.cern.ch/fr/le-cern-inaugure-le-portail-de-la-science-son-nouveau-centre-de-communication-grand-public-pour
[7] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_collisionneur_%C3%A9lectron-positron
[8] Commission nationale du débat public, voir https://www.debatpublic.fr/