Les Amis de la Terre dénoncent la création début octobre de neige artificielle sur le Pâquier : « une ineptie contre le développement durable »

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                    Le tremplin haut de 42 m recouvert de neige artificielle

Organisée en 2016 sur la Place des Romains, le Sosh Big Air, une compétition de ski freestyle sur un tremplin garni de neige artificielle, couplé avec le High Five Festival (films sur le ski extrême), serait reconduit avec l’accord de la mairie d’Annecy sur le Pâquier début octobre.

L’organisateur, Sosh, d’Orange, s’explique : « A l’origine, tout est parti du big air. En effet, lorsque le ski freestyle a fait son apparition au programme des X Games, c’était avec une compétition de big air ! C’était en 1999.
Donc le big air, c’est le terreau du ski freestyle ! Et certainement l’une des épreuves les plus spectaculaires. Le tremplin du big air permet aux skieurs de s’envoler, non pas pour défier les lois de Newton, mais pour effectuer des figures. Dans le jargon on appelle ça des « tricks ». Casse-cous pour certains, freestyleurs pour d’autres, les skieurs qui pratiquent ce genre de discipline sont de véritables virtuoses. »

On pourrait croire que cette discipline puisse se dérouler en montagne, la neige étant sur place, normalement. Sosh-Orange, après d’autres villes, a choisi Annecy pour la deuxième année consécutive, la première édition annécienne s’étant déroulée en 2016, place des Romains.

L’organisateur se justifie : « Habituellement sur la neige, le Big air s’invite parfois en ville. On appelle ça simplement un Big Air Urbain. Structure métallique géante, elle se compose des mêmes parties qu’un big air classique, grâce à la neige artificielle. L’ascenseur en plus. Ce genre d’installation a déjà foulé les terres de Zurich, Oslo, Boston, Londres ou encore Budapest. A chaque fois, cela a créé l’Événement. En France, c’est en soi quasi unique. Il y a déjà eu un big air à Marseille en 2002, ou à Grenoble en 2008, mais sur des structures plus petites et dans un format de show et compétition différent. Là, on parle d’une structure XXL qui monte à 42m de haut où on retrouvera les meilleurs skieurs au monde en lice. Bref, Annecy va rentrer dans l’Histoire du ski freestyle. »

 

Une « complicité Orange-Annecy » dénoncée par les Amis de la Terre

                        Eloi Patoureaux (à gauche) et Jean-Marie Hubert

L’argumentaire de l’organisateur fait bondir les militants des Amis de la Terre  qui dénoncent depuis le début ce genre de spectacle.: « On croit rêver, ou plutôt cauchemarder. Cette démonstration entre en complète contradiction avec le développement durable. Il y a urgence à réduire le coût et ces coups de folies dans ce domaine. Et tout ça avec la complicité de la ville d’Annecy. Le 10 mai, nous avons adressé une lettre au maire, Jean-Luc Rigaut, pour dénoncer ce projet. Aucune réponse ».

Déjà en 2016, lors d’une réunion de quartier, ces militants s’étaient inscrits en faux contre cette « gabegie ». Le maire, présent, avait répondu : « Nous avons besoin de tels événements outdoor pour relancer la ville. Tout doit être fait pour favoriser ces activités, créatrices d’emploi et à destination des jeunes »

 

Thierry Billet, le maire-adjoint « écolo » d’Annecy botte en touche.

Alors que la ville se hausse du col quand elle dit travailler sur le développement durable – notamment pour l’incitation à prendre les transports en commun afin de lutter contre la pollution de l’air – elle autorise un tel événement. On peut s’étonner d’une telle contradiction. Quand on regarde la vidéo mise en ligne par Sosh-Orange sur leur site Sosh Big Air, on est pris de vertige en voyant la structure immense, et les riverains doivent investir en boules quies.

Interpellé par les Amis de la Terre, Thierry Billet répond : « Nous vous communiquerons le bilan carbone de l’événement.

Un peu léger comme réponse » répondent les opposants au tremplin.

 

Des infrastructures énormes et atteinte au climat

Ce qui est beaucoup plus lourd, se sont les infrastructures.

Le tremplin recouvert de neige a une hauteur équivalente à un immeuble de quinze étages.

En 2016, pour deux jours seulement, la place des Romains a été privatisée pendant trois semaines, nécessitant le déplacement du marché avenue de Genève. L’échafaudage qui soutient le tremplin haut de 40 m et d’une longueur de 120 m  – soit 300 tonnes de métal et de bois – a entrainé les allers-retours de dizaines de camions diesel et l’utilisation d’une énorme grue de levage diesel. Se sont ajoutées des rotations entre Lyon et Annecy de plus de 25 camions de la société Air Products remplis d’azote liquide, ce qui représente une distance totale parcourue de plus de 7500 km et une consommation de plus de 3000 litres de gasoil brûlés dans l’atmosphère. Le gaspillage polluant s’est poursuivi sur place avec la mise en route de deux énormes groupes électrogènes motopompes diesel. Ils ont fonctionné jour et nuit à plein régime pendant presque 48h afin de monter la neige dite de culture sur l’ensemble du tremplin. Cette neige artificielle a représenté quelque 1500 m3. L’organisateur la qualifie « d’éco-responsable », ajoutant « qu’elle a été réutilisée par les services techniques de la ville. » « La boucle est bouclée. Recyclage impeccable » répond l’organisateur !

 

Les amis de la Terre écrivent au maire

Dans leur lettre envoyée le 10 mai à Jean-Luc Rigaut, les Amis de la Terre dénoncent une privatisation d’un espace public qui ne répond pas à l’intérêt de la population annécienne :

(…) « La « privatisation » de la place des Romains pendant trois semaines n’avait selon vous rien d’exceptionnel, puisqu’elle est utilisée pour la fête foraine ou encore le marché. L’argument est spécieux car cet évènement spectaculaire commercial ne peut en aucun cas être comparée à un marché hebdomadaire bénéficiant à de nombreux acteurs locaux et aux habitants, ni même à un événement annuel habituel et dont les retombées sont elles aussi partagées entre de multiples acteurs, souvent modestes.

Vous mettiez ensuite l’accent sur les retombées induites pour la ville en citant quelques chiffres issus d’une prétendue étude, et vous indiquiez que la ville n’avait pas dépensé le moindre euro, Sosh ayant pris en charge la somme de 800 000 euros pour financer l’événement. En admettant que cela fut vrai, ce n’est pas parce que cela ne coûte rien, que vous ne devez pas être vigilant sur la proposition faite, ses implications et le message qu’elle délivre, désastreux dans le cas présent.  » (…)

 

Pour les Amis de la Terre, la mairie ment quand elle affirme que cela n’a rien coûté aux Annéciens.

Le montant déboursé par Sosh ne pourra probablement pas être vérifié, en revanche, il est clair que le coût pour la ville ne peut pas avoir été nul : elle a fourni l’eau à l’origine de la neige, selon les affirmations de Sosh, elle a également récupéré la neige fondue pour la réutiliser, ce qui n’est pas gratuit. En période d’état d’urgence, il est probable que les forces de police aient été largement sollicitées pour sécuriser l’événement, ce qui n’est pas gratuit. D’autres coûts ont probablement encore été induits comme le nettoyage du site ou la fourniture d’électricité. Comme vous en minimisez les coûts, on peut donc légitimement penser que vous surestimez aussi largement les retombées de l’événement.

 

Une neige « propre ».

Autre argument en faveur de l’événement, que vous avanciez avec un incroyable aplomb : la mise en œuvre d’une neige « propre ».

Produire de la neige en été demande une débauche ahurissante d’énergie et de transports, si bien que c’est un véritable non-sens de qualifier une telle opération de « propre ». Et ce n’est pas l’absence de produit chimique, qui changera cet état de fait, ni même une hypothétique « compensation carbone ». Mais le plus grave est finalement le message sous-jacent délivré par cet événement : celui que produire de la neige en été, c’est techniquement faisable, c’est payé par Sosh, ça fait parler de la ville, alors on peut se le permettre, et peu importe si on dilapide tant d’énergie et de moyens. »

 

Bis repetita en début d’octobre prochain ?

 Se pose la question de la réédition de cet événement gaspilleur prévue du 6 au 8 octobre prochain, cette fois sur le Pâquier, quinze jours après la fin de l’été. « Un non-sens évident. »

« A l’heure où la France s’est engagée à limiter le réchauffement climatique et au vu des objectifs et des moyens affichés par la ville d’Annecy, est-il vraiment opportun d’autoriser à nouveau une telle manifestation ? Dans cette affaire, poursuivent les Amis de la Terre, on fait de la pub à opérateur téléphonique bien plus qu’à la ville ou à la filière. On ruine ainsi tous les efforts de communication déployés sur la nécessité absolue d’économiser l’énergie ou préserver la qualité de l’air. »

 

Les Amis de la Terre entendent mobiliser d’autres associations autour du lac et mener des actions. Parmi celles-ci, ils envisagent de perturber les agences Orange, de faire une large information du public. Les idées ne manquent pas. Ils vont aussi contacter les sponsors de l’événement, peut-être plus proches de la nature qu’Orange. L’organisateur aurait reçu une lettre de leur part dénonçant l’incohérence de l’événement avec la politique de l’engagement RSE et développement durable , de l’entreprise.

Malgré le mutisme des responsables – ville et organisateur – les Amis de la Terre sont déterminés :  « Nous nous opposerons fermement à ce projet et nous comptons rassembler toutes les organisations et personnes qui se sentent concernées par le problème de la qualité de l’air sur le bassin annécien, voire plus largement. Nous renouvelons notre demande au maire de ne plus autoriser la tenue de ce spectacle, ni sur le Pâquier, ni ailleurs. »

Une nouvelle pierre dans le jardin de la ville.

Nous demanderons à l’organisateur et au maire de réagir aux inquiétudes exprimées par les amis de la Terre.

 

Auteur: Loïc Quintin

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