Plus de 200 personnes étaient présentes à Reignier mardi soir lors d’une réunion publique autour des enjeux du FCC, le projet de futur collisionneur circulaire du CERN. Les semaines passent, et malgré le silence de la plupart des élu.e.s et la discrétion du CERN, une mobilisation populaire se met progressivement en place et s’amplifie face à ce gigantesque projet objet de toutes les craintes, sur un territoire d’ores et déjà en surchauffe en termes de pression foncière :
MJC de Reignier le 27.02.2024 ©Camille Content
Il est un peu plus de 20h ce mardi 27 février quand la Grande salle de la MJC de la commune de Reignier-Esery commence à se remplir. Les presque 200 chaises pourtant installées ne vont visiblement pas suffire à contenter tout le monde. Beaucoup de cheveux blancs dans la salle, mais également quelques jeunes qui n’ont pas l’air de s’être égarés. Le thème du débat de ce soir, à l’invitation de l’AERE (Association Environnement Reignier-Esery) suscite visiblement l’intérêt : il s’agit de présenter dans les grandes lignes le Futur Collisionneur circulaire, plus connu sous son acronyme FCC, porté par le Centre européen de recherche nucléaire (CERN)[1]. Fondé en 1954, et situé de part et d’autre de la frontière franco-suisse, à Meyrin, dans la banlieue de Genève, le CERN est un des plus grands et des plus prestigieux laboratoires scientifiques de recherche en physique des particules. Sa réputation n’est plus à faire, notamment lorsqu’un de ses chercheurs, le britannique Tim Berners-Lee, a inventé le Web dans ses locaux en 1989[2]. Si le CERN n’existait pas, vous ne pourriez peut-être pas lire en ce moment cet article sur votre écran. Alors quand ses scientifiques parlent, le monde les écoute.
Un projet victime de son « succès » ?
Aujourd’hui, le centre de recherche est surtout connu pour son LHC (pour « Large Hadron Collider »), le plus grand accélérateur de particules au monde, un anneau de 27 km de circonférence sur la frontière franco-suisse. Le Futur Collisionneur circulaire, (FCC) ferait 92 km de circonférence et viendrait passer sous Genève et les départements de l’Ain et de Haute Savoie, enfoui à 240 mètres sous terre, et dont le diamètre de forage atteindrait 6,5 m. Les travaux débuteraient en 2030 pour que le collisionneur soit opérationnel à l’horizon 2045-2050. La directrice générale du CERN, Fabiola Gianotti, décrivait le projet en ces termes au 19-30 de la RTS (Radio Télévision suisse) le 5 février dernier[3] : « Le FCC sera l’instrument le plus puissant jamais construit par l’Humanité pour étudier les lois de la Nature au niveau le plus fondamental ». Rien que ça ! Le Président français Emmanuel Macron a également abordé le sujet avec elle dans les locaux du CERN lors de son déplacement officiel en Suisse en novembre dernier[4].
Un projet monumental énergivore et polluant
Il s’agira surtout avec le FCC, et c’est ce qui semble particulièrement intéresser les personnes présentes ce soir à la MJC de Reignier, pas toutes spécialisées en physique des particules, d’un des plus vastes chantiers du monde des prochaines décennies, dont les chiffres démesurés défilent sur l’écran lors de la présentation faite par Jean-Bernard Billeter, l’ingénieur suisse membre de l’association Noé 21[5] qui fait le tour des réunions publiques pour présenter le FCC et qui était déjà présent à la réunion publique d’Annemasse sur le sujet le 4 octobre dernier[6].
Faire connaître le FCC auprès des principaux concernés
Les réactions dans la salle ne se font pas attendre, et Chantal Domenge notamment intervient au nom des propriétaires de parcelles concernés par le tracé du futur collisionneur. En effet, le Préfet de Haute-Savoie a signé un décret autorisant les équipes mandatées par le CERN à pénétrer dans les propriétés privées le long du tracé, sans même exiger que les propriétaires soient informés au préalable. Or les impacts d’un tel chantier s’annoncent énormes : des travaux s’étalant sur une dizaine d’années, des milliers de camions supplémentaires chaque jour sur les routes, 9 millions de m3 de déblais issus du chantier qui représenteraient deux fois le volume des grandes pyramides de Gyzeh ou l’équivalent de deux années de déchets de BTP de la Haute-Savoie, qui accueille déjà les déchets suisses, etc. Sans parler de la consommation électrique du FCC, 4 TWH à l’horizon 2050, soit à minima le double de la consommation actuelle de tout le canton de Genève, ce alors que ce dernier est engagé dans une politique publique de sobriété énergétique[7]. Ne parlons même pas du climat, avec une empreinte globale estimée à 90 millions de tonnes de CO2[8].
Alors si avec le FCC, les scientifiques vont pouvoir chercher, les habitants eux, vont surtout « morfler ». C’est le sentiment qui semble le plus largement partagé ce soir à Reignier, comme ce fut déjà le cas le 4 octobre à Annemasse, le 7 février dernier à Choulex, lors d’une précédente réunion publique côté suisse, ou encore le 9 février à la MJC de Thorens-Glières, où pourtant un physicien d’Annecy était venu présenter tout l’intérêt du FCC en termes de recherche. Lorsque les gens découvrent l’ampleur du projet, la plupart des réactions varient entre la colère et la stupéfaction. Comme le résume parfaitement Jean-Bernard Billeter, avec un humour pince-sans-rire, dès que les gens découvrent le FCC, « ils sont concernés et consternés ».
Un cour de vulgarisation scientifique par un chercheur en physique théorique à Annecy, à la MJC de Thorens le 9 février 2024 ©Camille Content
Les associations organisent donc la riposte, autour de Noé21 côté genevois et du collectif Co-CERNés[9] côté français, afin d’informer la population et de porter des recours juridiques contre cette fuite en avant d’un projet qui a sans aucun doute un intérêt scientifique indiscutable, mais pose question en termes éthiques et démocratiques.
Le CERN prêt à échanger avec la population
« C’est pour ça qu’on a envie d’échanger sur le sujet » expliquait Arnaud Marsollier, le responsable des relations presse du CERN, sur France 3 région le 20 février[10]. Dont acte ! Or pour l’instant, le seul rendez-vous prévu par le centre de recherche est une réunion le 24 avril prochain à son siège à Meyrin, entre 18h et 20h. Les inscriptions seront ouvertes le 24 mars prochain[11].
Pas certain que cela suffise à calmer la grogne qui monte. « C’est la réputation du CERN qui commence à en pâtir », comme nous l’explique Elisabeth Charmot, membre de l’association ACPAT[12] et à l’origine des premiers recours.
Bref, même si on ne parle pas ici d’un vélodrome ou d’un centre commercial mais que c’est au nom de la recherche scientifique que le projet de FCC avance, il est en bonne voie pour rejoindre la liste des « grands projets inutiles et imposés » rejetés par une bonne partie de la population et risque même d’en devenir la quintessence par son ampleur.
Si « la science est l’esthétique de l’intelligence » comme l’écrivait Gaston Bachelard, le CERN aurait tout intérêt à revoir sa copie et à organiser très rapidement un véritable grand débat démocratique.
Camille Content
[1] Lire notre précédent article : https://librinfo74.fr/futur-collisionneur-du-cern-un-grand-projet-inutile-au-nom-de-la-science-2/
[2] Lire https://home.cern/fr/science/computing/birth-web#:~:text=Tim%20Berners%2DLee%2C%20chercheur%20britannique,s’%C3%A9changer%20des%20informations%20instantan%C3%A9ment.
[3] Voir https://www.rts.ch/play/tv/19h30-signe/video/19h30-signe?urn=urn:rts:video:14681550
[4] Lire https://www.radiolac.ch/actualite/geneve/emmanuel-macron-visite-le-grand-accelerateur-de-particules-du-cern/
[5] Voir https://www.noe21.org/
[6] Ibid. https://librinfo74.fr/futur-collisionneur-du-cern-un-grand-projet-inutile-au-nom-de-la-science-2/
[7] Lire https://www.ge.ch/dossier/transition-energetique-geneve/defis-objectifs-energetiques-cantonaux/defis-energetiques-du-canton-ses-reponses
[8] On peut trouver tous ces chiffres sur le site de Noé21 : ibid. https://www.noe21.org/
[9] Voir https://www.facebook.com/COCERNes
[10] Reportage à voir ici : https://drive.google.com/file/d/1kofXz-6ah3eOMPgCmFbcZJCLV0rmicdX/view
