Philippe Meirieu répond à la question : « Pédagogie : quels défis pour aujourd’hui ? »

Ce vendredi 22 Septembre, invité par le cercle Condorcet, Philippe Meirieu, chercheur en pédagogie, est intervenu à la salle Pierre Lamy sur le thème : « Pédagogie : quels défis pour aujourd’hui ? ».

L’occasion donnée à ce chercheur en pédagogie, de nous livrer son analyse sur la façon dont l’Éducation Nationale relève ces défis.

 

Quel est le contexte éducatif aujourd’hui ?

Tout est incertain et il devient difficile  de travailler à des perspectives, d’autant qu’il y a des restrictions budgétaires. De nombreux obstacles se dressent pour faire face aux évolutions, décider démocratiquement afin d’être les auteurs de nos propres vies et pouvoir éduquer nos enfants. On eut l’habitude jadis et par une sorte de dévotion de faire confiance à l’institution scolaire; mais seulement 25% des élèves entraient en 6ème.

Maintenant les temps ont changé. La société marchande et individualiste pèse sur les mentalités. La mixité sociale et nos idéaux, héritage de la République sont sacrifiés sur l’autel du libéralisme. Ainsi, 20% des enseignants mettent leurs enfants dans le secteur privé. On assiste à l’externalisation et à la médicalisation précoce de l’échec scolaire, à la création d’officines privées qui se chargent de remédier aux échecs, en spéculant sur le dos des familles. Dans ce paysage social en crise où les services publics se dégradent; tout est fait pour échapper aux règles communes. Ceci a un impact éducatif sur le comportement et le statut de certains enfants.

 

Pourquoi est-il si difficile d’apprendre à penser  pour s’émanciper?

Tout au long des campagnes médiatiques, la machine commerciale et concurrentielle  nous empêche de résister. « La pulsion, le capitalisme devient le légitime ». L’infantile est devenu le mode de fonctionnement de  notre société. Il devient alors essentiel de développer le désir de savoir par la frustration pour que l’enfant parvienne au symbolique, conscientise ce qu’il fait. Comme le mit en œuvre le Dr Janusz Korczak(aussi grand éducateur et écrivain…), au sein de son orphelinat de Varsovie, dès 1912; il faut être capable de sortir du sursis, de l’immédiateté, résoudre les conflits de personnes ou socio-cognitifs. Pour cela, prendre le temps de réfléchir pour ne pas rester prisonnier des idées toutes faites. Les réponses magiques nous empêchent de chercher ou nous enferment dans des certitudes souvent porteuses de violence. On agit alors comme des « bolides »,  le sentiment de fatalité s’installe réduisant la concentration; c’est la loi du plus fort sur le dos des dominés.

 

Assumer la mixité sociale

C’est un thème qui est souvent abordé en haut lieu. On en reste souvent au niveau des mots. Peu de moyens sont mis en place pour la réussite réelle de tous et toutes. Les espaces où l’on laisse les armes à la porte pour entrer dans quelque chose qui fait sens et société sont indispensables pour construire du dialogue, du bien commun, être attentif à la pensée de l’Autre pour surmonter l’obstacle et non rester dans le bouillonnement et la confusion pulsionnelle. Cela a des répercutions sur notre capacité d’attention. Les tests l’attestent, cela diminue notre temps de disponibilité mentale.

 

Alors, comment refonder la citoyenneté?

C’est par des dispositifs collectifs, dans le confrontation au symbolique et à l’objet que l’on apprend à grandir, se dépasser pour franchir les obstacles, mettre en question les idées toutes faites. La multitude des écrans disperse notre intelligence, renforce la toute puissance à rester dans la pensée magique. La citoyenneté prend son envol dans et par le savoir en construction,en élaborant des projets pour chercher des réponses à des contraintes. On existe alors en tant que sujet pour trouver sa place dans le monde, la communauté, sans imposer sa toute puissance. C’est ainsi que l’on évitera de se laisser embrigader en développant son esprit critique. Cela se travaille dès le plus âge sur le mode réflexif. Les pionniers de l’éducation nouvelle et ou populaire comme Célestin Freinet l’ont compris pour que chacun, chacune puisse être amené à exercer des responsabilités. On peut aussi s’appuyer sur la pensée d’Hannah Arendt. Comment passer de la notion de travail à l’œuvre et au chef d’œuvre? De même le brésilien Paulo Freire est précurseur de justice et rompt avec la notion de « pédagogie bancaire ». Il s’agit de se mettre à l’abri de pulsions consommatrices qui fabriquent un monde de bons et de méchants.

 

L’heure est à promouvoir la solidarité

En partageant culture et savoirs; car, tout est parti pour que certains élèves y renoncent et aillent chercher l’addiction et la pratique pathologique de certains sports. La culture sommative/diagnostic de certains types d’évaluation instituée dès le plus jeune âge ne fait que renforcer les fatalités, l’exclusion et la sélection au sein de la société française. Il nous faut nourrir le désir d’apprendre, redonner le goût de faire de belles choses ensemble, où l’éducation populaire prend aussi sa place; sinon il n’y aura pas de réelle citoyenneté et l’on accentuera les clivages culturels et sociaux.

Le riche débat engagé avec la salle  nous a permis non seulement de nous informer, mais de réfléchir pour se questionner, mettre en lumière la situation dans laquelle sont mis les enseignants où l’on « bricole » pour trouver des solutions, car, la formation, l’accompagnement sont insuffisants. L’externalisation parfois médicale des moyens, provoquée par l’institution pour des raisons économiques et budgétaires a aussi  rompu les liens de confiance et de coopération avec les familles en particulier les plus démunies.  Ces dernière sont besoin de se sentir respectées. L’école doit être un « creuset commun » pour que nos enfants puissent devenir de véritables citoyens de la République.

Bibliographie :  « Éduquer après les attentats »-  Philippe Meirieu  Éditions ESF

« Les Règles de la vie »–  Janusz Korczak   Éditions Fabert

Auteur: Colette CHARLET

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