Mai 68, déjà un demi-siècle !

(Expression libre)

A l’occasion des 50 ans des événements de Mai 68, nous vous invitons à apporter votre témoignage sur les changements qu’ils ont, selon vous, provoqués dans la société. Que vous l’ ayez vécu ou non, que représente pour vous Mai 68 ?

Voici une réponse d’un lecteur.

« 2018-1968, 50 ans déjà nous séparent de ces événements dont nous sommes de moins en moins nombreux à pouvoir nous souvenir.

J’étais à la faculté des lettres et sciences humaines de Nanterre, habitant d’une cité d’Argenteuil et j’ai assisté, sidéré, à la révolte de mes camarades, pour la plupart issus des milieux huppés de l’Ouest parisien, de Neuilly et des banlieues résidentielles.

Ce fut une revendication véhémente de libéralisation.

Je me rappelle. A partir de ce moment, quand le professeur entrait dans l’amphithéâtre, les étudiants ne se levaient plus. On pouvait fumer pendant les cours, sortir, rentrer, parler… Ce fut une libération de la parole mais aussi de la sexualité, de la consommation. Et, en particulier, de la consommation de la drogue qui sévissait sans se cacher dans les couloirs de la fac. Ce fut une libéralisation des mœurs.

Les nouveaux philosophes apparurent qui n’étaient nouveaux et philosophes que dans la mesure où ils proclamaient la fin, dans les milieux universitaires, de la prééminence du marxisme et où il préconisaient, dans la société, une nouvelle idéologie dans laquelle l’individu devenait le roi.

« Il est interdit d’interdire » devenait le slogan de cette nouvelle façon de vivre. Une nouvelle ère commençait, culminant peut-être aujourd’hui dans la pénalisation de la fessée, qui refusait l’autorité et s’en remettait à la nature, à l’ordre naturel des choses.

Comme l’explique, dans ses livres, Jean-Claude Michea, le libéralisme économique, qui repose sur la libre concurrence et le libre fonctionnement des marchés, est inséparable du libéralisme des mœurs qui prône la libération des désirs « naturels » de l’individu.

Ce qui est paradoxal, c’est que le soutien au libéralisme économique caractérise essentiellement la politique dite de droite, alors que les partisans du libéralisme moral constituent l’essentiel de ce qu’on appelle les forces de gauche.

Malgré cet aspect antagonique, l’un ne va pas sans l’autre.

Le droit de s’enrichir sans limite, la tendance à supprimer l’autorité de l’État, la volonté de privatiser tous les services que le CNR avait nationalisés en 1945, avec les terribles conséquences que nous pouvons constater aujourd’hui sur la répartition complètement inégale et injuste des richesses, avec la suppression de la notion de solidarité sociale… Ce droit va de pair avec le droit de consommer, également sans limite, avec la revendication d’une société des loisirs.

Le travail est ce qui paye les frais de ce double mouvement.

Pour les tenants du capital, il est toujours trop cher.

Pour ceux qui en vivent, il est toujours trop pénible, il prend trop de temps.

Ce qui en découle est une dévalorisation commune du travail : pour les uns, il faut diminuer le coût du travail, pour les autres, il faut diminuer le temps de travail.

La conséquence est évidente : le travail exploité sera effectué, autant que possible, dans les pays où règne déjà la misère et où les exigences des travailleurs seront les moindres.

Le travail qualifié, moins pénible, sera réservé aux habitants des pays riches tandis que que les moins qualifiés qui ne pourront accéder au marché du travail seront autant que possible maintenus dans les circuits de la consommation, même s’il faut pour cela les conditionner à une austérité de plus en plus lourde afin d’éviter tout désordre qui pourrait venir de ces victimes du système.

Le principe de solidarité est remplacé par le principe de précaution qui relève de l’économie plus que de la politique. Il ne faut pas entraver le libre cours des affaires, il faut absolument sauver le système où les banques sont les véritables instances du pouvoir. Il faut donc, à tout prix, éliminer la contestation qui pourrait devenir gênante. Pour ce faire, il s’agit de maintenir un minimum de satisfaction des besoins de la population, d’une part, et de faire taire les revendications ou les protestations en soumettant la population à un lavage de cerveau énergique par le biais de médias aux ordres et en entretenant une menace permanente par une concurrence avec des plus pauvres encore et par le risque, incessamment rappelé, du terrorisme.

Il va de soi que la seule alternative réelle à ce système politique implique une remise en cause du libéralisme. La question est de savoir si l’on peut supprimer le libéralisme économique, qui devient insupportable, sans supprimer, dans le même temps, le libéralisme des mœurs, c’est-à-dire, ce que nous appelons la liberté dans la société occidentale.

Cela impliquerait, comme nous le savons déjà, une réforme drastique de notre façon de consommer et, du point de vue des mœurs, un changement radical dans notre conception de l’éducation et de l’autorité.

Il ne s’agit évidemment pas de revenir à des méthodes du passé, mais d’inventer une nouvelle discipline de vie, pour le dire clairement, une nouvelle morale, qui permettent de susciter un nouveau type de citoyen, solidaire, responsable et éclairé.

Pour le dire encore autrement, il s’agirait de concevoir une démocratie et de se donner les moyens de la faire fonctionner dans le respect d’un certain nombre de valeurs que nous jugerions fondamentales telles que l’honnêteté par exemple, le respect de la justice et l’exigence de dignité pour tous les êtres humains.

La démagogie qui, aujourd’hui, se prétend démocratie et qui pose que tous les comportements se valent, que toutes les opinions sont égales et respectables, cette démagogie doit cesser.

Nous serons capables d’exiger que le pouvoir économique, relayé par le politique, cesse de se moquer de nous, quand nous serons aussi capables de renoncer à la paresse intellectuelle et à l’avachissement des mœurs dans lequel ce pouvoir nous entretient et que nous confondons trop souvent avec la liberté. »

Simon Habert.

Auteur: librinfo74

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