Les « Mères de la Place de Mai » témoignent de leur combat devant les lycéens à Annecy

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Jeudi 31 Mars, la  salle polyvalente du lycée berthollet était comble pour accueillir ces Mères de la Place de Mai, venues d’Argentine et d’Uruguay.

C’est à l’initiative des professeurs d’espagnol que ces femmes courageuses sont venues témoigner des douloureux évènements survenus en Amérique Latine de 1976 à 1983. Occasion était donnée aux élèves, de s’exprimer en langue espagnole. Cette initiative faisait suite à celle du 17 et 18 Mars, portant sur la simulation d’une conférence de l’ONU autour de la question des migrants avec les lycées de l’agglomération d’Annecy.

Ces femmes prirent ici parole avec une force exceptionnelle de dignité, continuant ainsi le combat en mémoire des disparu(e)s de tous âges. Mémoire, vérité, justice, tels sont les maîtres mots des Mères (Asociación Madres de la Plaza de Mayo). Depuis 1977, elles effectuent une ronde chaque semaine, pour rappeler que plus de 30 000 personnes ont disparu. Elles se battent et dans une recherche difficile pour retrouver leurs enfants, faire connaître les agissements de la Junte militaire.

Remontée dans l’histoire d’une telle tragédie, que savons-nous d’un tel évènement?
24 Mars 1976, éclate un coup d’état militaire. Se met en place une dictature violente en Argentine et en Uruguay, où tortures, emprisonnements, disparitions sont opérées, 500 enfants volés dont une grande partie n’a pas été retrouvée. C’est donc un long chemin pour ce collectif de femmes demandant énergie pour dénoncer les atrocités, les atteintes  aux Droits de l’Homme. Elles n’ont de cesse de parcourir le monde, de remercier ceux et celles qui les soutiennent, accueillent tant au niveau d’instances éducatives (comme le lycée Berthollet), que des collectivités territoriales comme à Grenoble, des Musées de la Résistance ou de la Mémoire…
L’émotion des élèves était perceptible ainsi que l’implication des professeurs en particulier ceux de langue espagnole.

Faire comprendre aux élèves que sans le respect des droits fondamentaux, il n’y a pas de démocratie
Sara Mendez vient d’Uruguay et nous conte son parcours qui la fit se trouver à Buenos Aires pour des raisons professionnelles. Elle rappelle les prémices du coup d’état : émergence des mouvements sociaux en Amérique Latine dès 1973, face aux inégalités sociales, aux injustices, à la pauvreté… Cela provoquera de fortes mobilisations et une radicalisation de la société avec les étudiants, les ouvriers, les syndicats pour revendiquer le respect des droits. Les expériences de gouvernement socialiste comme au Chili marquèrent les esprits. En Argentine, des réfugiés politiques trouvèrent refuge, on pense aussi à l’expérience cubaine…
Mais, en Mars 1976, les frontières se fermèrent et une étape nouvelle s’ouvre : le Plan Condor se met en place, imaginé par les États-Unis. La répression s’abat sur les peuples, celle de l’Argentine fut la plus brutale. Les paramilitaires opérèrent avec violence sur les lieux de travail ou aux domiciles des personnes pour obtenir des informations et ensuite les faire disparaître. Sara Mendez sera enlevée, à Buenos Aires, et son fils âgé de 20 jours lui fut enlevé. Elle fut renvoyée en Uruguay et détenue 4 mois dans des lieux clandestins et torturée. Comment imaginer le devenir de son enfant, comment survivre? Ses tortionnaires ne répondirent jamais à ses questions. Quand le collectif des Mères de la Place de Mai, elle le rejoignit pour pouvoir poursuivre la recherche de son fils.

Alors, pourquoi faire partie d’un tel collectif ? La réponse de Nora Cortiñas.

Celle-ci avait un fils de 24 ans qui menait une vie normale jusqu’au déclenchement de la dictature militaire.

Ce 15 Avril 1977, il fut arrêté et on ne le revit plus. Pour cette mère âgée de 86 ans, il s’agit d’un « crime de crime! « , d’atteinte de tous les droits de l’homme. Leurs enfants avaient à coeur la justice sociale. Avec ce collectif, elles ont ouvert les yeux sur la situation, se sentant soutenues quand les militaires investissaient leur domicile. D’où vient cet acharnement jusqu’à voler des bébés de femmes enceintes pour les donner à celles qui ne pouvaient en avoir. Elles découvrirent le plan macabre et barbare des États-Unis qui armèrent les dictatures, pour abattre les pauvres au profit des riches, faire disparaître ceux et celles qui les soutenaient comme les religieuses françaises : Léonie Duquet, Alice Domon.

Que se cache t-il derrière les visées politiques de la dictature?
Comme toujours, elles sont économiques et ainsi elles permettent aux multinationales d’avancer masquées. Il faut s’emparer des richesses comme l’eau et le pétrole, en brisant les forces sociales. Le collectif dut à la fois dénoncer cet accaparement économique, interpeller les organisations et institutions internationales, tout en ayant le souci de savoir chaque jour ce qu’était advenu à leur enfant. Cela dure depuis 40 ans car un très grand nombre d’entre eux ne connaissent pas leur identité. Et quand les familles mourront, que dira t-on aux générations futures? [Il en est de même avec les victimes de la Shoah] D’où l’urgence de transmettre cette Histoire par ceux et celles qui l’ont affrontée, de dénoncer ce qui se cachait derrière cette tragédie, de savoir à qui profite le crime, la barbarie…

Le temps des questions avec les élèves
Ceux-ci se préparèrent et s’adressèrent aux Mères, en espagnol. L’Histoire ne doit jamais se refermer grâce à la transmission, au questionnement. Sans cesse rechercher la vérité, grâce à la solidarité, l’existence des lieux de mémoire. Sara Mendez s’y emploie. Est-ce la fin de tous les tracas en Uruguay? Loin de là, car il n’y a pas eu de réels procès sur le passé. En dépit de la création d’une commission parlementaire en 1986, l’état renonce à sa fonction de punir constitutionnellement les militaires. On est devant une impunité en dépit de la lutte de la société civile ( au sein de CONESUR –  des pays qui ont lutté contre les dictatures militaires en Amérique Latine, de la mobilisation européenne à partir des informations données par les Mères).

Quel sens donner à cette lutte, pourquoi poursuivre, quelle image veulent elles donner d’elles?
Elles ne se considèrent pas comme des héroïnes : « On a fait notre travail et l’on a participé aux mouvements sociaux! ». Elles le déclarent avec humour!
Et la responsabilité politique? Est-ce que le pouvoir actuel occulte les évènements?
Certes, certains présidents argentins créèrent des commissions. Il y eut des procès, des jugements, les victimes se firent entendre… Mais globalement, justice ne fut jamais intégralement rendue. Maintenant il n’y a plus aucun soutien. Le cas de l’Uruguay est symptomatique. Il y a une méconnaissance de ce qu’il s’est produit; d’où l’impossibilité de rendre justice, d’admettre la vérité. Bien des éléments furent occultés. Il a fallu lutter pour obtenir quelques avancées. Concernant ce pays que l’on considérait comme la Suisse de l’Amérique Latine, faisant preuve d’ouverture politique; les États-Unis se sont employés à contrôler et fomenter des tensions.

Et le devenir des fils survivants? Comment développer les luttes?
Les disparitions ont rendu la situation très difficile, car comme pour les rescapés de la Shoah, on espère toujours en un retour possible.  Face à la douleur, il faut apprendre à cheminer ensemble, lutter pour la dignité et faire face à la perversion des politiques. Les procès furent toujours des moments de mobilisation et d’alerte de l’opinion publique.

Que penser des visites de présidents américains dans certains pays d’Amérique Latine? Quel rôle a joué ce pays?
« Mais que penseraient les victimes surtout en ce 24 Mars…C’est une date symbolique! » Pour ces femmes, les États-Unis se comportent comme des « états terroristes ». On ne peut oublier Guantanamo, les privations de liberté. Ils ont une dette, car ils ont participé indirectement à ce terrorisme d’état et d’atteinte grave aux Droits de l’Homme.

Les applaudissements fusent sous le choc de leurs mots/maux.

« Presentes, presentes!!! » pour enjoindre les jeunes à rester vigilants, se rendre conscients et se tenir prêts à lutter.

Auteur: Colette CHARLET

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