La Clusaz : une soirée pour s’auto-congratuler !

Après le moratoire décidé cet été par le maire de La Clusaz sur la construction de cette cinquième retenue collinaire qui a tellement fait couler d’encre, il fallait bien une soirée de réunion publique pour informer les habitant.es des suites des aventures de la station et tenter de reprendre la main sur la communication. Ce qui fut fait par l’équipe municipale ce mardi 26 septembre dans une ambiance assez calme mais quelque peu électrique entre pro et anti retenue.  

Paysage de La Clusaz sur le chemin du Bois de la Colombière ©Benjamin Joyeux

Un arrêt « provisoire »

Ce mercredi 27 septembre au soir, la salle des fêtes de la Clusaz, située au cœur du village station et à 1100 mètres d’altitude, était bien remplie. Près de 200 personnes avaient fait le déplacement malgré l’horaire tardif et la nuit tombée, pour écouter le Maire Didier Thévenet, quelques-un.es de ses adjoint.es et des acteurs économiques de la vie locale présenter leur plan pour l’avenir du village-station. La soirée avait été sobrement intitulée « vie locale, projet et avenirs ». Il faut dire qu’après des mois de batailles juridiques et de guerre de communication où La Clusaz s’était retrouvée au cœur d’une polémique nationale, l’heure semblait être à la volonté d’apaisement et de dialogue de la part de l’équipe municipale[1].

Le 5 septembre dernier en effet, Didier Thévenet avait surpris tout son monde en annonçant dans le Dauphiné Libéré un « moratoire » sur la construction controversée de la désormais célèbre cinquième retenue d’eau, après des mois de refus de renoncer à un projet contesté et suspendu par décision de justice. Mais il avait tenu à préciser qu’il ne s’agissait nullement d’un renoncement, refusant simplement « d’engager un tel risque tant que la justice ne sera pas arrivée à son terme »[2].

Pas de relâchement possible donc pour les nombreux groupes et collectifs d’opposant.es à la construction de la retenue collinaire sur le plateau de Beauregard[3]. C’est d’ailleurs pour cela que certain.es étaient présent.es ce mercredi soir pour écouter attentivement ce que l’édile et son équipe avaient à dire.

Business as usual ?

De gauche à droite, Alexis-Olivier Sbriglio et Didier Thévenet le 27.09 ©Benjamin Joyeux

Sur fond de La Clusaz en lettres d’or, tout un symbole de la prospérité économique qui continue de ruisseler sur ce village-station de 1700 habitant.es, Alexis-Olivier Sbriglio, ancien journaliste de 8 Mont-Blanc et animateur de la soirée, pose d’emblée les termes du débat : « Y-a-t-il encore un avenir pour le ski à La Clusaz ? » « Y-a-t-il encore un avenir possible pour l’ensemble de l’humanité sur une planète à + 4 degrés ? » serions-nous tentés de lui rétorquer d’emblée. Mais il s’agit de ne pas tout de suite gâcher l’ambiance. On a bien compris que ce soir-là à La Clusaz, il s’agit bien moins de parler fin du monde que fin du mois. Et surtout quid de la prochaine saison de ski ? Car on parle bien de « 2000 emplois dans la station », un chiffre qui sera rappelé plusieurs fois au cours de la soirée. Par contre le chiffre d’affaires 2022 de la SATELC[4], de plus de 25 millions d’euros, sera lui pudiquement évité.

Après une première intervention d’Arthur Thovex, conseiller municipal en charge du « développement durable », qui tient à souligner qu’on peut encore « réussir à construire un avenir possible à la Clusaz », nous voilà rassurés.  

Monsieur le Maire prend ensuite la parole pour bien expliquer le pourquoi du moratoire : « On a pris la décision de faire un moratoire car nous ne sommes pas certains de gagner en justice ». Celles et ceux qui pensaient que la mairie avait été convaincue par les nombreux témoignages de scientifiques et d’associations sur l’importance de ne pas détruire le bois de la Colombière[5] et de prioriser enfin la sobriété en matière de gestion de l’eau en ont pour leurs frais. Il faut surtout d’après Didier Thévenet « attendre que la justice passe » pour pouvoir continuer de « développer le ski dans de bonnes conditions avec des investissements judicieux ». Quelques questions critiques émanent de la salle, sur l’information à donner à la population ou sur la nécessaire réduction de la consommation d’eau. Mais Didier Thévenet insiste sur la capacité de La Clusaz à s’adapter et sur le fait que « pas mal de renoncements ont été faits depuis le début du mandat ». Il est rejoint sur scène par Jean-Philippe Montfort, le directeur de l’Office du tourisme, qui insiste sur le fait que La Clusaz ne doit pas être « une cité-dortoir » ni un village dont « le trafic routier viendrait à le défigurer » mais une station dont « on veut faire évoluer le système économique ». Dont acte !

Des limites ? Quelles limites ?

Pourtant quand une question est posée depuis la salle sur la question des limites planétaires et du modèle à réinventer qui saurait le prendre en compte, comme par exemple celui de l’économie du Donut[6], elle est accueillie par les rires narquois des intervenants. Non décidément, s’il y a une seule sorte de gâteau à préserver à La Clusaz, c’est celle des espèces sonnantes et trébuchantes, vaille que vaille. Pour les limites planétaires on repassera, puisque d’après le maire et ses adjoints, décidément en verve lors de cette soirée, on skiera encore à La Clusaz en 2050, voire même en 2100. Ont-ils entendu parler notamment d’une étude scientifique récente publiée par la très sérieuse revue Nature qui énonce que les écosystèmes de la planète pourraient connaître un effondrement total et irréversible d’ici 2100 ?[7] Visiblement non. Mais qu’est-ce que la fin du monde face à la joie de pouvoir dévaler à ski les belles pistes de La Clusaz ? Le reste des interventions, quasi exclusivement masculines, à l’exception de Madame Angelloz-Nicoud, maire-adjointe qui dispose de quelques minutes pour parler du tiers lieu Le Bouillon[8], sont du même acabit.

On apprend tout de même par la bouche de Didier Thévenet que la mairie a été approchée pour accueillir une épreuve de ski de fond dans l’optique de la candidature des régions AuRA et PACA pour les Jeux Olympiques d’hiver 2030, JO d’ores et déjà fortement décriés[9], et qu’elle a émis un avis favorable. L’édile explique également que la pose de mousseurs sur les robinets des habitant.es de La Clusaz a été promue contre le gaspillage d’eau, et que 13 millions d’euros ont été dépensés pour racheter des terrains afin de bâtir du logement social. Bref contre la fin du monde, la municipalité agit comme elle le peut/veut et n’a pas à recevoir de leçons de la part de celles et ceux qui n’habitent même pas là !

Après presque deux heures de discussion assez dithyrambique sur l’action du maire et son équipe et sur le glorieux avenir de la station, on apprend par Jérôme Pessey, directeur de l’ESF (école de ski français) que la saison 2023-2024 s’annonce sous les meilleurs auspices, avec plus 35% de réservations. Donc vraiment, « tout va bien madame la marquise » !

Cela méritait bien un apéro offert par la ville à la fin de la soirée, durant lequel les quelques opposant.es à la retenue collinaire tentent de débattre avec le maire et son équipe sur l’avenir du ski dans un contexte global d’effondrement du vivant, entre deux verres de vin et trois tranches de saucisson. C’est peut-être ça finalement « l’écologie à la Française », beaucoup de débats et surtout du déni entre deux apéros ?!

Benjamin Joyeux

[1] Lire entre autre : https://librinfo74.fr/on-est-chez-nous-ski-et-traditions-a-la-clusaz/

[2] Lire l’entretien dans Le Dauphiné Libéré : https://www.ledauphine.com/economie/2023/09/05/la-clusaz-suspend-son-projet-de-retenue-collinaire

[3] Voir https://www.facebook.com/sauvonsbeauregard/?locale=fr_FR

[4] Société d’aménagement touristique de la Clusaz (SATELC), dont Didier Thévenet est président du CA et directeur général. Voir https://www.societe.com/societe/societe-d-amenagement-touristique-d-exploitation-de-la-clusaz-325620359.html

[5] Lire https://stop-retenue-collinaire-la-clusaz.com/retenue-collinaire-la-clusaz-15-raisons-de-dire-non/

[6] Lire par exemple : https://www.oxfamfrance.org/actualite/la-theorie-du-donut-une-nouvelle-economie-est-possible/

[7] Lire par exemple https://www.lemonde.fr/planete/article/2012/07/27/la-fin-de-la-planete-en-2100_5982078_3244.html

[8] Voir https://jeparticipe.laclusaz.org/blog/1467/tiers-lieu-le-bouillon-programme

[9] Lire https://reporterre.net/Dans-les-Alpes-les-ecolos-tout-schuss-contre-les-JO-d-hiver

Auteur: Benjamin Joyeux

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2 commentaires

  1. La station de la Clusaz s’appuie sur les données de « Climsnow ». Il s’agit d’un consortium composé de Météo-France (Laboratoire CNRM, Météo-France–CNRS, Centre d’Etudes de la Neige), Inrae (laboratoire LESSEM) et Dianeige (cabinet spécialisé dans l’aménagement des stations touristiques de montagne) qui fournissent un service payant d’aide à la décision pour les investissements dans les stations de ski.
    Difficiles pour des néophytes de juger de la fiabilité des prévisions d’enneigement données par des « experts ».
    Si quelqu’un à accès aux données que climsnow a fourni aux élus de la Clusaz ce serait vraiment chouette. On pourrait les soumettre à d’autres experts pour juger si les résultats concordent avec les projections des différents modèles du GIEC.

    Pour info :

    https://www.climsnow.com/
    https://www.climsnow.com/m%C3%A9thodologie
    https://www.climsnow.com/r%C3%A9sultats

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  2. Ah mon dieu mais que la bêtise humaine est grande 🙏 comme si l’avenir de l’humanité est en obsolescence programmée ! rien ni personne semble pouvoir arrêter ce processus auto destructeur ! Ou peut être la fin d’une génération qui a connu l’abondance des 30 glorieuses pour que celle qui arrive derrière fasse les frais de tout devoir réinventer 🤔😪

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