Samedi 3 février, une manifestation pour la paix et le cessez-le-feu immédiat à Gaza a rassemblé jusqu’à 4000 personnes entre le quai Wilson et la Place des Nations Unies à Genève, dont de nombreuses ONGs, associations et élu.e.s en provenance tant de Suisse que de France. Le discours très attendu de Jean-Luc Mélenchon devant les Nations Unies, plaidoyer pour la paix et la nécessité de l’ONU, devrait pouvoir rassembler bien au-delà de son camp :
Un lieu emblématique
Ce samedi 3 février en début d’après-midi, le soleil brille de mille feux sur la rade de Genève tandis que son jet d’eau emblématique s’envolant vers le ciel dessine furtivement de brefs arc-en-ciel. Progressivement, des dizaines puis des centaines de personnes convergent sur le quai Wilson, où une petite estrade a été installée. Beaucoup de familles semblent s’être données rendez-vous, dont un très grand nombre de femmes, voilées ou non, accompagnées de leurs enfants. Des drapeaux palestiniens sont brandis, dont une immense pièce venant onduler manuellement sur les bords du Léman. De l’autre côté de la route, sur la terrasse du Palais Wilson, quelques photographes et cameramen prennent place pour immortaliser l’instant.
Le lieu n’a pas été choisi au hasard, le bâtiment, ancien palace genevois, puis premier siège de la Société des Nations[1] jusqu’en 1936, abritant aujourd’hui le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme[2]. Et de droits humains il est bien question ce jour puisque le rassemblement se veut une marche depuis le quai Wilson jusqu’à la Place des Nations, environ 1,5 km plus loin, pour réclamer le cessez-le-feu immédiat à Gaza, devant le Palais des Nations Unies à Genève.
Large rassemblement
A l’initiative du député LFI de Savoie Jean-François Coulomme, ce rassemblement, préparé en une quinzaine de jours, se veut une convergence des ONGs, associations et élu.e.s français et suisses, des deux côtés de la frontière, dénonçant les bombardements incessants en cours sur la Bande de Gaza de la part de l’armée israélienne. Depuis plusieurs semaines en effet, chaque samedi, un peu partout, comme à Annecy[3], Chambéry ou Genève, des centaines de citoyennes et citoyens marchent contre la guerre à Gaza dans une grande indifférence politico-médiatique. L’objectif du jour et donc de braquer les projecteurs sur une action emblématique, une grande marche assortie d’un rassemblement devant le siège des Nations Unies, le point d’orgue étant la venue annoncée du leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon.
Plus de 2000 personnes sont d’ores et déjà rassemblées le long du quai, dès 14h30, pour les premières prises de parole, introduites par Jean-François Coulomme et la mélodie envoutante de la violoniste savoyarde Pascale Seigle, car si l’on en croit le proverbe populaire : « la musique adoucit les mœurs. »
« Le génocide ça se combat ! »
Le Collectif 69 de Soutien au peuple palestinien[4], en provenance de Lyon, ouvre les débats en invoquant la plainte pour génocide déposée devant la Cour Pénal Internationale[5] par un collectif international de juristes mené par l’avocat au barreau de Lyon Maître Gilles Devers[6]. Elle est suivie du témoignage de l’UJFP[7], organisation juive progressiste qui défend depuis 1994 l’auto-détermination du peuple palestinien. Pour l’AFPS ensuite, sa présidente Anne Tuaillon[8] rappelle également le contexte de l’occupation de pans entiers de la Cisjordanie tandis que toutes celles et ceux qui défendent les droits du peuple palestinien sont de plus en plus criminalisés. « Le génocide [à Gaza] ça ne se regarde pas, le génocide ça se combat ! » insiste-t-elle sous les applaudissements. Interviennent également le Collectif Urgence Palestine Genève[9] ou encore le CCMA[10] qui dénonce le récent blocage financier de l’UNRWA par plusieurs Etats suite à la plainte d’Israël[11]. L’ancien Maire de Genève Rémy Pagani témoigne également, regrettant que sa ville n’affiche plus autant que par le passé sa solidarité avec le peuple palestinien. Cette première salve d’interventions se clôture par le témoignage de Benjamin Joyeux, conseiller régional écologiste de Haute-Savoie mais également journaliste indépendant qui s’inquiète du traitement médiatique actuel, totalement déséquilibré et très favorable à Israël, qui vient mettre en danger en France la liberté d’expression[12].
Peu avant 16h, la marche démarre, direction la Place des Nations et sa fameuse Broken Chair[13]. Le cortège, dépassant désormais largement les 3000 personnes, s’étale sur plusieurs centaines de mètres, coupant la circulation dans les deux sens, très dense habituellement sur cet axe depuis le Pont du Mont Blanc. Un petit groupe s’agite autour de Jean-Luc Mélenchon qui est arrivé et se range quelques instants derrière la banderole de tête, entouré notamment des député.e.s Jean-François Coulomme, Sophia Chikirou, Gabriel Amar, Elisa Martin ou encore Idir Boumertit. A quelques mètres dans la foule, on croise Carlo Sommaruga, député socialiste genevois au Conseil des Etats, figure politique nationale suisse qui se désole du peu de présence dans le rassemblement de ses collègues politiques, sur un sujet qui d’après lui devrait faire consensus, du moins à gauche de l’échiquier politique. Fabienne Grébert, co-présidente du groupe Les Ecologistes à la région Auvergne-Rhône-Alpes, vient également d’arriver, se joignant à la marche et répondant notamment aux questions du Dauphine Libéré[14].
« Heureusement qu’il y a l’ONU »
A quelques mètres de la Broken Chair, au milieu de la Place des Nations et face au soleil déclinant, la foule se rassemble autour d’une deuxième estrade, sur laquelle s’enchaînent de nouveaux témoignages : BDS Genève[15] d’abord, sur la nécessité du boycott et du désinvestissement face à Israël ; de SolidaritéS Genève[16] ensuite, mouvement anticapitaliste genevois qui réclame une position nette des autorités suisses en faveur du cessez-le-feu immédiat à Gaza ; ou encore du collectif Tsedek, mouvement juif dé-colonial et antiraciste. Puis Jean-Luc Mélenchon prend la parole, galvanisant la foule en scandant plusieurs fois « cessez-le-feu » « au nom du peuple humain »[17]. Se gardant bien de tout propos polémique et condamnant sans réserve tous les crimes de guerre contre les civils d’où qu’ils viennent, le leader insoumis rend plutôt un hommage appuyé au Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres, soulignant notamment : « Heureusement qu’il y a l’ONU, car sinon il n’y aurait que la barbarie ». Après une dizaine de minutes, le tribun et sa suite disparaissent rapidement, tandis qu’est lu un message vocal de soutien à Rima Hassan, juriste internationale et militante palestinienne actuellement harcelée par des mouvements pro-israéliens[18]. Puis la foule commence tranquillement à se disperser sous le regard flegmatique de la police genevoise.
Si le but de la manifestation était de rassembler largement pour briser le silence face à ce qui a été qualifié par la Cour Internationale de Justice de « risque réel et imminent » de génocide à Gaza, l’objectif semble avoir été atteint samedi. Des deux côtés de la frontière, entre 3000 et 4000 personnes et des dizaines d’organisations se sont rassemblées pour réclamer le cessez-le-feu immédiat, dans le calme et sans aucun débordement. Jean-Luc Mélenchon quant à lui a su trouver des mots rassembleurs et pacifistes, après les polémiques incessantes à son encontre qui avaient suivi les exactions du Hamas le 7 octobre dernier. Il n’empêche que bon nombre de responsables politiques des deux côtés de la frontière, qui avaient dénoncé à l’unisson les crimes du Hamas, gardent aujourd’hui pour une majeure partie d’entre eux le silence face aux massacres perpétrés par les bombardements israéliens sur Gaza. Un silence de plus en plus interprété par les sociétés civile du Sud Global comme une hypocrisie sans nom. Ce deux poids deux mesures qui semble dire que la vie d’un enfant palestinien vaut bien moins que celle d’un enfant israélien est lourd d’incompréhensions et de tensions pour l’avenir. Quant à la France, elle semble bien lointaine celle du discours de Dominique de Villepin contre la guerre en Irak ou bien de Jacques Chirac qui refusait l’alignement inconditionnel derrière Israël et les Etats-Unis.
Restent les peuples, car comme le disait Albert Schweitzer : « Les gouvernements s’entendent lorsque les peuples les obligent à s’entendre. »
Camille Content
[1] SDN, ancêtre de l’ONU, lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_des_Nations
[2] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Haut-Commissariat_des_Nations_unies_aux_droits_de_l%27homme
[3] Voir par exemple : https://librinfo74.fr/220-manifestants-pour-la-palestine-ce-samedi-27-janvier/
[4] Voir http://collectif69palestine.free.fr/
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_p%C3%A9nale_internationale
[6] Lire notamment https://site.ldh-france.org/troyes-et-aube/2023/11/15/plainte-pour-genocide-presentee-a-la-cour-penale-internationale-cpi-le-jeudi-9-novembre-2023-la-justice-est-la-reponse-a-la-violence/
[7] Union Juive française pour la Paix, voir https://ujfp.org/
[8] Voir https://twitter.com/TaoufiqTahani/status/1754240985754653156
[9] Voir http://www.urgencepalestine.ch/
[10] Centre Culturel Monde Arabe
[11] Lire notamment https://www.hrw.org/fr/news/2024/01/31/gaza-la-suspension-de-laide-financiere-lunrwa-risque-daggraver-la-famine
[12] Voir https://twitter.com/binjamineurope/status/1754149271190839474 et lire dans le dernier numéro du Monde Diplomatique https://www.monde-diplomatique.fr/2024/02/HALIMI/66560
[13] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Broken_Chair
[14] Lire https://c.ledauphine.com/societe/2024/02/03/2000-personnes-manifestent-il-est-de-notre-devoir-d-etre-humain-d-exiger-un-cessez-le-feu-a-gaza
[15] Pour Boycott, Désinvestissement et Sanctions, voir https://www.facebook.com/bdsgeneve1/
[16] Voir https://solidarites.ch/geneve/
[17] Lire notamment https://www.tdg.ch/marche-de-soutien-pour-la-palestine-jean-luc-melenchon-galvanise-la-place-des-nations-928214904291
[18] Voir notamment https://www.ouest-france.fr/monde/israel/la-ceremonie-forbes-en-lhonneur-des-40-femmes-de-lannee-annulee-apres-une-polemique-3d7723a8-c41b-11ee-8bc3-7b463e0b059b