Aux 50 ans de FNE, Aurélien Barrau en appelle à changer de paradigme

Vendredi 8 mars au soir, dans le cadre de son 50e anniversaire, France Nature Environnement Haute-Savoie a convié l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau à Annecy. Devant une salle comble, le célèbre scientifique grenoblois est intervenu pour démontrer de façon implacable les impasses de notre modèle actuel de civilisation. Il a pu au passage livrer son sentiment sur un des gros dossiers locaux, le futur collisionneur du CERN (FCC) :

Aurélien Barrau et Anne Lasman-Trappier le 8 mars 2024 © Camille Content

Ce 8 mars, nous célébrions comme chaque année la Journée internationale des droits des femmes. Celle-ci avait une dimension toute particulière en cette année 2024, puisque la loi inscrivant la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution venait tout juste d’être adoptée. Mais ce vendredi 8 mars, à l’Espace Rencontre, sur les hauteurs d’Annecy-le-Vieux, ce n’est pas pour parler IVG mais plutôt environnement que des centaines de personnes commencent à arriver peu après 18h. Car ce soir, à l’occasion de son 50e anniversaire, France Nature Environnement a convié une véritable « rock star » à venir s’exprimer et échanger avec ses adhérent.es et sympathisant.es : Aurélien Barrau. Astrophysicien et directeur du Centre de physique théorique Grenoble-Alpes, par ailleurs docteur en philosophie, ce dernier s’est surtout fait connaître ces dernières années pour ses prises de position radicales en faveur de l’écologie. Il fut notamment à l’origine avec l’actrice Juliette Binoche de l’appel intitulé Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité[1], signé par 200 personnalités et publié dans le journal Le Monde en septembre 2018, suite à la démission de Nicolas hulot, alors ministre de l’environnement.

Une parole attendue

Auteur et conférencier à succès, Aurélien Barrau a vu sa renommée grandir de par son sens de la formule et de la vulgarisation, étayant par sa rigueur scientifique ses propos en faveur de la prise en compte urgente de la crise écologique. Très parcimonieux dans ses prises de parole médiatiques, le scientifique grenoblois déplace les foules à chacune de ses interventions publiques. C’est ainsi que le 14 juin 2022, tous les fauteuils de l’espace Grand-Bo, dans la station du Grand-Bornand, avaient été pris d’assaut lors de sa précédente venue sur le territoire[2]. Les 950 places de l’Espace Rencontre qui avaient été mise en ligne à la réservation par FNE sont ainsi parties en quelques heures, et les 40 places supplémentaires proposées quelques jours plus tard en quelques minutes.

Plus de 1000 personnes sont donc présentes à Annecy-le-Vieux ce 8 mars au soir pour écouter le scientifique aux cheveux longs. Or Aurélien Barrau est annoncé en retard, sur les coups de 19h30, en raison de « bouchons sur les routes » à hauteur de Chambéry. De quoi étayer ses propos sur nos limites civilisationnelles. En attendant, c’est François Astorg qui introduit la soirée, en souhaitant un très bon anniversaire au « hérisson », l’emblème historique de FNE. Le Maire d’Annecy souligne l’ampleur des défis à relever en matière de transition écologique sur le territoire, rappelant que si Annecy est une ville riche, « 10% de la population vit sous le seuil de pauvreté » et qu’il s’agit de « ne laisser personne au bord de la route ». La nouvelle directrice de FNE 74, Nina Gouze, souligne ensuite le rôle essentiel de la fédération dans la défense de l’environnement en Haute-Savoie, avant que ne prennent place sur scène Anne Lasman-Trappier, la présidente de FNE en charge ce soir de l’animation du débat, et Aurélien Barrau, enfin arrivé.

Changer de paradigme, du prosaïque au poétique

D’emblée le débat s’ouvre sur la question de la technologie comme réponse à la crise écologique actuelle. L’astrophysicien est très clair sur le sujet, en appelant à « déconstruire l’idée que la technoscience peut nous sauver ». Trois chiffres lui semblent particulièrement signifiants : deux tiers des insectes disparus en une décennie, deux tiers des espèces en quelques décennies et deux tiers des arbres en quelques siècles. Et face à l’ampleur de ce désastre, les nouvelles technologies ne font qu’« entériner l’inertie », les machines (intelligence artificielle, réseaux sociaux…) étant en plus en train de « choisir ce que seront nos vies », consistant ainsi pour Aurélien Barrau à « un affaissement radical de notre puissance d’être ». A la question de savoir pourquoi il faut s’inquiéter de l’effondrement actuel de la biodiversité, l’astrophysicien répond que rien, aucune espèce, ne peut survivre seule dans l’univers.

Il s’agit donc « d’appréhender le monde autrement », en finir avec une vision utilitaire, en termes de stocks, de tout ce qui est non humain, afin de « réhabiliter la dignité de l’être ». Alors « la question n’est pas de savoir si on veut la décroissance mais comment on va la gérer ». Et finalement cette contrainte est une bonne chose, car « la contrainte est le moteur de la création, ce que les artistes savent bien ». En effet, Aurélien Barrau rappelle que les musiciens ou les peintres ont un nombre restreint de notes ou de couleurs et que ce n’est qu’avec ces limite qu’ils peuvent créer. La décroissance nécessaire est donc « une opportunité qui nous offerte et qui n’est pas triste ». Le physicien grenoblois en appelle alors à remettre la poésie au cœur de nos vies, le prosaïque ayant pris trop de place, voire toute la place. Il ne faut donc pas aborder la transition écologique avec « les outils de l’ancien monde », comme l’argent, mais revoir collectivement comme individuellement nos priorités, afin de « prendre en charge collectivement les mutations nécessaires », comme celles du monde agricole.

« Ce que révèle le FCC, c’est notre incapacité à changer de modèle »

Anne Lasman-Trappier en arrive alors à poser LA question, sans doute sur beaucoup de lèvres ce soir, celle du futur collisionneur du CERN, le mégaprojet qui fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps[3]. Aurélien Barrau souligne tout d’abord qu’il vient de la physique des particules, que le FCC est « le projet phare des prochaines décennies » et qu’il y a un argument fondamental en sa faveur, celui de « pouvoir poser notre regard sur ce qui ne l’a pas encore été ». Evidemment, ce projet n’est pas sans poser de multiples problèmes, quant à sa consommation électrique, la nuisance de ses travaux, son coût, etc. Néanmoins ces arguments de pollution et de consommation pourraient être dépassés « si la collectivité humaine décidait de la nécessité de l’expérience ». Si le scientifique avait à choisir, il préférerait un FCC « à la frénésie capitaliste actuelle ». Son vrai problème est plutôt dans ce que représente ce projet, se demandant si cette débauche de technologie doit être ce qui représente le meilleur de la science, une science qui a avant tout « besoin d’audace, et marginalement d’un grand collisionneur ». Finalement « Ce que révèle le FCC, c’est notre incapacité à changer de modèle ». Il lui apparaît donc nécessaire de discuter collectivement non seulement de la priorité d’un tel projet, mais surtout de ce que l’on veut faire de la science. « Qu’est-ce que la mécanique quantique révèle du monde ? » demande Aurélien Barrau, y répondant par le fait que « le socle du réel, c’est la relation ». La science n’est donc « ni du bon, ni du mauvais côté, mais là où on la met ».

Aurélien Barrau et les membres de FNE 74, le 8 mars 2024 © Camille Content

Après une longue intervention et quelques questions, la conférence se termine par une photo collective, Aurélien Barrau entouré des salarié.es et bénévoles de FNE 74, visiblement très satisfait.es du bon déroulé de la soirée. Tandis que beaucoup se pressent autour de la star qui descend de scène, les gens quittent progressivement la salle. « C’était vraiment bien, même si je n’ai pas tout compris », glisse alors à son voisin un homme d’un âge certain.

Le poète allemand Novalis écrivait au 18e siècle : « Le poète comprend la nature mieux que l’homme de sciences. » Aurélien Barrau aura tenté ce soir de réconcilier les deux.

Camille Content

[1] Voir https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/03/le-plus-grand-defi-de-l-histoire-de-l-humanite-l-appel-de-200-personnalites-pour-sauver-la-planete_5349380_3232.html

[2] Lire notre article https://librinfo74.fr/en-montagne-comme-ailleurs-conversion-ou-disparition/

[3] Lire notre dernier article : https://librinfo74.fr/futur-collisionneur-de-plus-en-plus-de-monde-con-cern-es-et-consternes-2/

Auteur: librinfo74

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2 commentaires

  1. Bonjour,
    Est-il possible d’écouter cette conférence quelque part ?
    Merci pour votre réponse.
    Cordialement.

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