Le nouvel ascenseur valléen de Saint-Gervais les Bains vient d’être inauguré par son maire vendredi dernier, à grands renforts de communication, sous les regards et commentaires laudatifs de la presse et des élus locaux. Mais au-delà des effets d’annonce et du côté « pratique » pour les skieurs à la belle saison, ce nouvel équipement constitue-t-il une réelle plus-value pour les habitants ? Rien n’est moins sûr, mais avec les JO d’hiver 2030 à l’horizon, ce type d’équipement est à la mode :
Enthousiasme inaugural
Le 6 septembre était inauguré en grande pompe Le Valléen, la nouvelle remontée mécanique urbaine de Saint-Gervais-les-Bains, en présence de toute une kyrielle d’élus : le Président du département Martial Saddier, les sénateurs Loïc Hervé et Cyrille Pellevat, le conseiller spécial « montagne » au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes Gilles Chabert… tous rassemblés autour du maire de Saint-Gervais Jean-Marc Peillex, visiblement pas peu fier de présenter son nouvel équipement. On attendait même Emmanuel Macron puisqu’il se trouvait à proximité, présent à Evian pour les Rencontres franco-allemandes. Mais finalement ce dernier n’a pas fait le détour par Saint-Gervais, sans doute trop occupé par d’autres urgences comme peut-être la composition d’un nouveau gouvernement.
Mais même sans Président de la République à ses côtés, Jean-Marc Peillex ne peut cacher son enthousiasme ce vendredi, parlant du nouvel ascenseur valléen comme d’une « révolution en termes de mobilité », qui « crée de nouveaux liens pour la population » et « s’adapte à ses besoins ». A ses côtés, Alexandre Merlin, le directeur de la STBMA[1], la société qui gère le domaine de ski de Saint-Gervais, est lui aussi aux anges, soulignant que l’ascenseur peut « faire gagner en fréquentation sur des journées ou des séjours de courte durée », envisageant des partenariats avec la SNCF pour dixit « fluidifier le parcours client »[2]. On est visiblement plus proche du discours marketing à destination de la clientèle ski que du service à la population locale décrit par le maire de Saint-Gervais. A se demander si ce partenariat n’est pas moins public que privé.
Rentabilité et utilité pour le moins contestées
Car le nouveau jouet flambant neuf du Maire de Saint-Gervais, permettant de relier en seulement cinq minutes la gare SNCF du Fayet au centre bourg de Saint-Gervais, a tout de même coûté la modique somme de 45 millions d’euros, dont 31,2 millions d’argent public (21,2 millions d’euros du Département de Haute-Savoie et 10 millions d’euros de la Région Auvergne-Rhône-Alpes), pour 13,8 millions à la charge de la STMBA. Ce afin de pouvoir parcourir 1 850 mètres de longueur et 221 mètres de dénivelé dans des télécabines de 10 places assises pouvant transporter jusqu’à 1 200 personnes par heure.
Un projet totalement démesuré et d’intérêt uniquement touristique pour un certain nombre de gens et d’associations ayant mis le nez dans le dossier, comme France Nature Environnement Haute Savoie[3].
D’après Josée Serasset-Krempp, conseillère communautaire à la communauté de communes Pays du Mont Blanc : « Le projet d’ascenseur valléen ne résiste pas à une analyse rationnelle quant à sa viabilité économique et sa pertinence écologique, et le maillage avec le transport scolaire est le comble du greenwashing et de l’absurdité ». Cette élue souligne qu’en plus du coût d’installation, le coût d’exploitation de l’ascenseur valléen va s’élever à au moins un million d’euros annuel, ce qui représente environ 175 euros par an et par habitant pour les Saint-Gervolains (Saint-Gervais-Les-Bains compte un peu plus de 5600 habitants), un équipement à ses yeux clairement inutile et disproportionné. La preuve en est que pour justifier son utilité, les lycéennes et lycéens des communes de St Gervais, Contamines, Megève, Combloux, et Praz-sur-Arly sont désormais déposés le matin par leur car scolaire à la gare de départ de l’ascenseur valléen au lieu d’être déposés devant leur établissement comme c’était le cas auparavant. Ce alors que le bus continue sa route et passe de toute façon devant le lycée. Une modification de l’organisation du transport scolaire décidée par le maire de Saint-Gervais, « sans vote du conseil communautaire », comme en témoigne Mme Serasset-Krempp[4].
Un festival de greenwashing ?
D’autres voix sont également extrêmement critiques sur ce nouvel équipement, comme Mickael Pion, membre d’Extinction Rebellion Mont Blanc : « c’est un projet extrêmement mal pensé, censé remplacer des véhicules polluants mais qui au final en remplacera très peu, étant donné le manque actuel de transports en commun dans le reste de la commune et du territoire ». Pour le militant, il ne s’agit que d’un « gadget publicitaire soi-disant écolo juste fait pour attirer plus de touristes à Saint-Gervais ». XR Mont Blanc a développé tout un argumentaire pour démonter point par point les éléments de langage des thuriféraires de l’ascenseur valléen[5], insistant notamment sur le fait qu’il y a désormais trois équipements « décarbonnés » pour faire Le Fayet-Saint-Gervais (Le Valléen, l’ascenseur des Thermes à eaux usées, inauguré quelque mois plus tôt, et le Tramway du Mont Blanc), mais rien pour le reste des habitants éloignés des différentes gares. Sans compter que la mise en place du nouvel ascenseur est venue balafrer des hectares de forêt pourtant bien utiles à la préservation de la biodiversité et l’adaptation au changement climatique (voir la photo ci-dessous).
Si on ajoute à tout cela les trois recours qui ont été déposés contre l’ascenseur valléen et qui n’ont toujours pas été jugés, un de France Nature Environnement 74 et deux de l’association local Agir Eco Raisonnable[6], il semble qu’il y ait loin de la coupe aux lèvres entre la présentation d’un nouvel équipement rutilant soi-disant totalement écolo et la façon dont il est perçu par les organisations écologistes du territoire.
Bref, le maire de Saint-Gervais vient d’offrir à sa commune une belle séquence de publicité pour attirer des touristes supplémentaires. Mais sa nouvelle attraction locale est loin d’avoir fait les preuves de sa pertinence environnementale et de sa réelle utilité pour l’ensemble des habitants à moyen et long terme. Des équipements toutefois utiles pour alimenter le récit des futurs Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 dans les Alpes française censés être les plus vertueux qui soient en termes de développement durable. En nos contrées, le greenwashing a de beaux jours devant lui !
Comme le disait si bien Albert Einstein : « Ce qui caractérise notre époque, c’est la perfection des moyens et la confusion des fins. »
Camille Content
[1] Société des téléportés Bettex Mont-d’Arbois
[2] Lire l’article laudatif du Dauphine : https://www.ledauphine.com/societe/2024/09/06/avec-l-ascenseur-valleen-saint-gervais-urbanise-le-transport-par-cable
[3] Lire https://www.fne-aura.org/actualites/haute-savoie/ascenseur-valleen-de-saint-gervais-un-projet-pour-rien/
[4] Voir https://www.facebook.com/xrMontBlanc/posts/pfbid0FXsShbXH4myHxV9USdATsc9Sz7ZXsG8kJCrbdoSLrqVq31S6EuoVXkD65E3yNzQkl
[5] Voir https://extinctionrebellion.fr/blog/2024/03/08/2-ascenseurs-a-green-washing.html et leur page : https://www.facebook.com/xrMontBlanc