Préserver la vie du loup et des éleveurs.

Louplibrinfo


Le 16 janvier, à l’appel d’une vingtaine d’ONG environnementalistes, environ 2500 personnes défilent à Lyon pour protester contre l’abattage des loups.  Elles dénoncent « cette déchéance de la biodiversité » et souhaitent que les éleveurs sachent cohabiter avec ce canidé protégé par la convention de Berne.

En tête du cortège, Paul Watson, fondateur de Sea Sheperd, qui déclare que « les loups sont une espèce clé de voûte – comme les requins – et quand on les élimine, il y a un impact sur toutes les espèces qui en dépendent. »
Pour sa part, Alain Bougrain-Dubourg, président de la LPO, dit que « nous ne sommes pas les ennemis des bergers. »
Mais qu’en pensent les éleveurs ?

 

Suite à cette manifestation, nous avons voulu connaître le sentiment du monde agricole en rencontrant la Confédération paysanne 74 et la FDSEA des Savoie.

Jean Vulliet est éleveur alpagiste, et membre du bureau de Confédération Paysanne.  Ce syndicat représente environ 27% des agriculteurs dans ce département. Installé à Thônes, il est alpagiste au Mont-Charvin, dans les Aravis.
A ses côtés, Noémie Lachenal tient un alpage vers Morzine. Elle garde 950 brebis dont 150 lui appartiennent. S’ajoutent à ce cheptel 8 chèvres.

Le « Comité départemental loup », un lieu de concertation sous l’autorité du Préfet

Noémie fait partie du « Comité départemental loup » qui se réunit deux fois par an. Pour ses membres, le taux d’abattage des loups (10% par an) est trop faible, puisque le loup se reproduit à 20% par an.
En 2015, 36 ont été autorisés à l’abattage, chiffre d’ailleurs non atteint.
Pour Jean Vuillet, « la survie de l’espèce n’est donc pas menacée ». Et d’ajouter avec vigueur « il faut prendre en considération la détresse des éleveurs. On ne peut pas se fonder sur la seule année 2015 où la progression du loup a légèrement diminué, mais prendre en compte une suite d’années. » Rappelons que le loup est revenu en France depuis 1992.
Quant aux mesures de protection, le président de la Confédération estime qu’elles ne sont pas si simples à mettre en œuvre. « Le loup n’a plus peur de l’homme. Il est opportuniste et peut attaquer en plein jour, y compris en présence du berger. » Il pousse un cri d’alarme en affirmant « que ce type de pastoralisme extensif de montagne ou de colline est en danger. Des éleveurs arrêtent, entraînant la fermeture de territoires. » Pour lui, il ne faut pas oublier que les agriculteurs, les bergers, sont aussi des acteurs de la biodiversité.

 Que demande la Confédération Paysanne ?

« La problématique, c’est le loup et on demande que le seuil de 36 loups chassables soit relevé. » explique Noémie
Sur le terrain où Noémie travaille, il n’y a pas eu de tirs en douze ans. Quant à Jean, ses chèvres sont rentrées tous les soirs, accentuant la pénibilité des éleveurs qui « se sentent en permanence épiés, sous pression constante. » Il dénonce par ailleurs le rétard de l’État pour rembourser les pertes directes et indirectes, les délais de remboursement étant de plusieurs mois.
« On demande plus de moyens (comme en Suisse), dont un droit au piégeage. On ne veut pas éradiquer le loup, mais limiter son nombre. »

librinfo : Quid de l’Italie et de l’Espagne où la situation semble plus calme avec la présence de milliers de loups ?

« En Italie, c’est la même chose, notamment dans le parc des Abruzzes où le cheptel de brebis a diminué. En Espagne, 200 à 300 loups sont tués chaque année. Ils sont « chassables » toute l’année. » Pour Jean Vuillet, un des problèmes réside dans la signature de la convention de Berne par la France avant que le loup n’arrive dans le pays. L’Espagne n’a pas signé cette convention.

Pour les associations environnementales, « Le loup peut avoir un rôle dans la biodiversité. C’est un des gestionnaires de la nature. Mais pourquoi ne pas le réguler comme toutes les espèces ? »

Devant cette interrogation, Jean Vuillet  estime que « le risque existe de concentrer l’activité dans les vallées et ainsi détruire le pastoralisme ».

Pour nous « la cohabitation est impossible, alors que la coexistence est possible. »

Il se défend d’être obtus sur les questions sociétales qu’entraîne la présence du grand canidé. « Le dialogue est possible ». Cependant, il y a encore du travail à faire, comme le dit Noémie. « Dans le comité loup, les positions sont de plus en plus radicales. »
Jean Vuillet, à ce propos, pense que le syndicat majoritaire a des positions moins ouvertes que le sien.

Que dit la FDSEA ?

On entend un peu le même son de cloche, à quelques nuances près.
La FDSEA des Savoie représente environ, après la fusion de la Haute-Savoie et de la Savoie, 60% du syndicalisme agricole. Bernard Mogenet en est le président. Il travaille en vallée de Samoëns avec des vaches laitières dont le produit est destiné à la fabrication du reblochon.

Sa première réaction à la manifestation est de dire « que chacun est libre ». Mais il ajoute aussitôt : « Est-ce qu’ils connaissent le sujet ? » Pour le président, c’est un grand problème pour les éleveurs de montagne depuis vingt ans. « Est-ce que ces gens savent ce que les éleveurs vivent au quotidien ? Certains sont au bout du rouleau avec la pression des prédations chaque année. » Il reconnaît quand même qu’un creux dans la présence du loup a été constaté en Haute-Savoie l’été dernier, malgré une reprise en fin d’été. Il ne voit qu’une explication, l’accroissement des tirs, « seule solution. »

Pour Bernard Mogenet, : « Le pastoralisme et le loup sont incompatibles. »

Selon Bernard Mogenet, « on a joué le jeu avec les contraintes accumulées. Mais il faut respecter notre travail. » Et de citer les indemnisations partielles. « L’État préconise mais ne s’engage pas. Notamment pour les patous, faiblement aidés. C’est au final l’éleveur qui en pâtit. Un éleveur qui veut faire de la vente directe en alpage est gêné par le patou qui peut faire peur aux gens. » – des panneaux doivent annoncer la présence de ces chiens de surveillance et des comportements de prudence sont à respecter.

L’État dans le collimateur des éleveurs

« Les éleveurs se sentent de plus en plus des parias de la société. On est mis à l’écart. Certains n’osent plus laisser seul le troupeau en montagne pour aller faire autre chose dans la vallée. Quant à l’aide-berger qui peut remplacer le titulaire, il est financé à 80% (versés par l’État plusieurs mois après l’embauche), le reste étant à la charge du berger. « Et il faut en trouver des aide-bergers. Certains arrêtent car c’est trop dur! »

La diatribe du président envers l’État s’alimente par le retard apporté dans les indemnisations. « C’est long. D’abord il faut retrouver les animaux morts, faire monter l’agent qui constate, et enfin attendre des mois pour recevoir l’argent. »
Les bergers subissent aussi la pression, notamment en Maurienne, où des attaques ont lieu en plein jour. «On demande donc une rallonge de tirs de 6 loups. On ne veut plus du loup dans les zones pastorales.»

Le loup doit être régulé

« La biodiversité des alpages est menacée car des combes sont abandonnées, »  déclare Bernard Mogenet. Et même si l’enfrichement peut favoriser d’autres espèces, il s’interroge sur le souhait des touristes ou randonneurs : « préfèrent-ils marcher dans des espaces entretenus ou pas ? » Pour lui, le loup doit être régulé.

librinfo : Et dans le Groupe loup, comment cela se passe-t-il ?

« Il n’y a plus d’ouverture. On assiste souvent à des affrontements, à une certaine radicalisation du monde de l’environnement, avec des écologistes de salon qui ont pris la place de personnes du monde rural. »
Au passage, Bernard Mogenet égratigne la Confédération paysanne qui lui paraît « floue ».

Devant ce constat pas très réjouissant, il renchérit en s’inquiétant de l’avenir de la profession. « Comment installer des jeunes demain ? »
Lui aussi dénonce la convention de Berne (il faut l’annuler ainsi que la directive Habitat-Faune-Flore) et affirme qu’en Italie, il y a des tirs sans autorisation, qu’en Espagne, on ne trouve pas d’activités économiques dans les parcs naturels comme chez nous.
Et de conclure en déplorant le laisser-aller de l’État. « On a laissé aller, comme d’ailleurs en Italie. Il faut donner des moyens.  »

Pour Bernard Mogenet, Pdt de la FDSEA des Savoie : « Il faut cantonner le loup dans des espaces réservés. Et s’il en sort, on tire dessus  »

On le voit les opinions sont très à fleur de peau, à la fois du côté des défenseurs de cet animal emblématique de la biodiversité, et du côté des organisations syndicales.
Il faudra bien trouver un compromis pour que le loup reste un acteur de l’équilibre de la nature, autant que ces hommes et femmes viscéralement attachés à leur pratique pastorale.

Auteur: Loïc Quintin

Partager cet article :

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.