Pour les riches, y’a encore du boulot !

Au Boulot ! était projeté ce vendredi 22 novembre au cinéma le Parnal à Thorens-Glières, en présence de son co-réalisateur Gilles Perret. Un documentaire aussi drôle qu’émouvant et subversif sur la découverte du « monde du travail » par Sarah Saldmann, riche avocate parisienne connue pour ses éructations audiovisuelles contre les soi-disant « assistés ». Et si les vrais assistés totalement déconnectés du monde du travail étaient bien plutôt les riches ?

Le Parnal, 22 novembre 2024 © Benjamin Joyeux

Ce vendredi 22 novembre, dès 17h30, la petite salle du cinéma Le Parnal à Thorens-Glières commence à se remplir pour la séance de 18h. Le film de ce soir est le dernier documentaire de François Ruffin et Gilles Perret, Au boulot !, en présence de ce dernier. Le pitch du film, c’est l’invitation faite par François Ruffin à l’avocate et chroniqueuse TV et radio Sarah Saldmann après avoir croisé celle-ci sur le plateau des Grandes Gueules en train d’éructer : « C’est quoi ce pays d’assistés ? De feignasses ?! » en parlant des gens touchant les minimas sociaux, ajoutant « le Smic, c’est déjà pas mal. » Le député-reporter propose alors à l’avocate des beaux quartiers d’essayer de vivre avec 1300 euros par mois et de le suivre pendant plusieurs jours à la rencontre des gens dont elle parle si violemment sans visiblement rien connaître de leur vie.

Sarah Saldmann accepte alors le défi, et la voilà partie sur les routes en compagnie de François Ruffin, suivie par la caméra de Gilles Perret, à la rencontre de livreurs, d’aides à domicile, d’ouvrières et ouvriers en poissonnerie, d’un agriculteur… aux quatre coins de la France. Et se dessine alors tout au long de leurs pérégrinations une magnifique série de portraits de gens ordinaires, bien souvent passionnés par leur travail mais confrontés en permanence à la précarité d’un système économique qui ne cesse de broyer ces métiers qualifiés pourtant d’« essentiels » lors des épisodes de confinement.

Il y a notamment cette séquence avec Louisa, auxiliaire de vie depuis 20 ans, qui témoigne les larmes aux yeux de l’amour de son métier qui permet de soulager les plus vulnérables pour un salaire de 1000 euros par mois. Et Sarah Saldmann de lui tomber dans les bras, émue aux larmes comme l’ensemble des spectateurs dans la salle au même moment. L’avocate que l’on verra par ailleurs distribuer des colis, nourrir et sortir un troupeau de vaches, écailler des poissons ou encore faire la toilette d’une personne âgée, sans jamais se départir d’une certaine arrogance qui sera toutefois de plus en plus fragilisée face à la bienveillance de tous ces gens ordinaires qui essayent simplement de vivre de leur métier, aussi modeste soit leur condition.

Héroïsme des gens, égoïsme de l’argent

C’est ainsi qu’au fur et à mesure, on s’aperçoit que l’avocate caricaturale des beau quartiers Sarah Saldmann n’est pas du tout le personnage principal du film, qui est bien plutôt dédié à tous ces gens « ordinaires », celles et ceux qui ont notamment fait tenir le pays lors de la pandémie de Covid 19. Une citation d’Emmanuelle Macron en avril 2020 est à cet égard régulièrement rappelée par François Ruffin : « Notre pays tout entier repose sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. Il faudra s’en rappeler. »

Une quinzaine de minutes avant la fin, l’avocate a d’ailleurs totalement disparu de l’écran, Ruffin expliquant non sans malice qu’il a fallu la « licencier ». En effet, même si Sarah Saldmann semblait commencer à donner des signes d’empathie et de compréhension vis-à-vis des salariés précaires au fur et à mesure de ses rencontres, le 7 octobre et l’horreur du déluge de feu qui s’est ensuite abattu sur Gaza sont passés par là. Et l’avocate chroniqueuse de reprendre ces diatribes exaltées sur des chaînes comme Cnews, justifiant les exactions injustifiables de l’armée israélienne. Difficile dans ces conditions de faire un film humaniste ici en ne prenant pas en compte ce qui se passe là-bas. Laissant ainsi le personnage à ses indécrottables à priori, le journaliste-reporter et son acolyte préfèrent finir leur film en apothéose à la gloire de tous ces gens croisés lors du film, donnant à voir l’héroïsme de l’ordinaire. Mieux vaut célébrer Louisa que Sarah.

Célébrer les gens et réinsérer les riches ?

Gilles Perret au Parnal, le 22 nov. 2024 © Benjamin Joyeux

Quand la lumière revient dans la salle, tout le monde applaudit à tout rompre. Gilles Perret explique alors la genèse de la démarche, n’ayant comme à son habitude avec François Ruffin pas pré-écrit de scénario ficelé, mais ayant laissé la trame de l’histoire se déployer au fur et à mesure des rencontres et de ce choc des cultures iconoclaste entre une riche avocate et chroniqueuse des beaux quartiers de la capitale et le monde du travail, qui tient debout malgré la précarité qui s’accélère et les inégalités qui se creusent.

Face aux questions de la salle, Gilles Perret tient à témoigner que « les gens sont globalement bienveillants et curieux de ce personnage de Sarah Saldmann » et jamais violents malgré les propos parfois arrogants et outrageux de l’avocate. Le réalisateur assume également le fait de « miser plus sur les émotions que sur des discours politiques pour faire bouger les gens », préférant « la joie et la rigolade » plutôt que de « dire aux spectateurs quoi penser ». 

Et il faut bien avouer que l’exercice est plutôt réussi. On sort de la projection avec l’idée en tête que finalement celles et ceux qui ont des problèmes d’insertion et semblent être les plus assistés sont les riches à la Sarah Saldmann, déconnectés des réalités et pérorant sur les ondes des idées toutes faites sur des milieux et des classes sociales qu’ils ne connaissent pas et ne croisent que rarement, enfermés dans leur milieu social. On pense au livre d’Hervé Kempf Comment les riches détruisent la planète[1], ou encore au collectif Sauvons les riches[2] (auquel le rédacteur de ces lignes a milité à la fin des années 2000), se battant alors pour l’instauration d’un revenu maximum et la réinsertion sociale des plus aisés, complètement déconnectés de la réalité. Ce qui était valable à l’époque l’est sans doute encore plus aujourd’hui, alors que les quatre milliardaires français les plus riches et leurs familles ont vu leur fortune augmenter de 87 % depuis 2020 tandis qu’un tiers des Français déclarent désormais sauter des repas à cause de l’inflation[3].

Même si certains trouveront peut-être le film caricatural, Au boulot ! vient en tous cas très utilement rappeler la deuxième partie de l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Ce qui n’est franchement pas du luxe par les temps qui courent.

Benjamin Joyeux

[1] https://www.editionspoints.com/ouvrage/comment-les-riches-detruisent-la-planete-herve-kempf/9782757888322

[2] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Sauvons_les_riches

[3] Lire notamment le rapport d’Oxfam France : https://www.oxfamfrance.org/rapports/multinationales-et-inegalites-multiples/

Auteur: Benjamin Joyeux

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