Par Sandra Stavo-Debauge
Le maire de la Clusaz qualifie à juste titre le domaine skiable de la combe de Balme de « grenier à neige ». Il n’empêche que la commune projette d’installer des canons à neige jusqu’à son sommet à 2500 m d’altitude, de terrasser et « remodeler » les pistes pour les rendre plus faciles à skier pour le skieur moyen, justifiant pour ce faire du remplacement du télésiège quatre places du col de Balme par un six places débrayables dont la nouvelle gare d’arrivée portera irrémédiablement atteinte à la ligne de crête des Aravis.
Malgré une majorité d’avis négatifs, l’enquête publique validée
Mis à l’enquête publique en février-mars 2025 (https://www.registre-dematerialise.fr/5950/), ce projet d’aménagement du secteur de Balme a été approuvé par le commissaire enquêteur le 16 avril, malgré une majorité d’avis négatifs (342 avis contre le projet, 329 pour). Le 17 le conseil municipal votait à l’unanimité les travaux…
Le domaine skiable de La Clusaz compte cinq massifs reliés dont celui de Balme, exploité depuis 61 ans. La combe de Balme a fait la renommée de la station et forgé les skieuses et skieurs locaux. L’icône Candide Thovex y a écrit son histoire. Temple du freeski, c’est là où les freerideurs affluent les jours de poudreuse. Avec le point le plus haut du domaine à 2500 m d’altitude, c’est le réservoir à neige naturelle de la station des Aravis.
Exposé Nord, on n’y voit pas le soleil en hiver. Cette partie du domaine est exigeante et demande un certain bagage technique en ski, ce qui fait son identité et le bonheur des férus de glisse attirés par sa pente, son relief et ses mouvements de terrains, ceux qui se détournent des pistes types boulevards, lisses, sans âme et sans saveur. Ce n’est pas sur ce massif à l’ombre que les familles se rendent de prime abord et encore moins pour débuter le ski, en tout cas sur sa partie haute. Elles plébiscitent plutôt Manigod-Merdassier (1500m), le plateau de Beauregard (1600 m) ou le Louveteau à 1500m sur le massif de l’Aiguille, qui jouissent d’une exposition au soleil, de pistes pour les débutants et les skieurs de niveau moyen.
Des conditions dégradée
Mais avec le réchauffement climatique et la limite pluie-neige qui remonte en altitude, les conditions de skiabilité se dégradent inexorablement, à mesure que la couverture en neige artificielle remonte, elle aussi, en altitude : à 1000 m même avec une armada de canons à neige, le ski n’est plus vraiment assuré, à 1500m, ça devient également critique. Ces dernières années, on a observé sur le terrain à La Clusaz que la neige naturelle tenait à partir de 1700 – 1800 m, bref ça chauffe sur les Alpes.
Augmenter les forfaits pour compenser la baisse d’enneigement
Quant au nombre de passages skieurs, il est sur une courbe descendante, mais pas le chiffre d’affaires de l’exploitant du domaine skiable, la SATELC (Société d’Aménagement Touristique et d’Exploitation de la Clusaz), du moins pas encore, le prix des forfaits journée ayant augmenté de près de 40% depuis 2019. Le ski monte en gamme pour compenser les pertes dues à la baisse d’enneigement. Faire payer les skieurs toujours plus pour des conditions de ski dégradées, avec un domaine skiable et une saison qui se contractent, un calcul hasardeux à moyen terme ; gare au retour de bâton… Les pauvres, La Clusaz n’en veut pas, mais même les riches iront bien vite chercher la neige ailleurs, car eux aussi n’aiment guère être pris pour des pigeons.
Du ski sous perfusion vers toujours plus de dépendance à la neige artificielle
Outre les augmentations du forfait, comment les élus et l’exploitant du domaine skiable s’adaptent-ils à notre nouvelle réalité climatique et envisagent l’avenir ?
En freinant des quatre fers sur le ski ? En commençant la reconversion de la station ? en réorientant dès à présent l’argent du ski qui coule encore à flot ? En diversifiant l’économie et pas que le tourisme ? En investissant dans l’humain plutôt que dans le techno-solutionnisme ?
Non, ils accentuent leur dépendance à la neige artificielle !
Leur solution, avec la montée en gamme, c’est de continuer à investir des dizaines de millions dans le ski de piste, livrer une guerre sans merci à la montagne à coup de canons à neige, de retenues collinaires, de remodelage des pistes, de téléportés qui emmènent plus de monde (alors que le nombre de skieurs décroît) plus vite « pour le confort des skieurs ».
Transformer des pistes rouges en pistes bleues.
Autre lubie, balafrer la montagne pour transformer des pistes rouges en pistes bleues. Ce n’est plus au skieur de s’adapter à la pente, c’est à la pente de s’adapter au skieur, telle est la « logique » illogique des aménageurs des domaines skiables…
Aménager le domaine skiable de Balme en terrain de jeu pour les touristes
Et toujours dans leur logique, tant qu’à faire du terrassement, autant installer des canons à neige jusqu’au sommet des pistes, à 2500 m d’altitude, alors même que le maire de La Clusaz qualifie ce site de « grenier à neige ».
Au siècle dernier, dans les années 1990, l’objectif des canons à neige était de « sécuriser » en neige les retours station à 1000 m d’altitude, puis les liaisons inter-massifs, afin de maintenir l’activité économique, ce qui s’entend. Sauf que ça a sérieusement dérapé depuis. Aujourd’hui sans enneigement artificiel, aucune station ne pourrait maintenir son activité, toutes y ont recours, même les plus hautes et les surfaces enneigées artificiellement ne cesse de croître.
En 2025, aller jusqu’à « sécuriser » via la neige artificielle son grenier à neige naturelle jusqu’à 2500 m, (augmentant au passage les besoins en eau et le stockage de cette dernière dans des retenues collinaires) pour espérer maintenir jusqu’en 2050 (et même jusqu’à la fin du siècle pensent-ils !) une activité de plus en plus prédatrice réservée à une élite, est caractéristique d’une fuite en avant, autrement dit une mal adaptation.
Un projet mis à l’enquête publique
Des canons jusqu’au sommet du col de Balme, l’ancien directeur de la SATELC qui était aussi président de Domaines skiables de France (le syndicat des exploitants des domaines skiables), y songeait. Ironie de l’histoire, il l’avait révélé lors de la réunion publique suite à la pénurie d’eau de l’automne 2018, réunion pendant laquelle la question de « boire ou skier » pour Noël se posait déjà.
C’était juste avant son départ en retraite. Dire qu’il n’était pas franchement versé sur l’écologie est un euphémisme, il est de la génération des aménageurs du plan neige. En revanche, son successeur, qui adhère à la CEC (Convention des entreprises pour le climat), est tout à fait conscient des enjeux écologiques et climatiques. Pourtant, sept ans après les vœux de son prédécesseur, le projet d’aménagement de la combe de Balme a été soumis à l’enquête publique par la commune, du 10 février au 17 mars 2025.
Il comprend :
– le remplacement du télésiège 4 places (2400 skieurs/heure) par un télésiège débrayable 6 places (3000 skieurs/heure) avec un temps de montée deux fois plus rapide ;
– le terrassement des pistes pour les rendre accessibles aux skieurs « moyens » (en 2026 sur les pistes Blanchot, Crête Blanche, Tête Blanche et en 2025 sur Bergerie) ;
– le « reprofilage » des zones en dévers pour « sauvegarder la neige » ;
– l’extension du réseau de neige de culture sur la piste de Bergerie en 2025, installations des canalisations sur la piste de Blanchot (2026) pour de futurs enneigeurs ;
– l’installation d’un nouveau système de déclenchement d’avalanche pour « sécuriser » la zone.
Ce projet défigurera à jamais une ligne de crête et une combe des Aravis qui était certes déjà aménagées, mais parcimonieusement. Mais rassurez-vous braves gens, le maire (assureur de métier) l’assure : l’impact visuel sera réduit par rapport à avant car le nouveau télésiège 6 places aura moins de pylônes et les sièges seront rangés en gare hors saison ! ll oublie de dire que les perches à canons qu’on ne range pas hors saison vont fleurir, que les gares de départ et d’arrivée vont enfler.
La gare d’arrivée type blockhaus aura beau être « enterrée », il faudra au préalable dynamiter la montagne. Les amoureux de la combe de Balme garderont un souvenir ému de l’arrivée du télésiège 4 places, avec sa petite cabane en bois discrète flanquée à flanc de falaise…
Quid du dérangement de la faune pendant les travaux ? Travaux qui attaquent dès cette année à Bergerie et se poursuivront au printemps 2026 pour une livraison du nouveau télésiège du col de Balme en décembre 2026.
Les contributions à l’enquête publique ont été nombreuses, démontrant, s’il le fallait encore, que les citoyens se sentent concernés par ce qui se passe en montagne.
Des conclusions passés sous les radars
Mais les conclusions de l’enquête publique sont passées sous les radars, alors qu’elles ont été rendues le 16 avril 2025. Il fallait aller les chercher sur le registre dématérialisé (https://www.registre-dematerialise.fr/5950/), aucune publicité n’en ayant été faite à notre connaissance, aucun média avant votre serviteur ne s’en étant encore faire l’écho, et ce, malgré le nombre élevé de contributions avec 686 observations recueillies. Faisant fis une nouvelle fois d’une opposition majoritaire à ce projet (sur les 671 observations valides, 342 sont contre, 329 pour), le projet d’aménagement de Balme a été approuvé par le commissaire enquêteur.
Dans son ouvrage Inutilité publique (Éditions Amsterdam, 208 pages, 18 euros), Frédéric Graber, historien de l’environnement au CNRS souligne que : « L’enquête publique participe d’une mise en scène de dialogue. »
En matière de mise en scène de dialogue, La Clusaz est passée experte
En novembre dernier, une réunion publique nommée « ateliers » pour donner au public l’illusion de participer en étant actif, n’a fait que mettre ce dernier devant des projets déjà ficelés par la commune dont celui de Balme, sans possibilité de débat. Edgar Grospiron qui était convié par le Maire pour introduire la soirée l’avait d’ailleurs rappelé : « il faut suivre le leader ». Pour la co-construction on repassera !
Selon Graber, comme le rapporte Le Monde[1] : « ces enquêtes publiques préalables aux travaux d’aménagement sont un « héritage direct » de dispositifs historiques qui privilégient le développement au détriment des effets sociaux et environnementaux. »
Preuve en est à La Clusaz : le 17 avril 2025, par une délibération adoptée à l’unanimité, le conseil municipal a autorisé le commencement des travaux d’aménagement de Balme.
Jusqu’à épuisement…Tout ça pour (espèrent-ils) tirer profit jusqu’au bout du bout du dernier bout d’or blanc, non sans deniers public (la maire a fait une demande de subventions à la Région). « Le ski finance la transition » et « sans le ski tout est fini », répètent-ils à l’envie. Et sans les subventions ? Dans notre ère de post-vérité, il suffit donc de justifier la défonce de la montagne et hypothéquer l’avenir sous couvert de transition ? Pensent-ils vraiment faire croire aux citoyens que c’est en injectant toujours plus d’argent dans le ski qu’ils financeront la transition, alors que la sagesse populaire veut plutôt qu’on refasse le toit quand il fait beau. De quelle transition parlent-ils et vers quoi ? Assurément pas vers la transition écologique, la sobriété – tant énergétique, que de la ressource en eau -, ni vers le ménagement des écosystèmes fragilisés en montagne.
Le commissaire enquêteur impose son opinion politique
Avec son attaque frontale de la décroissance, la conclusion et avis du commissaire enquêteur, M. Jean-Pierre Coendoz (ci-dessous), est édifiante :
« Ces conclusions relèvent plus d’un discours de politique générale que de l’analyse du cas particulier de l’aménagement de Balme. Les opinions politiques d’un commissaire enquêteur doivent-elles motiver son avis sur un projet ? », s’interroge le Collectif Fier Aravis.
Le commissaire enquêteur estime que le projet d’aménagement est « rationnel », il reconnaît toutefois dans son observation en page 9 de son rapport d’enquête que « Un point important reste un sujet de discussion : La vitesse à laquelle le changement climatique évolue » :
Un éclair de lucidité ?
Leur « guerre » à la montagne semble en effet perdue d’avance, leur choix ne faisant qu’augmenter le sentier de dépendance à la neige artificielle, empêchant de se projeter sur un modèle plus robuste, moins glouton en ressources naturelles telles que l’eau, bien commun déjà sous tension dans les Aravis.
Le modèle économique reposant sur le ski de piste est déjà très critiqué par l’opinion publique et la Cour des comptes (Cf. son rapport de 2024), tant et si bien que les élus et les exploitants des stations se plaignent du ski-bashing. Ces nouveaux travaux d’aménagement ne risquent hélas pas de redorer leur blason…