Mardi 17 juillet, à Briançon, une « garde à vue » en vue d’un « garde à vous » !

Avertissement : Cet  article a été rédigé suite à un communiqué envoyé par les organisations signataires** et s’inspire d’un article paru dans Reporterre : https://reporterre.net

Au moins quatre Briançonnais solidaires des migrants ont été convoqués ce mardi 17 juillet à la gendarmerie de Briançon pour « aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière ». Ils sont poursuivis pour leur participation à une manifestation de l’Italie à la France le 22 avril, répondant à l’opération du groupe d’extrême droite Génération Identitaire ayant bloqué depuis la veille le col de l’Échelle.

Le « délit de solidarité »* leur est en fait reproché.

De nombreuses personnes étaient venues les accompagner.

Cette convocation groupée s’inscrit dans le cadre de l’enquête ouverte lors du procès des «3 de Briançon» dont le jugement est reporté au 8 novembre. Elle prend la suite de nombreuses pressions et tentatives d’intimidation (convocations en audition libre, harcèlement téléphonique, surveillance des domiciles) que subissent depuis des mois des personnes solidaires dans la région.

La manifestation du 22 avril

Au soir du 22 avril, six personnes avaient été interpellées. Seuls ceux que l’on appelle désormais les « Trois de Briançon » – Théo et Bastien, de nationalité suisse, et Eleonora, italienne – avaient été maintenus en garde-à-vue, puis en détention provisoire pendant neuf jours. Le 31 mai, le tribunal de Gap à levé tout contrôle judiciaire les concernant et a reporté le jugement, au 8 novembre.

 

Mis en garde à vue pendant plus de 8 heures

Ce mardi 17 avril, les quatre militants convoqués à la gendarmerie de Briançon sont ressortis un peu après 17h30. Ils sont tous  convoqués au tribunal correctionnel de Gap le 8 novembre prochain, en même temps que les 3 de Briançon. Ils devront répondre d’avoir facilité l’entrée sur le territoire de personnes en situation irrégulière en bande organisée.

Benoît Ducos, lauréat d’un prix pour la paix délivré par la fondation Cospe en Italie, fait partie des quatre gardés à vue

Ils avaient participé à la manifestation entre Clavière (Italie) et Briançon le 22 avril dernier, en réaction à l’action de Génération identitaire au col de l’échelle.

 

Un lauréat d’un prix de la paix… poursuivi en justice

Le maraudeur Benoit Ducos, qui avait transporté une migrante nigériane enceinte au mois de mars, fait partie des gardés à vue. Deux militants du squat « Chez Marcel », Mathieu et Lisa, ainsi que « Juan », actif notamment au sein du squat « Chez Jesus » à Claviere, ont également été convoqués à 9 heures le 17 juillet.

Benoit Ducos n’a pas été surpris de cette garde à vue : « On savait que ça allait arriver. On en est à la stratégie employée plus tôt dans la Roya pour donner un coup de frein à l’aide ». « L’emploi de l’expression « bande organisée », ça fait peur, ça renvoi à association de malfaiteurs », analyse Agnès Antoine, membre de Tous Migrants et du comité de soutien aux Trois de Briançon. Benoit Ducos ne se démonte pas. « La frontière tue de plus en plus, et si on n’est pas là pour aider, on cours le risque que ça s’aggrave », dit-il. En mai, trois corps avaient été retrouvés sur cette frontière des Hautes-Alpes.

 

* Contrairement à ce que l’on peut croire, le délit de solidarité n’est pas abrogé par le conseil constitutionnel, mais aménagé

Suite à la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet dernier, beaucoup ont proclamé que « le délit de solidarité était désormais abrogé » en France.

Certes, le Conseil constitutionnel consacre le principe de fraternité pour ne pas pénaliser l’aide gratuite « au séjour » et « à la circulation », mais il ne lève pas les ambiguïtés de l’article L. 622-1 du CESEDA ayant conduit aux condamnations de bénévoles au motif d’une « action militante ».

En outre, la décision n’étend pas l’exemption pour l’aide désintéressée « à l’entrée » sur le territoire.

Selon le communiqué du ministère de l’Intérieur publié le même jour « l’exemption pénale pour l’aide apportée dans un but humanitaire ne doit pas s’étendre à l’aide apportée dans un but militant ou aux fins de faire obstacle à l’application de la loi ou à l’action de l’État ».

Les autorités française cherchent à inquiéter par tous les moyens. Depuis deux ans, au moins 50 Briançonnais ont fait l’objet d’une convocation à la Police aux frontières (PAF) ou à la gendarmerie, selon le recensement de l’association Tous Migrants. Et la décision du Conseil constitutionnel « n’empêchera pas les convocations sous le prétexte de vérifier qu’il n’y a pas eu d’aide à l’entrée ».

« Pour l’État, la solidarité devrait donc se réduire à apporter une aide humanitaire ponctuelle, côté français, à celles et ceux qui sont parvenus au péril de leur vie à passer la frontière. Autrement dit, dans le pays de la fraternité, seraient hors de cause les personnes qui aideraient par hasard et sans remettre en cause les politiques migratoires, et condamnables celles qui s’organiseraient en solidarité. Nous refusons cette stratégie de division. Les différentes pratiques de solidarité répondent toutes à la même nécessité de faire face aux violences des politiques migratoires actuelles ».

Selon des témoignages : « certains policiers poursuivent, piègent, giflent, déshabillent, volent, menacent à l’arme à feu des personnes, en toute impunité, dans l’invisibilité de la montagne. »

 

Sauver de la mort des juifs en 40 ou des migrants en 2018, un geste humanitaire de même nature

C’est le sens du texte écrit en 2016 par David Nakache, Président de l’association « Tous citoyens ! » à l’adresse du Préfet des Alpes maritimes, Georges-François Leclerc, auquel il reproche d’appliquer avec un zèle douteux l’expulsion des migrants venus d’Italie : « Non, Monsieur le Préfet, la solidarité n’est pas un délit, quand bien même elle montre au grand jour votre propre inaction et vos propres carences.

Car s’il y a des « désobéisseurs » dans la vallée de la Roya et plus généralement dans les Alpes-Maritimes, c’est avant tout pour pallier à l’inaptitude de l’Etat à faire face à la crise humanitaire majeure à laquelle nous sommes confrontés. De simples citoyens agissent là où l’Etat ne fait rien. Ils secourent d’autres être humains en périls, des personnes ayant fui des pays en guerre, traversé une partie du Sahara, la méditerranée, l’Italie, la frontière italo-française par les chemins de montagne et errent sur les routes. (…) Combien faudra-t-il de drames pour que vous réagissiez enfin, Monsieur le Préfet, (…) L’exemple de Calais ne vous a-t-il donc rien appris ?

Et dire que ces actes de secours, envers et par delà des lois iniques, nous rappellent les actes des « Justes parmi les Nations » ne veut pas dire que l’on compare l’incomparable, que la République française soit assimilée au Régime de Vichy, ni que l’Italie d’aujourd’hui soit semblable à celle de Mussolini. Bien évidemment les « désobéisseurs » d’aujourd’hui risquent des amendes et quelques mois de prison quand les « Justes » d’hier risquaient la déportation et la mort. Mais le geste d’humanité de ces citoyens qui bravent l’interdit pour secourir ceux qui sont en danger, quand bien même le contexte est différent et les risques encourus sont moindres, est au fond de même nature. »

Pour appliquer les consignes du Préfet Leclerc et celles du Ministère, la police aux frontières traque les exilé·e·s dans la montagne, jusqu’à provoquer des blessé·e·s et des mort·e·s, comme Blessing Matthew le 7 mai 2018.

Ce que l’on peut affirmer, c’est que le contrôle aux frontières des personnes à la peau noire contraint celles-ci à mettre leur vie en danger pour éviter les barrages et les refoulements quasi systématiques. Sans cela, tout le monde pourrait prendre le train, le bus ou un covoiturage pour voyager de l’Italie à la France.

Dans le même temps, la fraternité qui refuse cette mise en danger de personnes, est passible d’une accusation de trafic d’êtres humains, alors qu’elle cherche à prévenir les risques mortels en montagne, en accord avec les libertés fondamentales.

** Premiers signataires : Association LIRIDONA, Chemins Pluriels Embrun, Collectif pour l’avenir des Foyers, Comité du Mouvement de la Paix Embrun, Comité de soutien aux 3 de Briançon, Conseil National des Associations Familiales Laïques, GISTI, Icare 05, Itinérance Cherbourg, Justice & Liberté 67, Habitat & Citoyenneté, Ligue des Droits de l’Homme PACA, Marcel sans Frontières, MRAP 84, Pastorale des Migrants Marseille, RESF 43, RESF 48, RESF 80, RESF 84, Réseau Hospitalité 05, Roya Citoyenne, Système B, comme Bidonville, Terre d’Errance, Tous Migrants, Un jour la paix, Union Juive Française pour la Paix…

 

 

Auteur: gfumex

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