La montagne aux premières loges de « l’effondrement » ?

L’énorme éboulement qui vient de se produire ce dimanche en Savoie vient s’ajouter à la longue liste des écroulements qui se produisent à un rythme de plus en plus fréquent dans nos montagnes, sur fond de dérèglement climatique. Tant et si bien qu’on peut se demander si les fameuses théories de « l’effondrement » ne sont pas à prendre au sens premier du terme en montagne, nécessitant d’urgence des réponses politiques à la hauteur des enjeux :

Ce dimanche 27 août, peu après 17h, plus de 700 m3 de blocs rocheux se sont effondrés sur la commune de Saint-André[1], entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane, dans le département voisin de la Savoie, provoquant dans la foulée la fermeture de l’autoroute A43 et de la départementale 1006 dans les deux sens pour une durée indéterminée. L’éboulement a également provoqué la fermeture du tunnel de Fréjus ce dimanche et l’interruption de la circulation ferroviaire entre la France et l’Italie « au moins jusqu’au mercredi 30 août inclus » indique la SNCF sur son site internet. Le ministre des transports Clément Beaune a réagi sur Twitter[2] ce lundi pour souligner la mobilisation des services afin de « rétablir au plus vite la circulation routière et ferroviaire ». Même si les images sont très impressionnantes, il n’y a fort heureusement aucun blessé à déplorer. Néanmoins « on a frôlé la catastrophe » a notamment déclaré sur France 3 le maire de Modane Jean-Claude Raffin[3].

Des éboulements de plus en plus fréquents avec le changement climatique

Ce gigantesque éboulement vient s’ajouter à une liste de plus en plus longue et fréquente d’écroulements de roches en montagne qui posent de sérieuses questions, évidemment en termes de sécurité, mais également concernant le rôle du changement climatique dans ce phénomène. La semaine précédente, le mercredi 23 août, ce sont au moins 10 000 m3 de roches qui s’étaient détachés de la face nord de l’Aiguille du Midi, engendrant là-aussi des images spectaculaires et et ne faisant heureusement aucune victime. En 2022, environ 250 éboulements ont été répertoriés sur le seul massif du Mont Blanc, principalement entre juin et septembre, d’après le laboratoire Edytem[4] du Bourget-du-Lac, des phénomènes qui jusqu’à la fin des années 90 étaient presque inexistants.

Les scientifiques s’accordent quant au rôle prépondérant du changement climatique dans ces éboulements : en effet, le permafrost[5], glace permanente jouant le rôle de ciment naturel sur les parois de nos montagnes, fond désormais sous l’effet du réchauffement climatique et des épisodes caniculaires à répétition. Résultat, les parois rocheuses sont très fortement fragilisées et les éboulements se multiplient, mettant sérieusement en danger tant les alpinistes que la faune et la flore locale, de même que les habitant.e.s.

En ce qui concerne l’éboulement de Saint-André, la fonte du permafrost n’est pas en cause : d’après Philip Deline, Maître de conférences au laboratoire Edytem :

« La niche d’arrachement se situant quelques centaines de mètres au-dessus du fond de la vallée, le permafrost en est totalement absent. En revanche, de fortes précipitations ont pu potentiellement favoriser cet écroulement, qui a affecté un escarpement très raide constitué de schistes. »

Une chose paraît donc certaine : le changement climatique, provoquant la fonte du permafrost (ou pergélisol) tout comme la multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes tels que des épisodes de canicules suivis de fortes précipitations, vient gravement fragiliser l’ensemble de nos montagnes, qui semblaient pourtant invincibles et éternelles dans nos imaginaires collectifs. A se demander si le terme d’ « effondrement », à la mode dans les  milieux écologistes, n’est pas à prendre au sens premier du terme dans les territoires montagneux.

Mont-Blanc depuis Sous-Dine, juillet 2023 ©Benjamin Joyeux

« L’effondrement » des montagnes

Si les discours sur la « fin du monde » existent sans doute depuis des siècles (les Mayas la prévoyaient déjà), ils ont été fortement remis au goût du jour à partir des années 70 avec les préoccupations montantes autour des problématiques climatiques et de biodiversité liées à nos modes de vie. Plus récemment, c’est principalement Pablo Servigne, ingénieur agronome, qui a popularisé en France le terme d’« effondrement  » autour du concept de collapsologie[6] (du latin collapsus = « tombé en un seul bloc, écroulé » et du suffixe logie), avec son livre Comment tout peut s’effondrer[7] sorti en 2015.

Or en l’espèce, tous ces éboulements qui se multiplient dans les territoires montagneux ne semblent plus être du domaine de la théorie politique mais relever concrètement du réel : nos montagnes « s’effondrent » littéralement. Si les victimes restent encore rares en nos contrées, elles se multiplient à travers le globe[8] et le phénomène a malheureusement toutes les chances de s’aggraver.

Alors que l’Ultra trail du Mont Blanc (UTMB) débute vendredi prochain[9], il serait grand temps que l’ensemble des autorités prennent la pleine mesure des conséquences gravissimes du changement climatique sur nos montagnes, en ne se contentant pas de réagir aux catastrophes mais de les anticiper. Comme le souligne Valérie Paumier, de Résilience Montagne : « Il va falloir très vite que les villes et villages à risque, comme Chamonix par exemple, mettent en place des protocoles d’alerte et informent les habitants, les nouveaux habitants, les touristes, très sérieusement des potentiels risques. »[10]

Et au-delà des risques imminents pour la sécurité humaine, il semble urgent de repenser notre rapport à la montagne et l’ensemble des activités que nous y organisons : quand les roches se fragilisent, quand la ressource en eau se raréfie et quand la neige disparait, miser sur la pérennisation du tout ski par le financement de canons à neige et l’augmentation des retenues collinaires ou encore sur des grands travaux de type Lyon-Turin qui vont impacter encore davantage des montagnes et leurs zones aquifères, est-ce bien raisonnable ?

Pour l’instant, on semble bien privilégier le « tout schuss dans le mur », comme l’écrivaient les activistes de La Cluzad l’année dernière, alors que tout nous incite à commencer par prendre de la hauteur.

Benjamin Joyeux

[1] Voir https://www.francebleu.fr/infos/societe/savoie-plusieurs-axes-routiers-coupes-apres-un-eboulement-en-maurienne-6060965

[2] NDLR : qu’il faut désormais appeler X selon les dernières lubies d’Elon Musk.

[3] Voir https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/savoie/albertville/eboulement-en-savoie-on-a-frole-la-catastrophe-reunion-de-crise-et-expertises-en-cours-les-acces-toujours-coupes-2830454.html

[4] Voir https://edytem.osug.fr/

[5] Lire https://www.geo.fr/environnement/permafrost-gaz-methane-rechauffement-climatique-53512

[6] Pablo Servigne définit la collapsologie, comme « l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle, et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition, et sur des travaux scientifiques reconnus. »

[7] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Comment_tout_peut_s%27effondrer

[8] Voir par exemple https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20230324-l-himalaya-une-bombe-climatique-qui-menace-l-inde

[9] https://www.ledauphine.com/sport/2023/08/27/utmb-le-programme-et-les-resultats-de-la-20e-edition

[10] Lire https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7101670116211204096/

Auteur: Benjamin Joyeux

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1 commentaire

  1. Pour prendre en compte ces risques (on devrait parler de dangers) il faudrait une force opposable, une activité, une instance, un représentant, un défenseur des victimes potentielles…
    Autrefois on a constitué un État lequel servait les personnes, la population, … autrefois.

    Cet État n’a plus cette fonction de servir la population mais exclusivement les Dominants.
    « L’État ne peut pas tout, la crise … les contraintes du marché … »
    Bref, cette fonction de maintient au mieux du confort/bonne vie de la population, de la vie des individus a disparu.
    Pour preuves … non inutile, on sait la barbarie du capitalisme, instrument de dictature des riches.. (200 ans de saloperies ça laisse des traces)

    L’État, cet instrument de maintenance sociale, au service des gens a été préempté, volé par une classe de Dominants…
    Il y a donc de forts soucis à se faire tant la dégradation du régime suit une tendance indéniable : le fascisme.

    Mais une fois de plus, la population a pour elle une masse de chair à canon qui en mouvement parvient à terroriser les terroristes et autres bandits ..
    Contre la barbarie les solutions de réduction sont réduites.

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