Des montagnes jusqu’aux plaines, s’unir contre l’accaparement de l’eau

Qu’ils s’opposent aux retenus collinaires dans nos montagnes ou aux méga-bassines dans nos plaines, différents mouvements contre l’accaparement de l’eau s’étaient donnés rendez-vous le 20 février au soir à L’ECREVIS à Annecy. Une soirée bien remplie :

L’eau objet de toutes les attentions

Alors que la France connaît ces dernières semaines un nouvel épisode de sécheresse en plein hiver, avec des niveaux de pluviométrie historiquement bas, de plus en plus de tensions apparaissent autour de la gestion de l’eau. Pour les multinationales de l’agro-alimentaire, tout comme pour le business du ski, « l’or bleu » est une manne essentielle, et de plus en plus de projets d’accaparement de l’eau se font jour, créant des tensions sur les territoires. Mais en face, la résistance citoyenne s’organise, pour défendre l’eau en tant que bien commun.

Ainsi ce lundi 20 février, c’était salle comble à l’Ecrevis, l’emblématique tiers lieu de Meythet en périphérie d’Annecy, à deux pas de l’aérodrome. Une centaine de militants, activistes et simples citoyens y étaient rassemblés autour de la thématique de l’eau comme bien commun à défendre. Des représentants du collectif Bassines Non Merci[1], mouvement national de lutte contre les méga bassines, s’étaient déplacés exprès depuis l’ouest de la France (Poitou), à la rencontre des différents collectifs locaux. Des mouvements qui, comme Sauvons Beauregard[2], luttent contre l’accaparement de l’eau au seul profit du business du ski, en particulier à La Clusaz, où le projet de cinquième retenue collinaire a fait couler beaucoup d’encre depuis plusieurs mois.

Julien Le Guet qui intervient à L’ECREVIS ©Benjamin Joyeux

En préambule sauver l’ECREVIS

Le débat est précédé d’une rapide présentation du lieu L’ECREVIS, acronyme signifiant Espace Commun de Rencontres Extraordinaires Vecteur d’Idées à Suivre. Les propriétaires du bâtiment ayant décidé de le vendre, l’association qui gère le tiers lieu a besoin de rassembler 800 000 euros pour pouvoir continuer ses activités d’expérimentation sociale, culturelle et écologique et développer de nouvelles initiatives. Lieu assez unique dans un bassin annécien rongé par la spéculation immobilière et foncière, on leur souhaite donc bonne chance et la moindre contribution compte[3].

Gouvernance de L’ECREVIS ©Benjamin Joyeux

L’union nécessaire contre l’accaparement de l’eau

Ingrid d’XR Annecy ouvre la discussion, appelant les différents témoins à la barre. Brigitte prend la parole pour Sauvons Beauregard, rappelant les faits depuis le lancement du projet de cinquième retenue collinaire à La Clusaz portée par la municipalité. Alors que le Maire Didier Thevenet, élu en mai 2020, énonce dès le départ vouloir « aller jusqu’au bout », la concertation publique sur le projet fait l’objet de 1870 contributions, dont 76% d’avis défavorables. La résistance s’organise, avec des associations comme Protégeons la Joyère[4], La Nouvelle Montagne[5] ou encore le Collectif Fier Aravis[6] qui se regroupent sous la bannière de Sauvons le Plateau de Beauregard de la destruction. Ils vont ensuite rencontrer des activistes d’Extinction Rebellion (XR) Annecy[7] qui tout de suite proposent d’aider. Alors que la DUP (déclaration d’utilité publique) est signée par le préfet le 15 novembre 2021, une première ZAD (Zone à Défendre) prend place dans le Bois de la Colombière pour empêcher le lancement des travaux. Travaux qui sont repoussés une première fois. A l’été 2022, les 25 et 26 juin, différents collectifs convergent à La Clusaz pour la marche du Grondement des Cimes[8]. Alors qu’une nouvelle DUP est signée en septembre 2022 pour lancer les travaux, une ZAD s’installe pour la seconde fois dans le Bois de la Colombière. Puis le 25 octobre 2022, le Tribunal administratif de Grenoble suspend l’arrêté préfectoral[9], donnant raison aux opposants. Une victoire provisoire, la mairie de la Clusaz et le Ministère de la « Transition écologique » (SIC) ayant fait appel devant le Conseil d’Etat. Pour Brigitte, ça ne fait pas de doute, « c’est l’union à tous les niveaux qui est indispensable pour gagner ! »

Un « déni de démocratie »

Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci, insiste ensuite sur la responsabilité des pouvoirs publics « qui devraient être garants de l’intérêt général et qui participent aujourd’hui à l’accaparement d’un bien commun. » Il témoigne de la surveillance policière accrue dont font aujourd’hui l’objet des mouvements comme le sien, ayant notamment retrouvé sous son camion une balise GPS des forces de l’ordre. Des mouvements qui sont qualifiés à dessein d’« éco-terroristes » par l’actuel Ministre de l’Intérieur. Le militant explique comment sur son territoire, autour du Marais Poitevin, la culture intensive du maïs s’est développée de façon irrationnelle, nécessitant des quantités d’eau astronomiques, qui plus est provoquant des pics de consommation au pire moment, en juillet-août, lorsque les réserves en eau sont au plus bas. Les projets de méga-bassines sont là uniquement pour alimenter cette agriculture.

Forces de l’ordre à La Clusaz lors du Grondement des cimes, juin 2022 ©Benjamin Joyeux

Il y a aujourd’hui 16 projets de bassines sur 200 hectares, des bassines énormes devant être remplies par pompage, à l’heure où le coût de l’énergie explose. 70% de ces projets sont financés par de l’argent public, pour une poignée d’agriculteurs, souvent propriétaires de plus de 1000 hectares et seuls bénéficiaires de ces structures rejetées par la majorité de la population. Pour Julien Le Guet, sur les méga-bassines, comme sur les retenues collinaires en montagne, à La Clusaz et ailleurs, l’Etat est clairement défaillant. Et malgré des manifestations historiques, comme la petite commune de Sainte-Soline (Deux Sèvres) qui a accueilli plus de 3500 manifestants en octobre 2022[10], les travaux continuent. Un climat de « guerre civile » s’installe aujourd’hui autour des bassines et les budgets de maintien de l’ordre autour de celles-ci, encore de l’argent public, sont devenus faramineux.

Pour le militant, il s’agit d’un système de « néoféodalisme » et « la racine du mal réside clairement dans le déni de démocratie ». Mais il y a néanmoins de l’espoir car de très belles choses ont pu être observées lors des mobilisations à Sainte-Soline, comme un brassage intergénérationnel assez inédit. Ainsi pour le porte-parole de Bassines non merci, « la question de la sauvegarde de l’eau rassemble et est une occasion rêvée de dépasser nos clivages ».

Changer de modèle

De nombreux échanges ont ensuite lieu concernant les alternatives à opposer à l’accaparement de l’eau au profit d’une poignée d’agro-industriels et de promoteurs du tout ski. Pour l’ensemble des intervenant.e.s, Il faut clairement changer de modèle et faire de l’eau un bien commun. Joachim, de Bassines non merci, rappelle notamment que les 60 millions d’euros mis aujourd’hui dans ces bassines pourraient être bien plus utilement investis dans une réflexion sur une gestion démocratique et durable de l’eau. Pour Valérie Paumier, de Résilience Montagne[11], il faut rassurer et accompagner les personnes qui veulent s’opposer à ce type de projet mais qui sont victimes de très fortes pressions dans des milieux endogènes comme La Clusaz. Il s’agit de proposer également des mesures très concrètes comme l’arrêt de la défiscalisation sur le neuf dans l’immobilier.

Le droit apparaît pour beaucoup comme un outil essentiel dont il faut s’emparer, non seulement en faisant respecter en justice des textes comme la directive européenne sur l’eau[12] ou encore l’article L 214 du code de l’environnement[13], mais également en soutenant toutes les initiatives qui se développent autour de l’attribution de personnalité juridique à des entités naturelles pour les protéger de la spéculation et des pollutions en tous genres[14]. Ironie de l’histoire de voir ces militantes et militants présentés actuellement comme des « éco-terroristes » par les pouvoirs publics, qui en appellent au respect du droit et de la loi afin de défendre les biens communs contre la prédation.

Convergence poitevine fin mars

La suite de la mobilisation et de la convergence est prévue pour le weekend du 24 au 26 mars, dans les Deux-Sèvres, en territoire poitevin[15]. Des convois de tracteurs, mais également de vélos en provenance de Bretagne ou encore du bordelais ont prévu de converger, et tout le monde est invité au lendemain de la Journée mondiale de l’eau le 22 mars prochain. Le lieu exact est pour l’instant tenu secret, mais un programme « exceptionnel » est prévu, avec des concerts et la présence de nombreuses personnalités nationales comme internationales. Des bus partiront notamment de Genève et de Lyon. Un moment important pour la défense de l’eau comme bien commun, comme le fut cette soirée militante à L’ECREVIS.

Finalement, comme l’écrivait Gaston Bachelard :

« une goutte d’eau puissante suffit pour créer un monde et pour dissoudre la nuit ».

Benjamin Joyeux

[1] Voir https://bassinesnonmerci.fr/

[2] https://www.facebook.com/sauvonsbeauregard/?locale=fr_FR

[3] Voir https://ecrevis.eco/site/avenir/

[4] https://protegeons-la-joyere.fr/

[5] https://www.lanouvellemontagne.com/

[6] https://www.facebook.com/collectiffieraravis/

[7] https://extinctionrebellion.fr/branches/annecy/

[8] Voir notamment https://librinfo74.fr/la-marche-du-grondement-des-cimes/ 

[9] Lire http://grenoble.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Communiques/Le-juge-des-referes-suspend-l-execution-de-l-arrete-du-prefet-de-la-Haute-Savoie-accordant-une-autorisation-environnementale-a-la-commune-de-La-Clusaz-pour-la-realisation-d-une-retenue-collinaire

[10] Lire notamment https://reporterre.net/A-Sainte-Soline-des-milliers-de-manifestants-refusent-les-megabassines

[11] https://www.resiliencemontagne.org/

[12] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Directive-cadre_sur_l%27eau

[13] Lire https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074220/LEGISCTA000006159223/#LEGISCTA000006159223

[14] Lire par exemple https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/21/accorder-des-droits-a-la-nature-une-revolution-juridique-qui-bouscule-notre-vision-du-monde_6146749_3232.html#:~:text=Si%20donner%20une%20personnalit%C3%A9%20juridique,nature%20%C2%BB%2C%20pr%C3%A9cise%20Marine%20Calmet.

[15] Voir https://bassinesnonmerci.fr/index.php/2023/01/12/25-mars-pas-une-bassine-de-plus-mobilisation-internationale-pour-la-defense-de-leau/

Auteur: Benjamin Joyeux

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