Coupe du monde de biathlon : Mon Grand-Bo comme un camion

Par Sandra Stavo-Debauge

L’histoire bégaie et/ou radote : comme en 2021 et en 2022, lundi 2 décembre à 7h, la ronde des camions transportant de la neige a (re)commencé, au Grand-Bornand pour enneiger le stade de biathlon international Sylvie Bacaert[1] en vue de la Coupe du monde de biathlon qui se déroulera du 16 au 22 décembre prochain, la seule étape française du circuit IBU. Si le bilan carbone du transport de la neige est une paille par rapport à celui du déplacement des 60 000 visiteurs attendus, des athlètes et des media, il fait malgré tout parti du problème. Ce ballet de camions n’est-il pas le symbole d’un acharnement thérapeutique ? Le maintien coûte que coûte d’une compétition à 930 mètres d’altitude a-t-il encore du sens en 2024 ?

Les élus des stations de ski ont une fâcheuse tendance à la victimisation : ils geignent du ski bashing tout en tendant la perche des remonte pentes pour se faire battre, tels des pompiers pyromanes.

Au Grand-Bornand, si le ballet de camions transportant de la neige pour enneiger le stade de biathlon est passé sous silence pendant bien des années – c’est la sixième fois que la station accueille la coupe du monde de biathlon depuis 2013 -, aujourd’hui, avec la conscience environnementale grandissante de la population, le réchauffement climatique, les enjeux économiques et sociaux, ce n’est plus le cas. En 2022, la station avait déclenché un bad buzz et suscité une vive polémique. On aurait donc pu penser qu’échaudés, les organisateurs ne remettraient pas ça en 2024. Que nenni !

 

2 décembre 2024 au Grand-Bornand : c’est tout vert

Ce lundi 2 décembre, au Grand-Bornand, hormis ce serpent blanc qui commence à se dérouler sur le stade, c’est tout vert. Il fait 8°C à 10h30, on relèvera jusqu’à 13°C vers 13h… La nuit, il ne gèle pas, les canons à neige mobiles autour du stade de biathlon sont à l’arrêt. Des tas de neige famélique ont pu être produits entre le 22 et le 23 novembre, la nuit où les températures sont restées négatives.

A J-14 des débuts des entraînements, il faut bien enneiger la piste, coûte que coûte.

Alors ce 2 décembre, dès 7h du matin, en présence des bleus (ce qui traduit la fébrilité des organisateurs craignant peut-être une action des activistes défenseurs du vivant), les semi-remorques à benne et autres monstres de 5 et 6 essieux ont commencé à attaquer leurs rotations plein gaz(ole) entre le Chinaillon, où ils chargent la neige stockée dans le trou à neige en bas du Maroly, et le Grand-Bornand où ils la déchargent sur le stade Sylvie Becaert à 930m d’altitude.

Il faut 20 000m3 de neige pour enneiger les 3,3 kilomètres de piste de la course. Ce ballet aura duré deux jours et demi. Le temps de vider le trou à neige du Chinaillon ?

 

Le snowfarming, le nouveau dada

Avec une profondeur qui fait jusqu’à 8 mètres, sa capacité est de 30 000m3. Il stocke la neige de l’hiver dernier (principalement artificielle), elle est recouverte de sciure de bois pour sa conservation, c’est ce qu’on appelle le snowfarming, justification « verte » pour faire perdurer l’or blanc.

Cette nouvelle solution « miracle » ne réduit en rien la dépendance à la neige et repousse encore le moment de se transformer. Ce trou n’était pas complètement rempli, il y a eu très peu de neige l’hiver dernier à moyenne altitude, et il faisait trop chaud pour que les canons à neige soient effectifs ! Mais le trou à neige l’était suffisamment pour que les camions tournent pendant deux jours et demi. Une dameuse tourne en permanence pour pousser la neige vers une pelleteuse, pelleteuse qui charge la neige dans son godet et la dépose dans la benne des camions (d’une capacité moyenne de chargement de 15m3), ce qui prend environ 3 minutes par camion. Une fois le camion chargé, un autre prend sa place. Ce ballet dure jusqu’à 18h avec une pause à midi.  

Outre ce trou à neige au Chinaillon déjà agrandi il y a quelques années, le Grand-Bornand dispose de quatre autres stockages de neige : deux dans la vallée du Bouchet (qui nécessite aussi du transport par camion jusqu’au stade), et deux sur le site même du stade de biathlon au pied du village (même si l’un des deux de 12 000 m3 créé l’an dernier n’est pas encore opérationnel).

Ces gros tas couverts de sciure ne sont pas du plus bel effet visuellement parlant en été et en automne. Ils sont une justification pour le comité organisateur de l’effort fourni pour réduire l’impact environnemental en fabricant et stockant la neige sur place pour, à terme, se passer du transport par camion. « Cette neige stockée, c’est de la neige qu’on peut fabriquer, d’abord qui est en partie de la neige naturelle qu’on ramasse, d’autre part qui est complétée par de la neige de culture qu’on peut faire dans l’année qui précède dans des conditions idéales d’hygrométrie comme de température et donc de baisser l’énergie et les consommations d’eau », argue le maire André Perrillat-Amédé.

Encore faudra-t-il à l’avenir qu’il y ait encore de la neige à stocker (cette denrée se raréfiant en dessous de 1700m) et suffisamment de période de froid pour que les canons en produisent…

En dépit du réchauffement, tous les moyens sont bons pour maintenir cette compétition : une septième édition est déjà signée pour 2025 et la station a de nouveau candidaté pour 2026-2030 (réponse de l’IBU attendue pour début 2025). Ce site accueillera en outre les Jeux Olympiques d’hiver 2030, si ces derniers ne sont pas contrariés par une crise politique, géopolitique, sociale, climatique… C’est que le « vieux » monde capitaliste basé sur le culte de la performance, de l’exploitation des ressources et de l’humain, s’accroche : dans un élan suicidaire, il s’emploie à réchauffer encore un peu plus la planète ce qui fera fondre encore un peu plus vite la neige…

 

Dissonance cognitive ?

Conscient que ces camions remplis de neige n’ont pas bonne presse et peuvent écorner l’image du village, le maire défend « son biathlon » dans les media. On passe sur les poncifs : événement fédérateur, social, la compétition, les valeurs du sport, donner l’envie aux jeunes de faire du sport, le rayonnement du territoire, les 125 millions de téléspectateurs, la vitrine du village, le poumon économique pour le village, faire vivre des émotions aux gens, tout ça, tout ça…  Reconnaissons qu’à chaque édition, les spectateurs affluent et c’est la ferveur. On a beau le faire avec ferveur, on court quand même vers le gouffre… Ne faut-il pas interroger cette épreuve, qui plus est à cette date ?

L’édile se dit « responsable », il nous le répètera quatre fois (la méthode Coué pour mieux s’en convaincre lui-même ?). Hors de question pour lui de remettre en cause le biathlon, « le biathlon fait partie des fondamentaux de notre commune et ça n’est pas d’aujourd’hui que l’on a cet investissement pour cette disciplineCet événement fait sens et s’inscrit dans notre politique événementielle, il est connu et reconnu. » Tout au plus, le décaler : « On peut réfléchir à faire l’événement peut-être plus au cœur de l’hiver, de janvier par exemple, mais on n’est pas les décideurs, ce sera l’IBU qui a aussi ses propres critères. »

Il rappelle que toute compétition internationale, quelle que soit la discipline de glisse (alpin ou nordique), à quelque altitude, latitude que ce soit, « fait appel à de la neige de culture travaillée pour des raisons qui tiennent à la fiabilité, qui tiennent surtout aussi à la sécurité des coureurs, et à l’équité. (…) l’utilisation de la neige de culture n’est pas liée en circonstance avec le réchauffement climatique, ce sera toujours une réalité. Par rapport à ce type d’événement et à ce qu’il représente, il y a l’empreinte mais parlons aussi de tous les éléments positifs tant sur le plan social que sociétal… »

Il égrène les efforts faits pour minimiser les impacts environnementaux ; l’IBU exige qu’il y ait un bilan carbone établi sur des bases complètes et ce bilan carbone on le tient depuis quelques éditions. Je peux faire référence à celui de 2022 c’est clair que 80 % de cette empreinte carbone est liée aux déplacements du public, des véhicules et tout ce qui tourne autour des déplacements et que la partie neige effectivement a aussi son empreinte :  0,8%[2] avec aussi bien fabrication, que stockage que déplacement et que mise en œuvre . On sait que le sujet est fortement sensible, mais nous y travaillons. De la même manière que nous travaillons sur les déplacements[3], sur l’alimentation[4], sur l’hébergement[5], et la gestion des déchets, on le fait en pleine responsabilité. »

Le maire a beau avancer ses arguments, pour Fiona Mille, la présidente de Mountain Wilderness : « Les rotations en camion sont le symbole de ce modèle à bout de souffle qu’on cherche à faire perdurer.
Mauvais signal envoyé à l’ensemble des stations de moyenne montagne dans une période où nous devons plutôt travailler sur d’autres perspectives pour des modèles économiques permettant une vie à l’année en montagne dans le respect des milieux naturels et des limites planétaires
. »

Pour l’habitant Marc Lucchesi, membre du collectif Fier Aravis, qui s’investit aussi pour le secours populaire et constate que la pauvreté grandit, y compris au village (entre 10 à 20% de personnes vivent sous le seuil de pauvreté), tout ça le met en rogne : « quand tu reviens de faire des ramasses dans le coin et des maraudes à Annecy pour les précaires et que tu vois qu’il trimballent de la neige en camion pour la gloire du Grand-Bornand et du biathlon, qu’ils balancent des millions pour ça, là, il y a quelque chose qui ne va pas. »

La décence ordinaire si chère à Corinne Morel-Darleux dans son essai Mieux vaut couler en beauté que flotter sans grâce, réflexions sur l’effondrement ne semble pas être de mise, en tout cas dans les Aravis d’en haut qui retardent encore la transformation et la diversification économique…

 

L’histoire d’Annecy avec le biathlon (été comme hiver) a du plomb dans l’aile

Le maire d’Annecy, François Astorg, a annoncé ce samedi 7 décembre à nos confrères de Libération que la ville d’Annecy ne soutiendrait plus la coupe du monde de biathlon au Grand-Bornand pour la période 2026-2030 (événement qu’elle subventionnait à hauteur de 100 000 euros). Le groupe Oui Annecy, qui avait voté en conseil municipal contre la convention de 2024 du partenariat avec la coupe du monde de biathlon, s’en réjouit sur les réseaux : « Il est de notre devoir d’élus de ne plus maintenir des partenariats sportifs ou économiques « quoi qu’il en coûte » dans des lieux qui subissent de plein fouet le dérèglement climatique. Continuer un tel partenariat, c’est continuer à regarder ailleurs. »

Rappelons que le maire a aussi annoncé fin novembre la fin du partenariat de la ville avec le Martin Fourcade Nordic Festival, l’événement estival de qui se déroulait sur le Pâquier.

 

 

[1] Pour qu’un stade de biathlon soit homologué, le cahier des charges de l’IBU demande de pouvoir actionner trois leviers différents pour la partie neige  :
  • 1) un site naturellement enneigé historiquement (avec des relevés de températures, de chutes de neige , de nombre de jours de neige sur les 20 dernières années),
  • 2) avoir un dispositif d’enneigement avec de la neige de culture
  • 3) de la neige de stockage.
[2] « 38 tonnes très précisément (sur un total de 4.800 tonnes de CO2) » relèvent nos confrères de France Bleue
[3] Déplacement direct en bus depuis Annecy en lien avec les TER de Lyon , Grenoble, St Etienne. Système de navettes depuis Thônes et Val de Borne, plateforme de covoiturage Togetzer 
[4] 5% du bilan carbone de l’événement
[5] 12% du bilan carbone

Auteur: librinfo74

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