Au nom de l’éthique, les bouquetins du Bargy

CHRONIQUE NATURE

Lorsque j’ai débuté mon métier d’accompagnateur en montagne voici plus de vingt ans, quand on me demandait le nom d’une fleur, si je le connaissais, je le donnais. Mais la botanique est une affaire de pratique. Au fil de mes belles pérégrinations, j’ai appris à découvrir, plus que son nom, ce qu’une fleur signifiait, à quoi elle servait dans un tout. Cette riche nature m’a appris à discerner toutes ses imbrications, ce qu’on désigne par biodiversité. La diversité de la vie.

Cette vie, si précieuse à tout être vivant, de quel droit l’arracherait-on à un bouquetin ou à un animal domestique sous prétexte qu’il est porteur d’une maladie ? Elimine-t-on les hommes et femmes qui sont atteints d’un virus ?

 

Pourquoi devrait-on faire aux animaux ce qu’on se refuse à pratiquer sur les hommes ?

Derrière ces propos se dessine une certaine éthique, chère à Théodore Monod, dont le buste orne désormais le parc du Muséum d’histoire naturelle, que j’ai eu plaisir à rencontrer et dont je me suis souvent inspiré, et une logique d’harmonie avec ma propre conscience.

Quelques extraits du dernier livre de Matthieu Ricard, « Plaidoyer pour les animaux », étayent ma réflexion profonde. A propos du respect vis-à-vis du vivant, voici ce qu’il dit :

« Manquer de respect par orgueil, c’est imaginer que la supériorité qui est la nôtre dans certains domaines nous confère le droit de vie et de mort sur les animaux. Manquer de respect par égoïsme, c’est utiliser les animaux comme s’ils étaient de simples instruments destinés à satisfaire nos désirs ou promouvoir nos intérêts financiers. Enfin, manquer de respect par idéologie, c’est justifier notre instrumentalisation des animaux sur la base de dogmes religieux, de théories philosophiques ou de traditions culturelles. »

« Notre attitude vis-à-vis des animaux remet en cause et fragilise l’ensemble de notre éthique. Celle-ci régit en effet la façon dont nous nous comportons les uns avec les autres. Elle exige que nous leur accordions une valeur intrinsèque, que nous ayons de la considération pour eux et que nous tenions compte de leurs aspirations légitimes. Si nous excluons l’ensemble des êtres non-humains de notre système éthique, celui-ci devient bancal. »

 

De quel droit, selon le célèbre adage, ferait-on aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse à nous-mêmes ?

Matthieu Ricard poursuit en affirmant que « le droit de vivre et de ne pas souffrir ne peut pas être le seul privilège des humains. »

Je ne peux qu’approuver ces propos et lancer un appel à la raison quand il conclut ainsi : « Il nous incombe à tous de continuer à favoriser l’avènement d’une justice et d’une compassion impartiales envers l’ensemble des êtres sensibles. La bonté n’est pas une obligation : elle est la plus noble expression de la nature humaine. »

Dans le cas du Bargy, tous ces propos peuvent vous paraître naïfs. Mais quand, comme d’autres, on a arpenté le terrain fabuleux de la montagne, de la mer ou du désert, on se rend compte à quel point le sauvage s’inscrit dans nos gènes et que le défendre, c’est défendre l’Homme en tant qu’être vivant. Et puis, n’en déplaise aux incrédules, l’évolution doit se faire, car, comme disait Gandhi, apôtre de la non-violence, au sujet de l’opinion sceptique : « D’abord, ils vous ignorent, puis ils rient de vous, puis ils vous combattent, puis vous gagnez. » Pensons à l’abolition de l’esclavage, à la défense des droits de l’Homme, au vote des femmes, à l’abolition de la peine de mort, etc…

Parfois, émerveillé par cette grâce que nous offre la nature, j’ai pleuré devant la beauté d’une fleur. J’ai aussi frissonné de peur et de plaisir en entendant le brame du cerf. Les larmes ont coulé devant la placidité d’un bouquetin, mon animal préféré du milieu montagnard, ou encore lorsqu’un gypaète barbu m’a survolé, déployant sa majesté céleste.

L’animal, les animaux, dont le bouquetin, nous enseignent la tolérance, la solidarité, la patience, la puissance tranquille et d’autres choses à découvrir. Il suffit de les observer.

Je voudrais donc encore et toujours observer les bouquetins du Bargy. Leur élimination, qu’ils soient sains ou non – alors qu’il existe maintes autres solutions -, serait une atteinte immorale à la nature et inhumaine, au sens profond de l’éthique humaniste.

Tant d’êtres vivants, tant de flore, tant de faune disparaissent chaque jour au nom de la « supériorité » aveugle humaine, que nous – amis conscients de la nature – pouvons contribuer à sauver ce qui reste, sous peine de scier la branche sur laquelle l’humanité est assise.

 

Comme le disait Samivel : « Il existe un monde d’espace, d’eau libre,

                                           De bêtes naïves

                                           Où brille encore

                                          La jeunesse du monde.

                                           Et il dépend de nous,

                                           Et de nous seuls, qu’il survive. »

Auteur: Loïc Quintin

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