Paul Rochet, un boulanger pétri d’humanité.

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Le Fournil des Eparis sent bon le pain amoureusement cuit.

Paul Rochet est à la manœuvre. Issu d’une famille de quatorze frères et sœurs, de parents paysans nés au Grand-Bornand, il a su donner à son pain l’odeur du terroir.

Après des études classiques, puis en technique, il obtient un CAP de maintenance en mécanique d’entretien et exerce dans une fromagerie industrielle. Celle-ci ferme en 2000. « C’était une entreprise familiale et on faisait presque tout ensemble », décrit Paul. Cette fermeture va lui mettre la puce à l’oreille. Déjà dans les années quatre-vingt, son père l’emmène en campagne et il mange du pain au levain, confectionné grâce à des blés paysans. « J’ai alors recherché à faire du pain, mais j’ai échoué ! » Et puis, Claude Aubert, ingénieur agronome, et Terre vivante, lui expliquent la fermentation. Dès lors, le déclic s’effectue et il cuit son pain avec levain et farine bio, sans additifs. Nous sommes en 1995. Depuis, sa méthode de fabrication n’a pas changé.

 

Alliance paysans-boulanger

 

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Sa reconversion est en marche et il obtient un CAP de boulanger, construit son fournil. Il décide de travailler avec des paysans meuniers du Trièves et des Hautes-Alpes. Se présente aussi l’opportunité d’acheter un moulin à Marcellaz-Albanais, avec une meule de pierre, lui fournissant une partie des farines. « J’achète la production de blé de trois agriculteurs en Albanais, à Sales, Montagny-les-Lanches et Versonnex. » Cette alliance entre paysans et boulanger fait de lui le seul à travailler ainsi à la ronde.

Au Fournil travaillent cinq personnes plus Paul. Quatre boulangers et une vendeuse, dont deux à temps plein, un meunier et une boulangère. « Des gens sont venus ici pour chercher quelque chose, pas forcément pour le métier. Certains se cherchent eux-mêmes. » Paul serait-il un boulanger psychologue ? Il répond d’un mot qu’on pourrait croire une boutade mais qui traduit son amour pour le métier : « On reconnaît le pain à l’humeur et à l’énergie mise dedans. »

Le Fournil ne paye pas de mine, en pleine campagne, jouxtant la maison de Paul. Trois fours au feu de bois, dont un mobile, servent à confectionner des pains spéciaux (dont le seigle cultivé dans le coin) au levain naturel et aux farines de meule, ce qui est loin d’être courant. En outre, le boulanger travaille avec un paludier de Guérande, plus précisément l’île de Batz. « Les blés sont paysans, je le répète, sans semenciers donc, sélectionnés et conservés, avec des variétés rares, notamment une variété retrouvée, le Mottet rouge et blanc. »

 

De la céréale ancienne

 

« C’est une histoire de la culture, s’enflamme légèrement Paul, car c’est un calme. Après guerre, les blés ont été fragilisés par la potasse et autres intrants. Alors que les variétés anciennes peuvent atteindre 1,50 m à 2 m de haut. Avec le monogame, le blé se fragilise tout seul. Après plusieurs années des blés ont été récupérés aux quatre coin de la planète et en mélangeant on a toujours une récolte. »

Paul Rochet se considère comme un boulanger à la marge par rapport à la profession en général. D’autant qu’il étoffe son activité en s’ouvrant au monde extérieur.

 

Ateliers thérapeutiques

 

En effet, depuis deux ans, il encadre des ateliers thérapeutiques. « Un psychologue était passé au fournil. Il travaillait dans un hôpital psychiatrique de Lyon. Je suis allé là-bas, dans un service psychiatrique. Et on a donc monté sept ateliers avec des malades psychiques (schizophrènes, violents, etc) dans un milieu fermé. Cela s’est très bien passé, à la fois pour les malades et les soignants. Toucher la pâte est sensuel, maternel, comme si on touchait une peau. Et de voir l’évolution d’une pâte, ça secoue ! D’autre part, ça montre à ces gens malades que faire quelque chose de leurs mains est valorisant. D’autant qu’ils ont pétri, enfourné et sont partis avec leur pain pour le partager. » Depuis cette riche expérience, Paul travaille régulièrement avec des ateliers protégés comme par exemple l’Epanou. La demande ne manque pas – parfois le financement des ateliers – et les retours sont positifs. Il aimerait encore faire plus dans ce sens, mais il n’a pas le temps de s’occuper de tout. Cet altruisme est peut-être dû au fait – il en convient – qu’il est issu d’une famille nombreuse et qu’il fallait s’entraider. La fibre solidaire est là.

A 59 ans, Paul parle de son métier avec amour et passion : « Quand on regarde toucher la pâte, plein d’informations sortent sur la personne qui le fait. »

 

Ateliers découverte, hors engrenage

 

Alors il poursuit sa tâche et son ouverture envers les autres, à travers des ateliers découverte. « A une époque, j’avais envie de transmettre mon entreprise, de la mettre en SCOP, et me consacrer à quelque chose de plus large, différent. Et puis le Fournil a continué. »

Tout ça pour dire que ses employés sont payés plus que le SMIC, avec un emploi du temps variable, et il entretient une certaine ambiance. Il n’est pas dans l’engrenage du toujours plus, même si le chiffre d’affaires, de par la qualité qu’il produit, augmente régulièrement. Même si la surface de cuisson n’est pas assez grande – il voudrait créer un four pratique à utiliser – Paul avoue qu’il n’a pas besoin de beaucoup d’argent. « C’est la passion qui m’anime. Je ne compte pas mes heures. » Et au passage de lancer quelques piques envers le système boulanger général (chaînes de magasins) qui privilégie le business.

Paul, de son air bon enfant derrière sa moustache, mais attentif à la bonne marche du Fournil, décoche calmement un :  « Je suis un homme heureux. »

Auteur: Loïc Quintin

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