Une leçon indienne de non-violence

Le célèbre activiste indien Rajagopal était de passage éclair à Genève vendredi dernier pour finir sa tournée européenne. L’occasion d’aborder avec lui la question de la non-violence, assez nécessaire par les temps qui courent, de même que son analyse des résultats des élections générales indiennes qui viennent de se dérouler. Des informations en provenance de la « plus grande démocratie du monde » qui peuvent utilement nous éclairer sur notre situation en France :

Après des jours et des jours de pluie, le soleil fait presque son apparition sur Cara en ce vendredi après-midi du 14 juin, à proximité du petit village suisse de Presinge, à quelques encablures de la frontière française et en périphérie de Genève. Rajagopal P.V, activiste indien héritier du Mahatma Gandhi, est de passage éclair pour rendre hommage à son ami Paul Grant[1], grand musicien expert des musiques traditionnelles indiennes et décédé récemment, et voir quelques un.es de ses ami.es de Genève et ses alentours. Il doit repartir dès le lendemain et n’a donc que quelques heures à nous consacrer, au milieu d’un jardin luxuriant où le concert permanent des oiseaux fait oublier la proximité urbaine d’Annemasse et de Genève.

Rajagopal à Cara le vendredi 14 juin 2024 ©Benjamin Joyeux

La kurta indienne de Rajagopal, d’un blanc immaculé, contraste avec le vert émeraude ambiant du jardin, et celui-ci, incapable comme à son accoutumé de se départir de son sourire, fait oublier ses 76 printemps et ses dizaines de milliers de km à pied au compteur. Rajagopal et ses ami.es d’Ekta Parishad[2], le mouvement indien qu’il a fondé au début des années 90, sont en effet à l’origine de grandes marches non-violentes, ou padyatras, dans la lignée du Mahatma Gandhi, qui les ont faits connaître à l’échelle de toute l’Inde puis à l’international. Leur objectif principal ? Redonner aux adivasis (les peuples autochtones indiens bien souvent expropriés de leurs terres et marginalisées du développement exponentiel que le pays a connu ces dernières années) leur dignité et peser sur l’Etat central pour faire respecter leurs droits.

Un porte-parole des oubliés

Il faut bien avoir en tête qu’en Inde, on compte aujourd’hui entre 700 et 800 millions de petit.es paysan.nes travaillant un maigre lopin de terre à la main pour leur propre subsistance, très loin de l’agro-industrie mondialisée et standardisée. Ces derniers sont les grands oubliés des politiques économiques indiennes de ces dernières années, favorables au libre-échange et à la compétitivité indienne sur les marchés mondiaux. L’actuel Premier Ministre indien d’extrême droite Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014 et qui vient d’être réélu pour la 3e fois, manie depuis dix ans maintenant la bourse et le bâton, gouvernant pour les puissances d’argent et offrant au peuple l’idéologie hindutva[3], fondée sur la suprématie hindoue et stigmatisant sans vergogne les minorités en général et les musulmans en particulier. Et en matière d’agriculture, Modi a surtout réussi à faire descendre des millions de paysannes et paysans dans la rue ces dernières années. Par la brutalité de ses réformes – finalement repoussées – il a provoqué la plus grande grève paysanne de toute l’histoire[4].

Rajagopal et son mouvement se sont engagés encore davantage ces derniers mois afin de porter la parole de ces millions de petits paysans oubliés, pour mettre la question des sans terres et de l’accaparement de terres au cœur de l’agenda politique en lançant notamment une nouvelle plateforme de la société civile fondée sur l’idée de Janadesh[5]. Ils ont été présents dans 45 circonscriptions électorales sur les 543 que compte le pays.

« La haine ne peut pas gouverner le pays »

Si le parti de Narendra Modi, le BJP, a remporté les élections, il a perdu néanmoins 63 sièges et n’a plus la majorité absolue[6], contrairement au triomphe qu’on lui promettait depuis des mois.

D’après Rajagopal : « L’opposition est beaucoup plus forte qu’avant et le peuple indien a envoyé un message lors de ces élections : la haine ne peut pas gouverner le pays ! » D’après lui, avec la coalition de petits partis nécessaires pour pouvoir avoir une majorité : « le nouveau gouvernement ne tiendra pas cinq ans », ajoutant avec un brin de satisfaction parfaitement palpable : « le puissant Modi devient le petit Modi ».

Certes, mais l’extrême droite est tout de même encore au pouvoir pour les cinq prochaines années, après deux mandats, et la haine à l’égard des musulmans est loin d’avoir disparue. Une ambiance qui n’est pas sans rappeler ce que l’on vit également en Europe, et en France en particulier où l’extrême droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir depuis la décision de dissolution de l’Assemblée du pompier pyromane de l’Elysée.

Alors Rajagopal reprend son bâton de pèlerin pour prêcher les principes de non-violence hérités du Mahatma Gandhi aux quatre coins du monde.

En février dernier, lors d’une marche entre l’Inde et le Népal joliment intitulée « de Gandhi à Bouddha », 300 personnes ont rejoint le Forum Social Mondial à Katmandou[7]. Ils organisent désormais tout au long de l’année un forum sur l’économie non-violente pour mettre en lumière les centaines de milliers d’initiatives allant dans le sens de la transition sur le Sous-Continent. Sans doute une goutte d’eau dans l’océan, mais comme dit l’adage « les petits ruisseaux font les grandes rivières. »

Et de toute façon, comme disait Gandhi : « peu importe si ce que vous devez faire est insignifiant. Faites-le aussi bien que possible. »

Benjamin Joyeux

[1] Voir http://www.paulgrant.net/

[2] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Ekta_Parishad

[3] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Hindutva#:~:text=L’Hindutva%20se%20consid%C3%A8re%20comme,nous%20respectons%20toutes%20les%20confessions%20%C2%BB.

[4] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestations_des_agriculteurs_indiens_de_2020-2021#:~:text=F%C3%A9vrier%202021.,Cour%20supr%C3%AAme%20suspend%20les%20r%C3%A9formes.

[5] Janadesh en hindi signifie «verdict du peuple». Ekta Parishad avait initié une première grande marche internationale en 2007 intitulée «Janadesh 2007»

[6] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_l%C3%A9gislatives_indiennes_de_2024

[7] Voir https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/le-forum-social-mondial-2024-a-katmandu-un-autre-monde-est-possible-maintenant

Auteur: Benjamin Joyeux

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2 commentaires

  1. Nous soutenons RajaGopal et votrre action médiatique.
    La situation en Inde est très préoccupante avec Modal au Pouvoir
    Restons en contact
    Philippe Moal

    Répondre

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