Un revenu universel de base, pour ou contre ?
L’idée fait son chemin, un revenu universel, versé sans condition de ressources ni obligation de travail à tous les membres d’une communauté politique, individuellement, permettrait peut-être d’améliorer la qualité de la vie en supprimant la misère liée au chômage ou aux emplois précaires et de résoudre le problème de la production puisqu’il semble que le progrès technique ait fortement diminué le besoin de travail humain.
Déjà, quelques pays, comme la Finlande ou la Suisse envisagent sérieusement cette option. Les Pays-Bas la testent dans un certain nombre de villes.
Quels sont ses avantages?
D’abord, évidemment, il permettrait à chacun d’échapper à l’insécurité du manque de revenus. il donnerait la liberté d’alterner vie professionnelle, formation ou études et vie de famille.
L’absence d’emploi n’étant plus vécue comme un sujet d’angoisse, chacun pourrait à sa guise travailler quand il le souhaite et se donner les moyens de faire le travail qui lui plaît.
Le fait de ne plus être obligé à travailler changerait peut-être radicalement la relation entre employeurs et employés. Disposant de revenus suffisants pour vivre correctement, le travailleur pourrait négocier en meilleure position ses conditions d’emploi. Avec le revenu de base inconditionnel on peut penser que le droit du travail reprendrait ses valeurs d’origine.
Sur le plan de l’organisation administrative, on assisterait à une simplification puisque le revenu de base calculé, cela va de soi, pour permettre la satisfaction de tous les besoins indispensables à une existence correcte (les plus optimistes proposent 1500 euros par adulte et 750 euros par enfant) remplacerait toutes les autres allocations (allocations familiales, indemnités de chômage, aides au logement, mais aussi, en grande partie, les prestations de la sécurité sociale.)
On peut imaginer que, chacun choisissant l’emploi qui lui convient, les métiers les plus pénibles deviendront aussi les mieux payés puisque une incitation plus grande sera indispensable pour les faire effectuer. C’est ainsi qu’un éboueur recevra un salaire plus élevé qu’un ingénieur puisqu’il est plus agréable de réfléchir et de créer des solutions que de ramasser les ordures.
Ainsi, c’est toute l’organisation de la société qui pourrait se trouver remise en cause et tous les rapports sociaux qui seraient pacifiés par la réalisation d’une nouvelle forme d’égalité et de justice.
Quels sont ses inconvénients?
Il me semble que la difficulté la plus grande viendrait du fait que ce revenu ne pourrait être versé qu’aux membres de la communauté nationale (voire de la communauté européenne en attendant qu’elle soit généralisée au monde entier mais il ne faut pas trop rêver). En effet, si ce revenu devait être versé indistinctement à tous les résidents sur le sol d’un pays, cela créerait un appel d’air à l’immigration qui pourrait être insupportable à l’économie de ce pays.
Or, réduire ce versement aux seuls citoyens engendreraient une nouvelle forme de ségrégation et pourrait créer une nouvelle classe de pauvres encore plus pauvres.
Le deuxième inconvénient majeur réside dans le risque d’une dévalorisation du travail. Même si on peut supposer que la plupart des citoyens saisiront l’opportunité du revenu universel pour s’adonner plus librement au métier qu’ils se seront choisi, on peut aussi craindre que certains se contentent de la somme qui leur sera versée pour ne rien faire et, si comme on le dit « l’oisiveté est la mère de tous les vices », les conséquences sont inquiétantes.
Il ne faut pas oublier que le travail, que le capitalisme a largement transformé en une activité aliénée, est avant tout le moyen pour les hommes de prendre conscience de leurs capacités et de développer leur intelligence créatrice.
Le revenu universel de base risque par ailleurs d’être « une roue de secours du capitalisme » comme l’écrit le sociologue et économiste Bernard Friot. Pour lui, ce projet ne remet aucunement en cause les aspects les plus destructeurs du système capitaliste et il lui offrirait même une nouvelle légitimité puisque le marché des capitaux reste nécessaire à son financement. C’est pourquoi il lui préfère le projet de « salaire à vie » qu’il juge plus juste et plus favorable à la vie humaine.
En effet, l’allocataire » n’a aucune maîtrise du quoi et du comment de la production, qui reste le fait du propriétaire du capital »(S. Zarka).
On peut se demander légitimement si ce projet de revenu universel ne serait pas, finalement, la dernière solution envisagée par les tenants du libéralisme mondial pour conserver leurs privilèges à l’abri de toute contestation en se débarrassant, une fois pour toutes, de la responsabilité du plein-emploi, du poids de ce qu’ils appellent les charges sociales et en s’appropriant définitivement le droit d’user et d’abuser des ressources naturelles.
Le travail doit rester un droit humain inaliénable, il doit pouvoir se pratiquer dans des conditions acceptables pour tous car il est l’acte fondateur de la solidarité sociale et de la dignité humaine.
Il ne s’agit pas de libérer l’homme du travail mais de libérer le travail de toute domination et de toute exploitation.
L’homme veut vivre de son travail pas d’un revenu qui lui serait alloué pour y renoncer.