Le geste politique d’un collectif d’alpinistes pour dénoncer le génocide en cours à Gaza
Samedi 16 août, un collectif d’alpinistes anonymes et aguerris a déployé un drapeau palestinien géant de 145 m² sur la face ouest du mur symbolique des Drus à Chamonix, une zone réglementée du massif du Mont-Blanc. Une prouesse technique pour dénoncer la complaisance et l’inaction des gouvernements occidentaux face aux actes génocidaires perpétrés par le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu à Gaza. Le collectif prévoyait laisser ce drapeau fixé sous la vire des Papas pendant trois jours, puis de le désinstaller. Mais l’opération n’aura pas fait long feu : la préfète a expressément ordonné son retrait par le Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne dès le petit matin du 17 août. Mobilisé en hélicoptère, le PGHM l’a finalement retiré dimanche à la mi-journée.
Un acte spectaculaire a marqué ce week-end du 15 août dans le massif du Mont-Blanc. Un drapeau gigantesque de la Palestine de 145 m² a été suspendu par un collectif d’alpinistes anonymes sur la face ouest des Drus, paroi emblématique de Chamonix. L’opération, aussi discrète qu’audacieuse, avait pour objectif de dénoncer le « génocide en cours à Gaza », l’inaction et la complicité des puissances occidentales. L’installation de ce drapeau XXL a demandé une organisation logistique et pas mal de compétences : « du tressage, de la peinture, du déplacement en terrain alpin, créer des ancrages de façon rapide, discrète, solide pour qu’il puisse résister aux éléments », témoigne un des alpinistes au micro de Ici Pays de Savoie.
Visible de loin depuis la vallée de Chamonix, le drapeau géant n’a pas échappé aux autorités. La préfète a ordonné son retrait sans délai. Dès le lendemain, le Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne (PGHM) a déployé des moyens aéroportés, hélicoptère et drones pour décrocher ce drapeau, initialement prévu pour rester en place pendant trois jours.
Un cri visuel et politique envoyé au monde depuis la montagne
Dans un communiqué, le collectif d’alpinistes anonymes qui estime que le sport a toujours été un levier politique explique avoir voulu utiliser la montagne comme porte-voix humaniste. « Nous refusons que le monde du sport et de l’outdoor reste muet face à un génocide », écrivent-ils.
Pour ces alpinistes, utiliser la paroi des Drus, légendaire dans l’histoire de l’alpinisme, permet de dénoncer « ce massacre d’ampleur historique » qu’ils estiment relégué au silence. « Les gouvernements occidentaux s’enferment dans une prudence diplomatique confinant à la complicité ou à défaut au laxisme, quand ils ne soutiennent pas ouvertement le gouvernement israélien par appui politique et/ou maintien des livraisons d’armes », écrivent-ils dans leur communiqué, non sans rappeler les chiffres du suivi des Nations Unies : plus de 62 000 morts officiellement recensés à Gaza depuis octobre 2023 (chiffres probablement très en-deçà de la réalité, faute de recensement possible dans les zones détruite), dont 70 % de femmes et d’enfants, sans compter les milliers de disparus et les victimes de famine et d’épidémies délibérément provoquées par le blocus. Ils rappellent aussi les 25 000 tonnes d’explosifs larguées sur Gaza pendant les cinq premiers mois de l’offensive, l’équivalent de deux bombes nucléaires selon un rapport des Nations Unies. Mais également, « outre une destruction radicale et massive de ce territoire palestinien, la politique assumée d’affamement de la population gazaouïe menée par le gouvernement israélien, plaçant plus d’un million de civils en situation de faim extrême. Des méthodes qualifiées par des experts indépendants et par un comité spécial de l’ONU (novembre 2024) de « méthodes correspondants aux caractéristiques d’un génocide ». Sans oublier les 217 journalistes ciblés et tués par l’armée israélienne, ainsi que des centaines de soignants et de travailleurs humanitaires.
« Un symbole d’espoir est-il devenu une offense ? »
La réaction rapide des autorités qui ont déployé de grands moyens pour tenter de décrocher le drapeau par hélicoptère, dans cette face raide et difficile d’accès, interroge les alpinistes (et pas qu’eux !) : « La mobilisation disproportionnée de la gendarmerie pour enlever ce drapeau, comme la répression des drapeaux palestiniens sur le Tour de France, nous questionne : un symbole d’espoir pour un peuple opprimé est-il devenu une offense ? »
Ils insistent également sur leur volonté de mener une action respectueuse de la montagne : « Il était prévu que nous retirions nous-mêmes ce gigantesque drapeau au bout de trois jours afin de ne pas le laisser dans la montagne à la merci des éléments. »
Des revendications politiques
Au-delà du geste symbolique, le collectif énonce trois revendications majeures :
- Que la France agisse immédiatement et exerce une pression politique, économique et diplomatique forte sur Israël pour mettre fin au génocide palestinien.
- Qu’elle œuvre concrètement à la mise en place d’une solution à deux États viable et sécurisée.
- Qu’elle applique le mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant.
Ils demandent également aux fédérations sportives internationales d’imposer aux athlètes israéliens de concourir sous bannière neutre, à l’instar des sportifs russes : « pour que le sport cesse de servir de vitrine à un gouvernement génocidaire ».
La montagne comme tribune, le sport comme levier politique
A celles et ceux qui poussent des cris d’orfraie au prétexte que la montagne n’est pas le lieu pour faire de la politique, qu’ils relisent l’histoire et sachent que depuis les débuts de l’alpinisme, les sommets alpins ont été utilisés pour faire passer des messages humanistes et politiques – parfois nationalistes comme la conquête des 8000 et parfois tristement fascistes -. Cette action s’inscrit dans une continuité : l’an dernier déjà, une opération intitulée « 100 sommets pour Gaza » avait mobilisé des cordées militantes. On se souvient aussi des cœurs d’espoir lors des confinements de la Covid.
Pour les auteurs de ce geste aux Drus, « suspendre ce drapeau, c’est rappeler qu’aucune paroi, aussi haute soit-elle, ne peut cacher la vérité : un peuple est en train d’être exterminé, sous les yeux du monde ».
Qu’ils soient remerciés pour leur geste et leur engagement qui tranche avec le silence coupable de la communauté outdoor.
Sandra Stavo-Debauge