Trentième anniversaire à Annecy pour une association alévie

Publié par librinfo74 le 28 Avr 2025 dans Départemental, Droits humains, International, Religion, Reportage, Solidarité | 0 commentaire

L’association des Droits de l’Homme et de Pir Sultan Abdal fêtait son 30^e anniversaire ce samedi à Annecy en présence de plus de 300 personnes, dont de nombreuses familles et quelques élus locaux. L’occasion de mettre la lumière sur la minorité Alévie, peu connue et pourtant nombreuse et active sur le territoire de Haute-Savoie et bien au-delà :

Salle Le Météore le 26 avril 2025 ©Camille Content

Ce samedi 26 avril, dès 16h, le parking du Météore est d’ores et déjà complet. Plus de 300 personnes se sont données rendez-vous dans la grande salle polyvalente de Meythet afin de fêter comme il se doit le 30^e anniversaire de l’Association des Droits de l’Homme et de Pir Sultan Abdal, une association créée en 1995, basée à Cran-Gevrier et qui défend la culture et les droits de la minorité alévie.

Une minorité longtemps persécutée…

Tout d’abord une petite explication sur ce nom, Pir Sultan Abdal : il s’agit d’un poète turc alévi du 16^e siècle, originaire de la province de Sivas en Turquie, exécuté vers 1560 par les autorités ottomanes et considéré comme une des grandes figures de l’Alévisme[1]. Le personnage représente ainsi à la fois la tradition culturelle alévie et sa persécution par le pouvoir en place.

Quant à l’Alévisme, il s’agit d’un courant religieux syncrétique de l’Islam chiite avec des influences issues du soufisme et du zoroastrisme préislamique, se distinguant par une approche plus symbolique et spirituelle que rituelle de la pratique religieuse. Les Alévis vont par exemple ne pas pratiquer les cinq piliers de l’Islam[2] de façon traditionnelle pour préférer se rassembler afin de célébrer le Cem[3], une cérémonie communautaire à base de prières, de chants sacrés et d’une danse rituelle.

Tout au long de leur histoire, les Alévis ont été marginalisés et persécutés, en particulier sous l’Empire ottoman qui voyait en eux une menace directe pour la majorité sunnite au pouvoir. Cela a perduré tout au long du 20^e siècle sous la république turque. Il y eut notamment le massacre des kurdes alévis de Dersim en 1937[4], qui aurait fait entre 30 000 et 50 000 morts, resté un traumatisme dans la mémoire collective, malgré les excuses officielles de l’Etat turc en 2011[5]. Aujourd’hui les Alévis constituent la plus grande minorité religieuse de Turquie, représentant environ 10 à 15% de la population. Recep Tayyib Erdogan continue de s’en méfier, son principal opposant à la dernière présidentielle de 2023, Kemal Kiliçdaroglu, ayant fait notamment son coming out alévi[6] et étant poursuivi par la justice aux ordres du président autocrate turc[7].

… Organisée pour perpétuer sa culture

D’où une volonté chevillée au corps pour les Alévis de vouloir s’organiser afin de perpétuer leur culture, que ce soit en Turquie ou ailleurs pour la diaspora, comme ici à Annecy avec cette association des Droits de l’Homme et de Pir Sultan Abdal, regroupant des familles alévies à très grande majorité kurde, donc doublement minoritaires.

Hakim Hosgul sur la scène du Météore, le 26 avril 2025 ©Camille Content

Hakim Hosgul, nouveau président depuis février 2024, nous explique que son association a vocation à « transmettre leur identité et leur culture aux générations futures ». Etant donné le grand nombre d’enfants et de jeunes adultes présents dans la salle Météore ce samedi après-midi, le message semble être bien passé. Le président de l’association s’inquiète néanmoins, soulignant que : « Nous sommes une population très bien intégrée, mais les responsables politiques ne nous reconnaissent pas vraiment ». Comme si son inquiétude avait été entendue, quelques minutes plus tard, Alexandre Mulatier-Gachet, et Nora Ségaud-Labidi, respectivement premier et seconde adjointe à la ville d’Annecy, font leur apparition. Des conseillers régionaux écologistes sont également présents, dont Zerrin Bataray, par ailleurs avocate et co-fondatrice de l’association Rien K’elles[8], réseau de femmes kurdes engagées, qui prend la parole sur scène peu après 18h.

Pour l’avocate : « Trop souvent, on entend des mots malheureux sur les minorités, sur le “communautarisme”. Mais ce rassemblement que vous incarnez n’est pas du repli, ce n’est pas un refus de l’autre : c’est une réponse à l’exil, à la douleur, aux discriminations. »

Loin des amalgames

Car il faut bien rappeler que dans le contexte islamophobe actuel, alimenté en permanence par l’extrême droite et par toute une partie du champ politico-médiatique « bollorisé », l’Islam est systématiquement pris comme un tout soi-disant menaçant pour une France fantasmée judéo-chrétienne. Et c’est dans cette ambiance délétère qu’un jeune musulman de 23 ans, Aboubakar Cissé, s’est fait assassiner au couteau par un dangereux déséquilibré alors qu’il priait tranquillement dans une mosquée du Gard vendredi dernier[9].

Or, à des années lumières de toute cette violence engendrée à la fois par des fanatiques djihadistes ultra-minoritaires se livrant à des attentats aveugles et par des groupuscules d’extrême droite ayant déclaré la « guerre » à l’ensemble des musulmans comme hier ils la déclaraient aux Juifs, l’écrasante majorité du monde musulman n’aspire qu’à vivre en paix. On parle de près de deux milliards de personnes majoritaires dans plus d’une cinquantaine de pays à travers le monde. L’Islam est multiconfessionnel et riche de multiples traditions très diverses, comme celle de ces centaines de Kurdes alévis ET français, réunis tranquillement ce samedi à Annecy, pour boire, manger et danser avec comme principale revendication le droit à se retrouver. Des gens qui par ailleurs se déclarent laïcs, n’en déplaise à l’extrême droite.

À la suite des différentes prises de paroles, la musique et la danse traditionnelle ont d’ailleurs pris place sur la scène du Météore, comme pour exorciser toute cette paranoïa identitaire ambiante. Et il n’y a que des sourires sur les visages, aucun n’étant voilé.