Tempête dans la mondialisation : un nouveau monde de BRICS ?

Alors que le bruit des bottes résonne à nouveau en Europe et que l’horreur des massacres continue à Gaza, un nouvel ordre mondial semble émerger du Sud global, remettant profondément en cause l’hégémonie occidentale. Pour le meilleur comme pour le pire ? C’était tout l’objet du débat qui s’est déroulé ce 12 mars au soir au Graduate Institute à Genève dans le cadre du FIFDH : 

A quelques encablures des Nations Unies, bordant la fameuse Avenue de France à Genève, se trouvent les bâtiments de la Maison de la Paix, en forme d’un bouquet de fleurs dans lequel chacun des six pétales abrite une institution internationale reconnue[1]. Ce « campus de la paix » est ainsi réputé dans le monde entier, mais encore bien peu connu de l’autre côté de la frontière. Le premier pétale du bâtiment accueille l‘Institut de hautes études internationales et du développement de Genève (IHEID), mieux connu sous le nom de Graduate Institute[2]. L’auditorium Ivan Pictet de ce dernier a offert ce mardi 12 mars au soir, dans le cadre du Forum et Festival International des Droit Humains (FIFDH), un documentaire suivi d’un débat sur l’émergence d’un nouvel ordre mondial intitulé « BRICS : le monde renversé ».

Un nouvel ordre mondial

BRICS est un acronyme entré dans le langage courant et qui désigne les nouvelles puissances émergentes que constituent le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (le S de South Africa). Des puissances qui remettent sérieusement en question aujourd’hui l’hégémonisme occidental à l’échelle planétaire.

Auditorium du Graduate Institute le 12 mars 2024 ©Camille Content

Une bonne ou une mauvaise nouvelle ? C’est la question à laquelle tente de répondre le documentaire tout d’abord projeté, Tropical Utopia. Partant du point de vue de l’Amérique Latine, celui-ci, réalisé par João Amorim, retrace soixante-dix ans d’histoire des Etats latino-américains, depuis la Seconde Guerre Mondiale jusqu’à aujourd’hui, commentés par le célèbre intellectuel américain Noam Chomsky[3], dialoguant avec Celso Amorim, diplomate brésilien proche de Lula et père du réalisateur. En mode « tontons flingueurs », les deux intellectuels commentent pendant près d’une heure et demi sept décennies de vie géopolitique : de la mise en place des institutions internationales, ONU, FMI, Banque mondiale au lendemain de la Seconde  Guerre Mondiale en passant par les multiples coup d’états en Amérique Latine, organisés en sous-main par les Etats-Unis, jusqu’à la résistible ascension de l’extrême droite ces dernière années, le documentaire de João Amorim est un réquisitoire implacable contre l’hégémonisme américain. Un hégémonisme ayant surtout imposé au forceps un modèle économique néolibéral favorable aux multinationales américaines, quitte à écarter du pouvoir des dirigeants démocratiquement élus, comme Salvador Allende au Chili, au profit de pouvoirs autoritaires. Ou comment le très influent Conseiller à la sécurité nationale américaine, Henri Kissinger[4], de même que les « Chicago boys[5] », ont promu des mesures ultralibérales et des privatisations massives dans les Etats latino-américains tout au long des années 60, 70 et 80, des Etats considérés comme l’arrière-cour des Etats-Unis sans aucun égard pour leur propre souveraineté et les choix de leurs peuples.

Celso Amorim en visioconférence au FIFDH le 12 mars 2024 ©Camille Content

Cet « ordre mondial américain » s’impose d’autant plus avec la fin de la Guerre Froide et l’effondrement de l’URSS à partir de 1989. Mais l’éveil du Brésil, de la Chine ou encore de l’Inde à partir des années 90 est venu challenger l’ordre américain. Arrivent ensuite des pouvoirs de gauche et « progressistes » aux affaires en Amérique Latine, Lula[6] au Brésil, Nestor Kirchner[7] en Argentine, Rafael Correa[8] en Equateur… qui redistribuent profondément les cartes, et les richesses. Et Obama entre en 2008, et pour deux mandats, à la Maison Blanche. L’ordre économique néolibéral international n’est néanmoins pas du tout remis en question, comme le démontre avec maestria Chomsky dans le film. Et l’extrême droite revient malheureusement aux affaires, avec notamment Jair Bolsonaro[9] au Brésil et Donald Trump à la Maison Blanche, faisant craindre aujourd’hui une contamination à l’échelle planétaire. Cette émergence des BRICS porte ainsi en elle autant de promesses positives de redistribution des cartes à l’échelle planétaire que d’affaissement des valeurs libérales au profit d’un autoritarisme pas plus favorable aux peuples.

Et les peuples dans tout ça ?

C’est tout l’objet du débat qui suit le film, en présence du réalisateur, d’un des principaux protagonistes de son film, Celso Amorim, en visio-conférence, puis d’Aude Darnal, chercheuse au sein du think tank « Stimson center » de Washington, d’Andrea Ostheimer, directrice du Dialogue Multilatéral à Genève de la fondaton KAS, mais surtout d’Aminata Traoré[10], ancienne ministre de la culture malienne et figure de proue du mouvement altermondialiste. Etant la seule à s’exprimer en français, celle-ci ne mâche pas ses mots et se pose surtout la question de la place de l’Afrique dans ce nouveau monde, rappelant que chez elle : « Les gens ordinaires ne parlent pas de BRICS, ils crèvent la dalle et fuient dans toutes les directions ». Amina Traoré ajoute qu’ « on demande aux gens d’aller aux urnes pour légitimer un personnel politique qui se met ensuite aux services des multinationales », soulignant qu’« on continue de confondre démocratie et élections ». Pour la militante malienne, « ce devrait aujourd’hui être le temps des peuples ». Elle est alors très applaudie par la salle.

Aminata Traoré au FIFDH le 12 mars 2024 ©Camille Content

Finalement, là est bien toute la question : quelle que soit la nouvelle donne géopolitique mondiale, dans un contexte où les menaces planétaires semblent s’accumuler, crise climatique, multiplication de conflits et risques nucléaires, explosion des inégalités, montée partout de l’extrême droite, etc., quelle place laisse-t-on aux peuples et aux individus ?

La fameuse citation d’Antonio Gramsci[11] semble parfaitement adapter à ce débat sur les BRICS : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

Camille Content

[1] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_de_la_paix_(Gen%C3%A8ve)

[2] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_de_hautes_%C3%A9tudes_internationales_et_du_d%C3%A9veloppement

[3] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Noam_Chomsky

[4] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Kissinger

[5] Voir notamment https://www.radiofrance.fr/franceculture/les-chicago-boys-le-saccage-du-chili-par-un-petit-groupe-d-economistes-6842609

[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Luiz_In%C3%A1cio_Lula_da_Silva

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9stor_Kirchner

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafael_Correa

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Jair_Bolsonaro

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Aminata_Dramane_Traor%C3%A9

[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Gramsci

Auteur: librinfo74

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