Reprise en main : « Si la fiction pouvait inspirer le réel »

Ce lundi 5 septembre, le réalisateur Gilles Perret présentait en avant-première à la presse locale de Haute-Savoie son nouveau film, Reprise en main, au cinéma de Cluses. Une fiction portant sur la reprise d‘une entreprise de décolletage de la Vallée de l’Arve par ses salarié.e.s face aux menaces de rachat par des fonds d’investissement. Sortie nationale prévue le 19 octobre :

 Gilles Perret au cinéma de Cluses, 5 sept. 2022 © Benjamin Joyeux

Né en Mieussy en 1968, le réalisateur Gilles Perret est un enfant de la « Yaute », il n’y a aucun doute là-dessus. Fils d’un ouvrier syndicaliste qui travaillait dans le décolletage, il avait fait des études d’ingénieur en électronique à Clermont-Ferrand avant de se tourner vers le cinéma, et plus précisément le documentaire. Son premier film sorti en salle, Ma Mondialisation, traitait déjà en 2006 de la question de l’industrie du décolletage à travers le portrait d’un patron haut en couleurs, Yves Bontaz. 16 ans plus tard, Gilles Perret en revient donc à ses racines à travers son premier long métrage, Reprise en main, une œuvre de fiction très fortement inspirée de la réalité locale.

 

Le décolletage, une industrie historique florissante menacée par la finance

 Tout d’abord qu’est-ce que le décolletage ? Il ne s’agit pas de « lingerie fine », comme évoqué avec humour dans le film par un des personnages, mais d’un fleuron de l’industrie française qui produit des pièces de mécanique de précision à destination de l’automobile, du secteur médical ou encore de l’industrie militaire. Issu de l’industrie horlogère (Genève et la Suisse sont à deux pas), le décolletage est implanté en Haute-Savoie depuis le 18e siècle. C’est en 1720 qu’un premier artisan nommé Claude Ballaloud s’installe dans le petit village de Saint-Sigismond pour y former des fermiers locaux au métier de « décolleteur » à destination de l’horlogerie. A l’époque, les paysans s’occupaient des bêtes l’été et fabriquaient des pièces l’hiver. Puis l’activité décolle lors de la Première Guerre Mondiale pour fournir l’industrie de l’armement. Le décolletage n’a ensuite eu de cesse d’évoluer et d’exploser à partir des années 70 en fournissant les marchés de l’automobile, de l’électricité et de l’électroménager, tout en restant implantée dans la Vallée de l’Arve.

Aujourd’hui la France est leader mondial dans l’industrie du décolletage, avec plus de 900 entreprises employant environ 19 000 salarié.e.s pour un chiffre d’affaires dépassant deux milliards d’euros. Et les deux tiers de ces entreprises se situent dans la Vallée de l’Arve, autour de Cluses. Un marché on ne peut plus juteux pour les fonds d’investissement, dont l’unique préoccupation est la rentabilité financière immédiate, au détriment des salarié.es du secteur. Le sujet principal du nouveau film de Gilles Perret, dont la question sociale demeure au cœur de son œuvre.

 

Un film local et social

 Toutes les scènes du film ont été tournées localement, à Cluses, Scionzier, Thyez, Marignier ou encore le Mont-Saxonnex. Les scènes d’usine ont été tournées dans la véritable usine Bontaz à Marnaz et le bar dans lequel se retrouvent les principaux protagonistes est le Bobby Bar, pub bien connu des locaux de l’étape. Quant à la musique de Reprise en main, elle est signée Rage Against The Marmottes, groupe de rock festif lui aussi bien local, puisque originaire des Carroz-D’arâches, dont deux membres sont par ailleurs décolleteurs. La fiction de Gilles Perret est donc particulièrement bien ancrée sur ses terres d’origine. Et la question sociale qui taraude le réalisateur dans la plupart de ses documentaires (comme Les Jours Heureux, La Sociale ou encore J’veux du Soleil et Debout les femmes!, coréalisés avec François Ruffin), ne tarde pas à arriver. Ou les affres de la mondialisation perçus à hauteur d’homme.

 

Reprise en main s’ouvre sur une magnifique scène d’escalade du massif du Bargy par le personnage principal, Cédric, joué avec maestria par Pierre Deladonchamps (étoile montante du cinéma français, César 2014 du meilleur espoir masculin). On s’aperçoit ensuite très vite que Cédric, comme son père avant lui, travaille dans une entreprise de décolletage en Haute-Savoie. Une entreprise prospère mais en cours de cession à un fonds d’investissement et qui pour mieux se vendre, voit sa direction faire pression sur ses salarié.e.s et rogner sur les coûts. Une situation de plus en plus intenable qui pousse Cédric, accompagné de ses ami.e.s d’enfance, à tenter l’impossible : racheter eux-mêmes l’entreprise de décolletage en se faisant passer pour des financiers. Une idée qui vient à Cédric après une rencontre improbable avec un jeune financier travaillant à Genève en escaladant le Bargy.

 

« Si la fiction pouvait inspirer le réel »

Gilles Perret et Marion Grange, 5 sept. 2022 © Benjamin Joyeux

Ce 5 septembre, Gilles Perret nous explique avant la projection qu’il espère bien « toucher les personnes directement concernées par le film » pour notamment « amener au cinéma des gens qui n’y viennent pas habituellement », car « le cinéma reste cher pour des gens qui gagnent 800 euros par mois ». D’après lui, « dans la Vallée, les gens qui vont aller voir le film vont s’y retrouver », de par non seulement son ancrage dans la réalité locale mais également par l’espoir qu’il suscite. Car un des principaux messages du film est de « montrer que les ouvriers ne sont pas plus cons que les financiers ». Mais attention, Reprise en main, dont le scénario a été co-écrit par Gilles Perret et sa compagne Marion Grange, présente à l’avant-première de ce lundi, évite les tirades syndicales et politiques. La question sociale y est abordée par la transmission, entre Cédric et son père, par l’expérimentation, avec la tentative de reprise en main de l’usine, et par la poésie, avec la montagne omniprésente, qui est, comme le souligne Marion Grange « la grande respiration de Cédric » et où un ouvrier peut y croiser un financier sur un pied d’égalité.

 

Reprise en main s’avère au final être une excellente comédie sociale, où l’on passe sans crier gare du rire aux larmes, dotée d’une formidable brochette d’étoiles montantes du cinéma français (Laetitia Dosch, Grégory Montel ou encore Finnegan Oldfield). Sortie officielle partout en France le 19 octobre, et avant-première avec l’équipe du film pour les habitant.e.s de la Vallée du 9 au 13 septembre (à Cluses dès ce vendredi, puis Sallanches, Taninges, La Roche-sur-Foron, Annemasse et Bonneville).

Comme le souligne Gilles Perret : « D’habitude c’est le réel qui inspire la fiction. Si pour une fois la fiction pouvait inspirer le réel. » Pas mieux.[1]


Affiche du film avec les avant-premières locales © Benjamin Joyeux

Benjamin Joyeux

[1] Toutes les infos sur le film : https://jour2fete.com/film/reprise-en-main/

Auteur: librinfo74

Partager cet article :

1 commentaire

  1. incorrigible, ce Gilles Perret: toujours dans l’humanisme !

    Répondre

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.