Regard d’un vieil habitant de Nice sur le massacre du feu d’artifice du 14 juillet

Nous éditons ce texte que son auteur nous a autorisé à publier. La qualite du propos, la pertinence de l’analyse donneront – nous en sommes sûrs – de la matière à prolonger notre réflexion pour agir.

Et ce, nous en avons bien besoin en ces moments noirs et désespérants de notre histoire que nos dirigeants, dans une superbe cécité, refusent d’affronter.

 

De la Haute-Loire où nous passons le mois de juillet, j’ai appris la tuerie de Nice.

J’ai vécu trente ans dans cette ville, dans le centre, quartier des Musiciens à 200 m de la mer, et donc j’étais chaque 14 juillet sur la plage ou sur la « prom » pour assister au feu d’artifice.

Meurtri par l’effroyable de l’évènement dans ma ville natale, sur un lieu si familier, j’ai été également touché en consultant la liste des victimes, avec une touriste suisse du nom de Siccardi. À ma connaissance je n’ai pas de famille en Suisse, mais trouver son nom parmi les victimes ajoute à l’émotion.

Le feu d’artifice du 14 juillet : un moment populaire partagé

Lorsque j’étais enfant, nous allions avec mes parents voir ce feu d’artifice, comme celui du Carnaval pour Mardi-Gras. Ce sont des moments partagés par tous les niçois, sans distinction de classes sociales, des moments populaires dans une ville où l’argent tient bien trop de place tout le reste du temps.

Une fois, nous étions bien habillés malgré la chaleur de juillet, nous sommes entrés dans le palace à l’angle de la rue Meyerbeer (où nous habitions) et de la Promenade des Anglais, l’hôtel Westminster. Nous avons vu le feu d’artifice depuis la terrasse de l’hôtel, au premier étage avec les clients. C’était une idée de mon père, cette transgression de l’ordre social l’amusait. Ma mère avait peur que nous soyons remarqués et jetés dehors, mais non, nous avons tranquillement admiré le spectacle dans d’excellentes conditions.

À l’école élémentaire de mon quartier, au début des années 50, mes copains avaient un père comptable, ou médecin, ou géomètre, chez eux il y avait un réfrigérateur, l’employée de maison utilisait un aspirateur. Un copain avait même un train électrique !  Par mes résultats scolaires, j’étais bien admis dans ces familles.

Mais, vous devez vous dire, qu’est-ce qu’il fait le Jean-Louis, il nous raconte sa vie ! 

Attendez, je n’ai pas oublié le 14 juillet 2016, j’y viens.

Mes parents étaient des immigrés italiens, pas mieux acceptés dans les années 30 que les maghrébins plus tard ou les autres étrangers aujourd’hui. Ni les Pieds-Noirs après la guerre d’Algérie. Nice n’est pas vraiment une terre d’asile, sauf pour les « anglais », quelle que soit la nationalité, du moment qu’ils ont de l’argent. Nous étions pauvres mais pas malheureux dans une mansarde près des palaces sans trop en souffrir. Pour mes parents, je devais bien travailler en classe pour avoir un bel avenir : j’ai compris le message. Effectivement, mon père ne savait pas écrire et je suis devenu enseignant et chef d’établissement dans le secondaire. L’ascenseur social grimpait les étages du temps des trente glorieuses.

Mais quel avenir pour les jeunes aujourd’hui, surtout s’ils sont de familles pauvres, dans des quartiers pour les pauvres ?  Quel discours peuvent tenir leurs parents, eux-mêmes sans espoir et en butte à des difficultés qui les dépassent. Attention, je ne suis pas en train de vouloir excuser l’assassin au camion blanc !  C’était un voyou, violent, sans humanité et je n’aurais pas été son copain.

À tous les échelons de la société, les frustrations s’accumulent, l’avenir s’assombrit. Alors les discours les plus fous trouvent preneurs, les vidéos meurtrières fascinent des esprits fragiles. La formule de Gramsci est encore une fois d’actualité : « Le vieux monde s’effondre, un nouveau tarde à apparaître, entre-temps les monstres surgissent ». Oui, notre monde dominé par l’argent et le capitalisme est à bout de souffle, les inégalités sont abyssales, 1% des hommes possède la moitié de la richesse mondiale et un milliard d’êtres humains souffre de la faim. Et on voudrait que tout se passe bien ?

Qui sont les barbares ?

Face au chaos mondial, la réponse de nos politiques, les commentaires des médias, sont si décalés que j’ai peur des événements à venir. Dire que nous sommes en guerre, qu’il faut renforcer les moyens militaires, prolonger l’état d’urgence, ne voir dans la situation actuelle qu’une agression extérieure de barbares, risque de nous mener au pire. Cette guerre-là nous allons la perdre. Qui sont les barbares ?  Ceux qui accumulent les richesses, détruisent les ressources de la planète, mettent l’espèce humaine en danger de disparition, poussent au désespoir, ne sont-ils pas les principaux responsables ?

Dans la revue Gardarem lo Larzac datée du 6 juillet, une semaine avant le 14, dans son éditorial Solveig Letort nous prévenait : « Une civilisation qui se donne comme unique boussole la compétitivité économique, comme seule mesure la valeur monétaire, perd sa capacité à fonder du lien social.

L’Homo economicus est condamné au suicide ou au meurtre. »

C’est dans ce Monde, cette Europe, cette France dominés par l’argent qu’il faut chercher des chemins vers la fraternité. Le mal n’est pas extérieur à notre civilisation, il en est le produit.

Un autre Monde est possible, courage, car il y a du travail pour y arriver !

Jean-Louis Siccardi
25 juillet 2016

Auteur: librinfo74

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