Projet de village olympique à Saint-Jean-de-Sixt, des questions sans réponse et un discours verrouillé

Par Sandra Stavo-Debauge

Jeudi 6 novembre 2025, près de 300 personnes ont rempli la salle Sixtine à Saint-Jean-de-Sixt pour la première réunion d’information consacrée au projet de village olympique des Jeux d’hiver Alpes 2030. Organisée par la SOLIDEO Alpes 2030, maître d’ouvrage du futur site, à la demande du maire de la commune M. Lathuille, cette soirée a révélé les contradictions du discours officiel, un dossier encore flou et les vives inquiétudes du public. En deux heures d’information et d’échanges, les porteurs du projet n’auront pas répondu aux deux questions qui s’imposent : la pertinence d’organiser ces JOP et le chiffrage budgétaire du futur village olympique, laissant la salle avec plus de questions que de réponses.

Après la présentation du projet dans un premier article paru dans librinfo : « Projet de village olympique à Saint-Jean-de-Sixt : entre promesse d’héritage et doutes citoyens », ce deuxième article est consacré aux questions du public.

Le maire de Saint-Jean-de-Sixt, M. Didier Lathuille, a d’emblée donné le ton de la soirée : celui d’une réunion sous contrôle… Reflet de ces Jeux imposés sans consultation publique. Il a en effet ouvert la séance en posant des conditions strictes : « Avant même de commencer, je souhaiterais que cette réunion ne soit ni filmée ni enregistrée. Pourquoi ? Parce que c’est une réunion à destination des habitants de Saint-Jean-de-Sixt. Ce n’est pas une réunion publique et les questions qui seront posées seront répondues (SIC) uniquement si on est sur des questions du village. La presse aujourd’hui n’était pas conviée. »

Pour le temps d’échange avec le public qui a suivi la présentation, il a exigé que chaque citoyen décline son identité et le quartier de Saint-Jean où il réside, avant de pouvoir poser sa question. Une façon d’identifier les opposants ?

 

Un public sceptique et un maire sur la défensive

Après l’heure consacrée à la présentation du projet de village olympique par le maire de Saint-Jean-de-Sixt, Simon d’Annunzio de la SOLIDEO, directeur de la supervision et des villages, Augustin Tran Van Chau du COJOP et Gérard Fournier, président de la CCVT, la deuxième partie de la soirée était consacrée aux questions du public. Et elle a donné la mesure des inquiétudes. Infrastructures, aspects financiers, politiques et démocratie, les questions des citoyens étaient exhaustives et précises, quant aux réponses, le lecteur en jugera par lui-même.

  1. demande la surface totale utilisée par l’ensemble du projet (un peu plus de 3,3 ha) et s’inquiète du dimensionnement de la station d’épuration : « Est-ce que l’impact cumulé du village olympique plus les visiteurs ne va pas poser problème ? » Le maire rassure : « O des Aravis va plancher sur le sujet. Les premières études ne montrent pas de problème particulier. »

C., commerçante, soulève l’accès : « Ce quartier est décentré et la route du Crêt n’est pas adaptée aux voitures, ni aux vélos, ni aux piétons. Avez-vous pensé à un aménagement pour intégrer ce nouveau quartier au centre de Saint-Jean ? » Réponse du maire : « Il va falloir trouver une solution, il faut absolument que le nouveau site soit relié au centre du village. Ça ne nous paraît pas impossible, bien au contraire. »

Un autre habitant demande où les véhicules se gareront. Le maire affirme qu’il est « naïf de penser qu’on n’a pas pensé à ça », que des espaces sont en cours de dimensionnement, notamment pour le transport des athlètes, avec une zone d’environ 2 000 m² sur le promontoire du camping. Il ajoute que le PLU prévoit deux places de parking par logement et que des parkings souterrains sont envisagés sous le gymnase (environ 120 places) et sous une partie des bâtiments à l’Est. La porte-parole du collectif citoyen JOP2030 qui a pu consulter le document de cadrage de la SOLIDEO prend la parole pour informer que les parkings non inclus dans des pôles multimodaux seront financés à 100% par de l’argent public de la commune.

La question du devenir du camping municipal a également été posée. Le maire promet de lui trouver un autre site au Crêt.

 

La pertinence des JO interrogée par le public

La tension monte lorsque M., habitant de la vallée, qui croit utopique que le conseil municipal pense garder le contrôle du projet face aux cahiers des charges du CIO, dénonce un débat tronqué : « Le cadrage qui nous est imposé ce soir de ne pas parler des JO, me semble faire l’impasse sur une question majeure : est-ce qu’on veut des JO ? Alors l’héritage, je pense…» Le maire l’interrompt : « J’ai dit qu’on n’était pas là pour savoir si on était pour ou contre les JO, c’est pas du tout de sujet. (…) C’est une réunion à destination des habitants du territoire qui veulent poser des questions sur la vie qu’il y aura pendant les Jeux. » L’habitant rebondit : « Je ne dis pas si je suis pour ou contre les JO, je vous invite à vous demander pourquoi on parle d’héritage et d’opportunité uniquement, mais pas de “est-ce qu’on veut de ces JO ? » Le maire botte en touche : « quand on pose une question, on se présente. Vous êtes qui par rapport à la question posée ? »

Madame P. habitante de Thônes, questionne à son tour la pertinence des JO : « On parle d’héritage on dit qu’on a besoin de logements et d’un gymnase, mais est-ce qu’on est obligés de passer par la case JO pour faire ces logements et ce gymnase ? »
Le maire réplique (et se répète) : « Aujourd’hui, on a cette opportunité. Le gymnase, on l’avait ciblé il y a 4-5 ans et il n’a pas avancé. Les Jeux sont un booster. »

  1. du Grand-Bornand demande si les JO présentés comme des opportunités de développement économique sont nécessaires pour « bien vivre » dans les villages, soulignant que les épreuves en février entraîneraient des flux supplémentaires dans une période déjà saturée. G. souligne quant à lui que les routes seraient fermées avant et après les épreuves et demande comment les habitants pourront se déplacer. Le maire répond que l’opportunité des JO réside dans l’héritage et non dans le mois de février. Il reconnaît que les questions de mobilité sont très importantes et Augustin du COJOP précise que des études de trafic doivent être menées.

 

Quid des municipales de 2026 ?

P.de Forgeassoud, interroge sur l’échéance électorale à venir : « Si une nouvelle équipe élue en 2026 dit “on ne veut pas du village olympique”, est-ce que Saint-Jean aura la possibilité de se désengager du projet ou pas ? » Le maire : « Je ne peux pas répondre oui ou non à cette question. On avance étape par étape. » P. insiste : « Techniquement au niveau du droit, est-ce que cette future mairie peut dire on arrête tout ? Oui ? Non ? Est-ce que c’est possible au niveau de la loi ou est-ce que c’est pas possible, on peut plus faire marche arrière ? »
Delphine Larat, fondatrice du collectif Citoyen JOP2030, prend opportunément la parole, sans que le maire ne l’y invite : « Les communes ne sont pas parties au contrat olympique. Elles ne sont pas tenues par les obligations du contrat olympique» P. de rebondir : « Donc une équipe peut dire on arrête tout ? » Delphine Larat de répondre : « Seules les Régions, le CNOSF et le CIO ont signé le contrat olympique. En l’état d’un contrat qui n’est signé que par les régions, est-ce que les autres collectivités territoriales sont tenues par ses obligations ? C’est une question juridique à poser à des professionnels du droit, mais c’est une question très intéressante et qui va se poser. C’est la même chose pour les régions ; on n’oublie pas qu’on va avoir des élections régionales en 2028. Sachant qu’on n’a pas les financements, que le PLF 2026 n’est pas signé, que la troisième garantie financière n’est pas signée et qu’on n’a pas non plus la loi olympique, énormément de questions se posent. » Des éclairages qui laissent entendre que rien n’obligerait juridiquement la commune à poursuivre et qu’un revirement politique local reste possible.

 

Les finances et le coût du projet au cœur des inquiétudes citoyennes

La conseillère régionale Fabienne Grébert prend alors la parole : « Les difficultés financières de l’État sont connues et on nous demande 40 milliards d’économie. Au niveau de la Région, 38 millions d’euros[1] lui seront demandés au titre de la contribution à la résolution de la dette et en 2026 il est prévu d’accorder 21 millions d’euros par la région AURA pour le financement des JO. C’est très très loin des 92 millions d’euros qui sont programmés pour 2026 pour engager les travaux. Ma question est simple : Combien coûtent toutes les infrastructures sur le territoire des Aravis ? Qui paie ? Est-ce que les collectivités territoriales sont prêtes à affirmer ici qu’il n’y aura pas d’augmentation d’impôts pour financer les JO ? Ou est-ce que vous avez prévu des emprunts des collectivités territoriales pour financer et venir en complément de ce que ne pourra pas donner ni l’État, ni les Régions ? » Le maire se défausse : « Le but de cette réunion n’est pas de parler financement. Nous sommes au début de nos différentes réunions, je n’ai aucune certitude que ce que je vais vous dire aujourd’hui puisse être vérifié dans quelques mois, voire quelques années Je ne veux pas répondre à ça. (…) J’aimerais que les questions, elles soient pertinentes, elles soient sur le sur le quotidien pendant la période de JO et non pas de se perdre sur des questions auxquelles nous n’avons pas les capacités de pouvoir répondre » Bel aveu d’un chèque en blanc !

Le public insiste. JC, riverain du site, demande : « Au niveau de la fiscalité, on sait pertinemment qu’à partir du moment où on va voir la création d’un village olympique dans notre commune, on va avoir des augmentations d’impôts. Qui paiera l’entretien du gymnase et de ces infrastructures ? » Le maire répond : « Le gymnase, c’est compétence CCVT. Il sera géré comme les trois autres. Je ne peux pas garantir qu’il n’y aura pas d’augmentation d’impôts, mais ce n’est pas le but. »

Delphine Larat tente cette question : « Monsieur le maire vous disiez que grâce au JO, il va y avoir de l’argent. J’aimerais avoir des petites précisions sur l’enveloppe budgétaire globale de la SOLIDEO qui me… » Le maire l’arrête. Elle reprend : « … qui me semble être de 800 millions d’euros d’argent public entre l’État et les régions et qui va nécessiter (parce qu’il y a quand même plus de 40 projets) une externalisation assez conséquente de beaucoup de coûts sur les collectivités territoriales. Il faut le dire. »

Une habitante du Grand-Bornand « trouve fou » de décider d’un projet sans connaître son coût global. Elle cite l’exemple d’Albertville où les impôts locaux ont augmenté de 40% après les JO de 1992. Elle remet en question la pertinence des JO et de ces dépenses face au déficit budgétaire national : « On est en déficit extrême et là, on est en train de se dire faisons des Jeux Olympiques, dépensons de l’argent. Est-ce qu’il n’y a pas des choses un petit peu plus importante pour nos territoires et pour la France entière avant de décider de faire un gymnase à Saint-Jean de Sixt ? » Applaudissements nourris dans la salle. Le maire, piqué : « On est suffisamment intelligent pour savoir que ça a un coût. Les gens qui ont applaudi, il faut peut-être connaître avant d’applaudir. Après sur le coût, je sais pas si on peut avancer certaines sommes. Aujourd’hui, on n’a pas de somme précise. » « C’est bien ça le problème» lance un citoyen. Un autre pense que seuls les décideurs politiques peuvent donner une vision globale et questionne le maire en tant que relais auprès de ces derniers : « Les présidents des deux conseils régionaux sont-ils prêts à faire une réunion où on a une vue d’ensemble du problème et pas une vue microscopique sur le problème du Crêt qui n’est qu’une des sous-parties d’un ensemble beaucoup plus vaste qu’on ne peut pas faire l’économie d’aborder. » Le maire de répondre : « Alors tout à fait, je vais donner la parole à… non ?» Le représentant du COJOP fait non de la tête. Ce qui en dit long…

 

Une soirée révélatrice : entre volonté de transparence et discours verrouillé

Proclamer la concertation tout en écartant la presse, revendiquer la « transparence et le dialogue », mais encadrer strictement la parole ; refuser les questions de fond et éluder les questions financières ; dire que rien n’est décidé, tout en affirmant qu’il serait « impensable qu’une équipe future remette en cause le projet »… les contradictions ne manquèrent pas.

En deux heures, le village olympique du Crêt est devenu le symbole d’un territoire partagé entre espoir de rénovation pour les élus et crainte d’un passage en force pour la population. Cette « réunion d’information » aura finalement mis en lumière un des nœuds du problème : un projet présenté comme local, mais inscrit dans une dynamique olympique et politique nationale au calendrier imposé dont la commune ne maîtrise pas grand-chose.

Arguant de la période pré-électorale pour esquiver les questions qui fâchent, le maire, qui a annoncé ne pas se représenter aux prochaines municipales de 2026, laissera cette patate chaude à la prochaine municipalité. A moins qu’elle ne se fasse élire avec pour programme de stopper ce projet, ce qui reste encore possible.

 

Un habitant résumera la soirée avec truculence : « le maire est connu pour ne pas être le plus ouvert au dialogue… C’est sûr qu’en excluant de fait le financement et les axes de déplacement,

 « y » construisent une maison en commençant par le toit, comme on dit. »

 

[1] Il est prévu dans le PLF 2026, 500 Millions € d’économies demandées aux régions. Comme il y a 13 régions, cela fait environ 38,5 M€ par région. MAIS ! l’effort demandé à chaque région sera proportionné, 38,5 est donc juste une moyenne et il se peut que ce soit nettement plus pour la Région AURA.

 

 

 

 

Auteur: librinfo74

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