Polluants éternels : à Rumilly, les poêles de la discorde

Hier, l’usine TEFAL de Rumilly était l’objet de toutes les attentions : les écologistes du département accueillaient à nouveau dans la « capitale de la poêle » le député Nicolas Thierry, à l’origine de la proposition de loi visant à interdire les PFAS, ou polluants éternels, des substances utilisées dans la fabrication de nombreux objets du quotidien depuis les années 1950. Le jour même où Martial Saddier visitait l’usine pour rappeler le poids du groupe SEB dans les emplois du territoire. Deux visions aux antipodes alors qu’il semble bien que les solutions existent pour préserver à la fois la santé et les emplois, et que de toute façon l’interdiction des PFAS semble n’être qu’une question de temps :

Santé ou pas, sauvegarder les emplois

« Deux salles, deux ambiances » ? C’est un peu l’impression que l’on avait ce mardi 28 mai à Rumilly en suivant l’actualité autour de l’usine TEFAL et de ses fameuses poêles, fabriquées sur place depuis 1961. Le président du Département de Haute-Savoie y était en visite dans le cadre de sa tournée des entreprises du département. Martial Saddier y a défendu mordicus les choix industriels et la vision du groupe SEB, refusant « que ces femmes et ces hommes, depuis 70 ans qui ont fait le choix de rester en France, soient montrés du doigt » et affirmant concernant les PFAS encore utilisés par l’usine pour fabriquer ses poêles que « dans l’état actuel de nos connaissances scientifiques, toutes les études démontrent qu’il n’y a pas de danger »[1].

Un discours qui n’était bien entendu pas pour déplaire à Frédéric Piskorski directeur du site, aux côtés de M. Saddier durant toute sa visite. Car TEFAL, ce sont en effet 1500 emplois rien qu’à Rumilly, pour 3000 en France et 15000 en Europe. Un bassin d’emplois primordial pour l’ensemble du territoire. Certes, mais en matière de polluants éternels, les faits sont têtus.

Pour rappel, les PFAS[2] sont une très large famille incluant plus de 4 700 produits chimiques très largement utilisés dans de multiples objets du quotidien, les revêtements antiadhésifs des poêles, les emballages alimentaires, le fartage des skis, les imperméabilisants dans nos vêtements, les jouets pour enfants, les produits cosmétiques, les lubrifiants pour les sols, etc. Ces substances sont partout dans notre vie quotidienne et sont appelées « polluants éternels » car elles s’accumulent au fil du temps, sont extrêmement persistantes dans notre environnement et dans notre corps et ont des effets très néfastes sur notre santé, beaucoup de PFAS étant des cancérogènes certains ou probables[3]. De nombreuses études scientifiques le prouvent et nous n’en sommes sans doute qu’au début d’un scandale sanitaire majeur que certains n’hésitent pas à comparer à l’amiante[4].

Alors, « pas de danger », comme le balaye d’un revers de main Martial Saddier ? Ce dernier n’a pas dû voir le film Dark Waters[5]. En tous cas, il se contente de reprendre les arguments de TEFAL sur l’innocuité du PTFE[6], la substance chimique antiadhésive actuelle de ses poêles qui n’est pas sans poser de très lourdes questions de santé publique.

Opposer santé publique et emplois ? La « pire des stratégies »

Au centre de la table, de g. à dr. Jacques Fernique, Nicolas Thierry, Anne Lasman-Trappier et Fabienne Grébert ©Camille Content

Ainsi, toujours à Rumilly ce mardi 28 mai, les Ecologistes du département avaient conviés la presse à la brasserie le 6/20 afin de dénoncer cette opposition, à leurs yeux « illusoire », entre emplois et santé publique. Était présent Nicolas Thierry, le député écologiste de Gironde à l’origine de la proposition de loi visant à interdire les PFAS, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en avril dernier et débattue au Sénat en séance publique dès ce 30 mai[7]. Celui-ci était déjà venu à Rumilly il y tout juste un an, le 1er juin 2023[8]. A ses côtés, Jacques Fernique, sénateur du Bas-Rhin et chef de file de la proposition de loi au Sénat, de même que Cathy Athanase, secrétaire départementale de la CGT, Anne Lasman-Trappier, présidente de FNE Haute Savoie et la conseillère régionale écologiste Fabienne Grébert, en pointe sur le dossier des PFAS depuis plusieurs mois.

Pour Nicolas Thierry, TEFAL est « au pied du mur » et essaye simplement de « gagner du temps », rappelant que plusieurs Etats membres ont saisi la commission européenne pour faire interdire l’ensemble des PFAS, PTFE compris, dès 2027. Il y aura donc une sortie des PFAS à l’échelle européenne entre 2027 et 2030, et ce choix d’opposer ainsi santé publique et emplois plutôt que d’anticiper est pour le député « la pire des stratégies ». Son collègue parlementaire Jacques Fernique abonde en son sens, soulignant que c’est bien plutôt « en s’engageant dans les dynamiques de transition qu’on garantira au mieux les emplois et la vitalité économique de demain ». La représentante de la CGT souligne que si « l’entreprise continue à polluer, elle tue physiquement, et si elle ferme, elle tue socialement » appelant le patronat à tirer enfin « les leçons de la tragédie de l’amiante ». Elle est rejointe par Anne Lasman-Trappier qui considère la proposition de loi comme « une excellente nouvelle », souhaitant que les PFAS soient traités comme « une seule et même famille, y compris les PTFE, et qu’on ne fasse pas semblant de faire croire qu’il y aurait des PFAS moins mauvais pour la santé ». La patronne de FNE 74 insiste également sur la nécessité de réintégrer les ustensiles de cuisine dans le texte de loi[9], de même que de se préoccuper davantage de la pollution de l’air provoquée par les PFAS, trouvant par ailleurs choquant que « des politiques en Haute Savoie aient des discours calqués sur ceux de TEFAL ».

Cathy Athanase à droite de la table ©Camille Content

La question, à l’échelle du continent, n’est donc pas de savoir si les polluants éternels doivent être interdits, mais plutôt quand. La stratégie de communication du groupe SEB, relayée en Haute Savoie par certains politiques comme Martial Saddier, n’a donc pas vraiment convaincu tout le monde et les craintes pour la santé publique dépassent aujourd’hui largement les milieux écolos. La balle est désormais dans le camp du Sénat.

Mais comme le disait Winston Churchill : « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ».

Camille Content

Pour tout comprendre sur les PFAS, voir l’excellent documentaire de Camille Etienne : PFAS : comment les industriels nous empoisonnent : https://www.youtube.com/watch?v=pIwL7gbcaVY

[1] Lire https://lessorsavoyard.lemessager.fr/649317770/article/2024-05-28/rumilly-defendu-par-martial-saddier-et-cible-par-les-ecologistes-tefal-au-centre

[2] Pour substances « alkyls perfluorés et polyfluorés »

[3] Lire https://www.auvergne-rhone-alpes.ars.sante.fr/pfas-ce-quil-faut-savoir

[4] Lire par exemple : https://www.lecho.be/dossiers/pfas/contamination-aux-pfas-le-nouvel-amiante-avertit-un-groupe-d-investisseurs-internationaux/10506483.html

[5] Lire notamment https://c.ledauphine.com/culture-loisirs/2023/05/26/soiree-de-projection-et-debat-sur-les-polluants-eternels

[6] Lire https://www.tefal.fr/nousvousdevonslemeilleur/revetement-anti-adhesif-ptfe

[7] https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/textes-legislatifs/la-loi-en-clair/proposition-de-loi-visant-a-proteger-la-population-des-risques-lies-aux-substances-perfluoroalkylees-et-polyfluoroalkylees.html

[8] Voir https://www.hebdo-des-savoie.com/actualite/a-la-une/mon-eau-est-pollu%C3%A9e-ma-sant%C3%A9-est-elle-impact%C3%A9e

[9] Après un lobbying intensif de TEFAL relayé par les députés d’extrême droite, de droite et de la majorité, les ustensiles de cuisine ont été sortis du champ d’application de la loi, lire par exemple ce témoignage de Camille Etienne : https://www.marieclaire.fr/camille-etienne-pfas-interview,1473173.asp

Auteur: librinfo74

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