PHILOSOPHIE. Là où l’Ecole est négligée, la démocratie est attaquée

Si la démocratie est le régime politique dans lequel personne n’a de pouvoir sur personne parce que tous les citoyens détiennent ensemble le pouvoir sur eux-mêmes, elle exige que l’ensemble des citoyens, le peuple, sache clairement ce qu’il veut.

Il serait absurde, et dangereux, que le pouvoir du peuple consiste à imposer à tous et donc à chacun en particulier, ce qui ne serait que le désir irréfléchi ou le caprice de la majorité.

Pourrait-on, d’ailleurs, s’il s’agit de caprice, déterminer précisément ce qu’il serait ? Pour qu’une chose, tel un caprice, existe collectivement il faut certainement que chacun s’y rallie, y adhère, l’adopte. Un désir n’est pas spontanément le même chez tout le monde. Or, pour le faire adopter par ceux qui n’en sont pas à l’origine, il a fallu une force qui les persuade, voire qui les contraigne.

Quelle est cette force ? Qui, dans le peuple, a eu ce pouvoir de convaincre la plus grande partie des autres à adopter son caprice ?

Ce caprice peut-il passer, ensuite, pour la volonté générale, s’imposer comme la volonté populaire et devenir l’enjeu du pouvoir politique démocratique ?

Manifestement, et malheureusement, le peuple n’est pas constitué d’une assemblée de sages qui s’informent de façon objective des problèmes rencontrés dans tous les domaines de la vie sociale, pour les traiter de la manière la plus désintéressée et la plus réfléchie possible à la lumière des valeurs morales les plus nobles.

L’idée romantique selon laquelle l’opinion de la majorité ou du plus grand nombre serait la plus proche de la vérité rationnelle, voire définirait la raison, ne résiste pas longtemps à l’examen.

L’opinion du plus grand nombre est nécessairement le résultat d’une propagande dont l’origine est un petit nombre qui a su « prendre le pouvoir ». On peut donc toujours douter  du caractère démocratique de la volonté populaire.

D’autant plus que, le peuple n’étant pas homogène, la propagande du pouvoir a dû s’adresser au plus grand commun dénominateur, lequel est loin, la plupart du temps, d’être chez chacun de nous le souci ardent de l’intérêt général.

Bien au contraire, ce qui touche le plus la sensibilité humaine est ce qui concerne la défense de l’intérêt particulier ou des intérêts communautaires contre les concurrences où les menaces venues des autres (autres classes sociales, autres communautés régionales, professionnelle, ethnique, religieuse…). Toutes les différences, sans lesquelles le peuple serait une masse indistincte, sont des causes de division et du pain béni pour ceux qui savent les utiliser pour asseoir leur autorité et imposer leurs « volonté générale » particulière.

La question essentielle qui se pose alors est celle-ci : existe-t-il dans le peuple des individus, des groupes d’individus ou des instances qui sont capables de s’élever au-dessus des conflits d’intérêts qui agitent le peuple ?

Ces instances, si elles existent peuvent-elles être reconnues par le peuple ?

Si elles sont reconnues (mais par quel miracle ?) peuvent-elles s’exprimer et avoir une action pédagogique qui permettrait à tous les citoyens d’accéder à la « citoyenneté », c’est-à-dire à se forger une capacité d’analyse libre des intérêts particuliers contradictoires ?

Enfin, le peuple pourrait-il prendre conscience qu’il est possible de dépasser les désirs et les caprices, les exigences infantiles et les prétentions narcissiques, pour acquérir une véritable volonté ?

Le peuple ? C’est-à-dire chacun d’entre nous.

Oui, ces instances existent, même si elles n’ont jamais été autant en danger qu’aujourd’hui, jamais autant menacées de l’emprise des pouvoirs ignobles de l’argent totalitaire, ce sont les écoles publiques.

La seule sagesse commune des hommes est leur langage pourvu qu’il soit gardé libre. L’accès au langage et l’apprentissage de sa maîtrise par l’enseignement désintéressé des langues, des histoires, des sciences  est la condition essentielle de la possibilité d’une démocratie.

Par enseignement désintéressé, il faut entendre un enseignement libéré de toute perspective partisane et utilitaire, indépendant du pouvoir économique et affranchi, dans l’éducation initiale, du souci professionnel.

On ne le répétera jamais assez, apprendre à être libre, c’est apprendre à comprendre et à parler.

Puisse la volonté générale imposer à tous les dictateurs  la seule arme qui terrorise les terroristes : l’intelligence.

Là où l’Ecole est négligée, la démocratie est attaquée. Soyons vigilants.

 

Auteur: librinfo74

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