Parrainages citoyens à Cran-Gévrier : aux sources de la République.
Le parrainage civil (ou citoyen) remonte à l’époque de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est à dire à la révolution française.
Il a été institué par le décret du 20 prairial an II, le 8 juin 1794.
On se sent fier parfois d’appartenir à une république. Ce fut le cas ce samedi 12 novembre dans la salle des rencontres de La Turbine où la mairie de Cran-Gévrier recevait 15 jeunes réfugiés accompagnés de ceux qui allaient devenir leur « parrains républicains », c’est-à-dire qui allaient s’engager, en signant un « Certificat de parrainage citoyen » :
– à créer un lien avec leur filleul,
– à attester publiquement que son filleul a des liens et tisse des réseaux d’amitié au sein de la société française,
– à faire vivre la fraternité, valeur fondamentale de notre république,
en l’absence du maire de Cran-Gévrier mais en présence de deux adjoints (Nora Ségaud-Labidi et Fabien Géry) qui ont cosigné le certificat et d’un grand nombre de concitoyens.
Pour des raisons de sécurité, puisque la plupart de ces jeunes sont menacés d’expulsion, nous ne pouvons montrer de photos mais nous pouvons témoigner de la gratitude qu’ils ont exprimée et de leur volonté manifeste de saisir la chance qui leur est donnée pour s’insérer dans notre société malgré toutes les difficultés qu’ils ont rencontrées et qu’ils continuent à affronter.
Le meilleur moyen de se faire une idée des épreuves qu’ils ont traversées pour nous rejoindre est sans doute de vous faire lire la lettre de l’un des leurs qui l’a écrite pour l’occasion et qui a été lue à l’issue de la cérémonie :
« Je m’appelle Abdoulaye, j’ai 30 ans et je vais vous raconter mon arrivée en France le 14 novembre 2002, il y a exactement 14 ans.
Certaines personnes dans la salle ne connaissent comme je suis maintenant mais elles ignorent peut-être comment j’étais avant et tout le chemin que j’ai dû faire pour en arriver là.
Je suis parti de Conakry (en Guinée) pour acquérir à Charles-de-Gaulle (Paris). J’étais perdu dans les couloirs, je devais me rendre à Lyon car j’avais l’adresse d’une personne qui devait m’accueillir là-bas.
Je parlais quasiment pas français et je voyais les gens courir dans tous les sens. Je me suis débrouillé pour prendre le train et je suis arrivé à la Part-Dieu. J’ai réalisé que l’adresse était fausse et que j’étais perdu, tout seul.
Au bout de trois jours, j’avais plus un centime, j’ai dû dormir dehors cacher dans les buissons d’un grand parc mais il faisait très très froid. J’arrivais pas à dormir et je sentais que mon corps s’enfonçait dans la terre. J’ai mangé ce que j’ai pu trouver et, au bout de trois nuits, j’ai croisé un étudiant sénégalais qui m’a écouté et il m’a hébergé dans sa chambre dans une cité universitaire. J’ai pu prendre une douche chaude et j’ai dormi un jour et demi d’affilée !
Après j’ai dû partir pour pas qu’il ait des problèmes et j’ai croisé un homme qui travaillait dans le commerce qui était en déplacement à Lyon mais était originaire d’Annecy. En fait, il s’est assis à côté de moi et je lui racontais mes galères. Il m’a dit qu’il fallait pas que je reste dans cette grande ville, que c’était même dangereux pour moi et que, selon lui, à Annecy je pourrais mieux m’en sortir car c’est plus petit et les gens se connaissent mieux. Il m’a payé le quart et il m’a dit de décembre au « terminus ».
Je vous dis pas la peur que j’avais à chaque arrêt. Je savais pas ce que je devais faire car je savais pas ce que c’était un « terminus ». Je suis finalement arrivé à la gare d’Annecy, je connaissais personne, il faisait froid et j’ai marché.
Je suis arrivé sur une grande pelouse sans buisson et j’ai vu le lac, c’était le Pâquier… J’ai écouté l’eau car je croyais que c’était la mer et la je me suis dit que c’était foutu : mon visa venait d’expirer, mon billet d’avion pour le retour aussi.
J’étais à deux doigts d’aller à la préfecture mais la la chance m’a souri ou plutôt une petite fille de deux ans. Elle était sur le porte-bagages du vélo de sa maman et elle a fait tomber son doudou alors je l’ai ramassé et j’ai couru pour lui donner. Là, la maman, je me souviens que de son prénom, Karine, a vu que je pleurais, c’était le froid, et elle m’a amené à la mairie d’Annecy. Elle est retournée chez elle pour me rapporter des polaires devenues trop petites pour son mari et j’ai été pris en charge par la mairie qui a contacté le village du Fier car j’étais mineur.
Grâce à mes éducateurs (dont je me souviens très bien des prénoms, je leur dois tant) et à M.J.M. Dumas qui s’est battu pour que je puisse rester en France, j’ai pu aller à l’école, une chance que je n’aurais jamais eue dans mon pays.
J’ai vite appris le français à l’oral et même un peu à l’écrit. Après j’ai fait des cahiers de mathématiques avec Jean-Michel et Gilles et j’ai appris les fractions et les pourcentages. J’ai fait une formation dans la mécanique puis je suis devenu majeur et là les problèmes recommencent car je devenais en situation irrégulière.
J’ai eu un OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) et c’est là que j’ai connu RESF ( Réseau Education Sans Frontières) et en particulier Mme Christiane Thisse à qui je rends hommage. Grâce au RESF, on a pu faire annuler mon OQTF et, au bout de cinq ans, obtenir un titre de séjour puis une carte de résidence.
J’ai enfin obtenu la nationalité française il y a trois ans. Maintenant je travaille, j’ai fait beaucoup de stages, de l’intérim et je suis, je crois, parfaitement intégré.
Quand je repense à ma vie en Guinée, avant l’arrivée en France, je pense aux migrants actuels, les Syriens, à Calais, et quand j’entends que certains disent qu’on peut pas les intégrer, je suis pas d’accord.
J’ai eu beaucoup de chance de croiser des gens qui m’ont aidé et c’est pour cela que ce que vous faites avec les parrainages, c’est super. Vous savez que vous pouvez toujours compter sur moi pour vous soutenir. Je voudrais dire aux jeunes de bien écouter les conseils que vont leur donner leur parrain. La vie en France c’est pas comme dans nos pays, c’est difficile et eux ils savent comment ça marche ici et en plus ils prennent des risques pour vous aider, alors faites bien comme ils disent, soyez sérieux et dites-vous que c’est possible. »
Témoignage de Mauricette Charlet de RESF