On votait ce dimanche à Genève pour le premier tour des élections municipales. Certes la gauche a perdu la majorité au conseil municipal, mais elle est en ballotage favorable pour garder la majorité à l’exécutif. Si les Verts reculent et l’extrême droite progresse, le paysage politique genevois est néanmoins très émietté, laissant prévoir la nécessité de multiples compromis, à l’inverse de la polarisation exacerbée qu’on observe un peu partout en Europe. Une leçon de démocratie pour nous de ce côté-ci de la frontière ?
Ce dimanche 23 mars 2025, c’était donc le premier tour des élections municipales à Genève. A un an de nos propres élections municipales, il est tentant de tirer des leçons des premiers résultats de ce scrutin. Néanmoins le système électoral genevois est tellement différent qu’il faut s’avérer très prudent dans ce type d’exercice, qui nécessite au préalable une petite explication :

Panneaux électoraux à Genève le 21 mars 2025 ©Benjamin Joyeux
Des élections proportionnelles multi-niveaux
A première vue, lorsque l’on est habitué comme en France à une culture politique du fait majoritaire, le système électoral suisse, aux multiples niveaux et à la proportionnelle généralisée, peut apparaître comme extrêmement complexe, totalement folklorique et paralysant pour l’efficacité de l’action politique. Et pourtant, non seulement il fonctionne, mais il semble de plus garantir un certain apaisement par rapport aux psychodrames électoraux auxquels on assiste de plus en plus souvent ailleurs en Europe, avec une extrême droite menaçante aux portes du pouvoir un peu partout.
D’abord le scrutin d’hier se déroulait dans les 45 communes du canton genevois, avec des enjeux ultra locaux dans chacune de ces communes. Il s’agissait d’élire les membres des conseils municipaux (le pouvoir législatif) mais également les membres des Conseils administratifs (le pouvoir exécutif), ces derniers étant soumis à un second tour le 13 avril prochain, lorsqu’ils n’ont pas obtenu la majorité absolue ce dimanche. En effet, dans les communes suisses, il n’y a pas un seul maire régnant en seigneur et maître sur son conseil municipal comme on l’observe trop souvent par chez nous, mais un pouvoir exécutif partagé et directement élu par la population.
A la ville de Genève, son Conseil administratif est ainsi composé de cinq membres, chacun en charge d’un département spécifique, qui sont tour à tour maire pendant un an durant les cinq années de leur mandat[1]. Christina Kitsos[2], du Parti socialiste, est par exemple actuellement Maire de Genève depuis le 1er juin 2024 et jusqu’au 31 mai de cette année. Avant elle, ce fut le Vert Alfonso Gomez[3] en 2023-2024… Un turn over annuel dans la répartition des responsabilités qui constitue un remède institutionnel efficace à la tentation de l’hyperpersonnalisation du pouvoir municipal.
Mais une organisation qui nécessite également une solide culture du compromis puisque les cinq membres de l’exécutif ne sont pas issus des mêmes partis politiques et doivent aller chercher des majorités politiques projet par projet auprès du Conseil municipal. Le Conseil administratif genevois sortant était par exemple composé de deux Socialistes (Christina Kitsos et Samy Kanaan), deux Verts (Alfonso Gomez et Frédérique Perler) et une centriste (Marie Barbey-Chappuis), pour un Conseil municipal de 80 membres avec une majorité de gauche, mais réparti entre sept forces politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite[4].
Un paysage politique émietté
Après les résultats de ce dimanche, la période qui s’ouvre dessine un paysage politique genevois particulièrement émietté : la gauche a perdu la majorité absolue qu’elle avait jusqu’alors au Conseil municipal, récoltant 39 sièges sur 80 (le PS a 18 sièges avec 20,39 % des voix, Les Verts 12 sièges à 13,51 %, Ensemble à gauche 9 sièges avec 10,14 % des voix). Le centre, la droite et l‘extrême droite réalisent quant à eux des scores honorables, à l’exception de Liberté et justice sociale, la nouvelle formation de Pierre Maudet[5], ex figure montante de la droite genevoise, qui n’atteint pas le quorum (7%) en ville de Genève avec 5,98% des voix mais fait une entrée remarquée aux conseils des communes de Vernier et de Meyrin[6]. Les deux partis populistes, l’UDC anti-immigré, et le MGC anti travailleurs frontaliers, obtiennent en tout 19 sièges alors qu’ils en avaient 13 dans la législature sortante (l’UDC 10 sièges avec 11,34 % des voix et le MCG 9 sièges à 11,16 %). Ce qui constitue certes une augmentation mais pas une percée historique de l’extrême droite. Le Conseil municipal de Genève bascule ainsi de justesse à droite.
Pour le Conseil administratif, ce sont les quatre candidats PS-Verts (Christina Kitsos, Alfonso Gomez, Joëlle Bertossa, et Marjorie de Chastonay) qui étaient donc en tête ce dimanche, avec la sortante centriste Marie Barbey-Chappuis en cinquième position[7]. Ils sont donc bien partis pour constituer une majorité de gauche au prochain exécutif genevois (le second tour aura donc lieu le 13 avril prochain). Les futurs conseillers administratifs devront ainsi composer avec une assemblée législative éparse, dont Le Centre-Les Verts Libéraux, avec 10 sièges, soit le double du mandat précédent, sera encore davantage une force pivot.
L’art du compromis comme réponse au populisme ?

Panneaux dans le vieux Genève ©Benjamin Joyeux
Alors qu’on semble observer un peu partout une exacerbation des tensions politiques et une polarisation accrue des débats, les réseaux sociaux ayant tendance à amplifier les divergences[8], sur fond de montée inexorable de l’extrême droite et de disparition de l’écologie, les résultats électoraux de ce dimanche à Genève dessinent une autre réalité, comme nous l’explique au lendemain des élections Alfonso Gomez :
« En tant que candidat de l’Exécutif à la Ville de Genève, mon résultat constitue un bon score, comme celui de mes collègues socialistes et vertes également. Par contre le score des Vert-e-s au délibératif est décevant car en recul par rapport à 2020, alors que, comme partout ailleurs, l’extrême-droite progresse. La stabilité du système politique suisse est reconnue loin à la ronde, et à Genève, les politiques sociales et environnementales que nous avons mises en place nous permettent de nous constituer en rempart aux mouvements populistes. »

Alfonso Gomez au parc des Bastions ©Benjamin Joyeux
Certes, mais au-delà des politiques mises en œuvre, le système électoral genevois, au plus près du terrain et sachant prendre en compte la diversité politique, dessine une réalité électorale multiforme dans laquelle le compromis, souvent synonyme de compromission de ce côté-ci de la frontière, semble constituer lui aussi un barrage efficace contre la tentation du populisme. Car étant donné désormais le paysage électoral genevois, personne ne pourra seul engendrer demain des victoires politiques. On peut trouver ça trop mou face à l’ampleur des urgences sociales et environnementales actuelles, mais on peut également se dire que ce système est à la fois apaisant et rassurant dans un contexte politique global de plus en plus anxiogène.
Au vu des tensions du débat politique de ce côté-ci de la frontière, un peu de zest démocratique suisse ne nous ferait peut-être finalement pas de mal. A suivre donc le 13 avril prochain, alors que les prochaines élections fédérales suisses auront lieu en 2027[9].
Benjamin Joyeux
- Pour voir l’ensemble des résultats sur le canton de Genève : https://www.ge.ch/elections/20250323/CM/
[1] Voir https://www.geneve.ch/mairie
[2] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Christina_Kitsos
[3] Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfonso_Gomez
[4] Voir https://www.geneve.ch/autorites-administration/conseil-municipal/cahiers-information/conseil-municipal/composition-2020-2025
[5] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Maudet
[6] Lire https://www.radiolac.ch/actualite/geneve/ljs-entre-aux-deliberatifs-de-vernier-et-de-meyrin/
[7] Voir https://www.ge.ch/elections/20250323/CA/Geneve/#resultats_2100
[8] Lire par exemple : https://theconversation.com/reseaux-sociaux-la-fabrique-de-lhostilite-politique-230458
[9] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_f%C3%A9d%C3%A9rales_suisses_de_2027