Librinfo74 à TUNIS : Une société toujours verrouillée par les tentacules du système Ben Ali. Des journalistes frileux et des islamistes beaucoup plus puissants qu’on veut bien le dire.
Ce sont les premiers éléments recueillis à mon arrivée ce soir à Tunis, auprès d’une journaliste tunisienne, « militante journaliste », comme elle aime à se définir.
Amel Bejaoui, une consœur tunisienne, est bien au rendez-vous dans le hall de l’aéroport de Tunis. C’est un véritable soulagement d’avoir un tel accueil quand on arrive à 20H00 dans la capitale tunisienne, sans point de chute, où l’on découvre que le couvre feu est à 22H00.
À ma question candide « Que se passe-t-il si on s’aventure dans les rues au delà de cette heure fatidique ?« , Amel me répond « que l’on risque sa peau ! ».
Une réponse qui semble contredire les informations répandues en France où l’on explique que la situation serait maîtrisée grâce à un processus démocratique irréversible : « Il faut comprendre que le système Ben Ali imprègne l’ensemble des rouages de notre société, et ses tentacules sont toujours présentes jusque dans la plus petite association. »
Il est de même pour les médias.
Une presse figée.
Des journalistes avec toujours la peur au ventre
On aurait pu s’imaginer que les journalistes, dans les rédactions, aient suivi l’exemple du peuple tunisien en prenant le pouvoir rédactionnel pour accompagner le mouvement de démocratisation. Ce n’est malheureusement pas le cas. Amel relate une anecdote significative. Alertée qu’un mouvement social prenait forme près de son lieu de travail, elle se précipite, carnet et stylo à la main. Des confrères présents à proximité lui demandent ce qu’elle fait là, ne comprenant pas que l’expression de citoyens puisse justifier un article : « Ils ont été tellement formatés, qu’ils ne connaissent plus la base de métier de journalistes, qui est d’aller chercher l’information là où les gens vivent », se désespère Amel.
Ainsi, rien semble-t-il n’a vraiment bougé, sauf une réaction courageuse de journalistes de la Télé 7, la télévision publique au service de la communication de la dictature, qui ont annoncé qu’ils allaient s’affranchir de la ligne éditoriale imposée par le pouvoir d’État. Faut-il encore que le peuple tunisien s’intéresse à cette télévision dont personne ne regardait les informations gouvernementales.
« Tous les Tunisiens s’informent via internet, explique Amel. C’est la seule et véritable source d’information qui est plébiscitée ».
Pourtant, des médias et des journalistes indépendants sortent de l’ombre, mais selon Amel : « ils sont trop peu visibles ».
Demain je rencontre le syndicat des journalistes à Tunis, et les représentantes du mouvement des femmes tunisiennes qui ont organisé la manifestation de samedi.
Amel était dans la rue : « Ce qui m’a le plus choqué, c’est l’arrogance de groupes islamistes qui nous ont insulté en nous sommant de retourner dans nos cuisines ».
Un mouvement islamiste plus dangereux qu’annoncé !
À entendre les témoignages diffusés sur les ondes françaises, le mouvement islamiste ne ferait pas peur, qu’il est minoritaire et que son leader, Rached Ghannouchi, récemment rentré en Tunisie après 20 ans d’exil à Londres, est considéré comme un modéré, respectueux des règles d’une Démocratie laïque.
Amel est plus circonspecte, après avoir subi les invectives des groupes islamistes :
« Depuis ces dernières semaines, nous n’auront jamais autant vu de militants islamistes. Il en sort de toute part. On aurait jamais imaginé qu’il y en avait autant ! »