LIBERTE D’EXPRESSION. Aude Lancelin : « Le Monde Libre ».
Le livre de Aude Lancelin, « Le Monde Libre » est l’histoire, par l’exemple, de la prise de contrôle complète de la presse par le pouvoir économique avec la complicité active du pouvoir politique en place.
L’exemple est celui du « Nouvel Obsevateur » vendu par son premier propriétaire, Claude Perdriel, aux rapaces de la finance que sont Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse (BNP) qui, avec le groupe de presse espagnol, Prisa, ont acquis la majorité du capital du Groupe Le Monde (qui comprend le quotidien « Le Monde » mais aussi « La Vie ou « Télérama ») et a constitué la holding intitulée « Le Monde Libre ».
On y assiste de l’intérieur à la dégradation du travail journalistique parallèlement à la dégénérescence de la pensée socialiste et à la connivence de plus en plus assumée des politiques au pouvoir, des riches propriétaires et de l' »intelligentsia » médiatique qui se retrouvent régulièrement au « Siècle », « le club qui assurait alors la promiscuité entre tous les pouvoirs » .
Le Nouvel Obs est appelé dans le livre ‘l’Obsolète » et son fondateur, Jean Daniel y porte le nom de Jean Joël et le surnom de « Narcisse de Blida ». Aude Lancelin rapporte certains de ses propos et, en particulier, cette phrase prononcée lors d’un débat télévisé où il dit: « je redoute un Etat musclé au service de l’entreprise« . « Trente années plus tard, écrit-elle, en 2016, le même homme jetterait ses dernières forces dans la défense d’un gouvernement socialiste autoritaire, gérant empressé des intérêts capitalistiques les plus obtus, et infailliblement voué à finir à la décharge, après avoir écoeuré jusqu’au dernier carré de ses électeurs. »
Aude Lancelin rapporte comment on en est venu, dans cet hebdomadaire qui portait autrefois la voix des électeurs de gauche, à soumettre les candidats journalistes à un certain nombre de critères qui garantiraient leur innocuité politique. « Au minimum, exiger une condamnation implicite du « mélenchonisme », vicieuse hérésie socialiste surgie à la fin des années 2000, quand on ne pouvait l’évoquer dans un journal comme il faut sans l’ironie publique de rigueur, voire même l’ostentation d’un profond dégoût. »
L’obsolète était devenu le lieu d’une « pensée intégralement de droite, mais qui permettait de ne rien céder sur une posture de la gauche et de dispenser par le fait un nombre tout à fait remarquable de leçons de morale. »
« En aucun cas (les actionnaires) ne souhaitaient un organe qui se serait mis à penser, et n’aurait été dans ce cas que de peu d’utilité pour être bien reçu à l’Élysée »
Aude Lancelin, agrégée de philosophie qui a été pendant 15 ans journaliste au Nouvel Obs et qui en est même devenue le numéro deux en 2014, après un court passage à Marianne, dénonce les opérations de police intellectuelle de plus en plus fréquentes au sein de la rédaction et raconte la méfiance dont elle est l’objet du fait de son peu d’empressement à se soumettre à la censure implicite mais violente imposée par la hiérarchie.
Rien ne s’arrange pour elle lorsque les maîtres de l’idéologie dominante apprennent qu’elle est la compagne de Frédéric Lordon, un des principaux animateurs de « nuits debout », et des adversaires les plus véhéments à la « loi travail » imposée par le gouvernement « Valls ». Elle est donc brutalement licenciée au mois d’Avril dernier suivant le précepte de celui qui est appelé dans le livre, « l’ogre des télécoms » (Xavier Niel): « Tous les licenciements agressifs sont des exemples. Ils instillent une instabilité, une précarité qui rend les gens dociles. À force, les gens deviennent passifs et malléables. »
« Ainsi la presse française entière, hormis celle que détenaient quelques opérateurs ennemis, était-elle devenue une sorte de Pantin à clochettes que l’ogre faisait tournoyer pour sa satisfaction au bout de son pied. »
Géants des télécoms, marchand d’armes propriétaires milliardaires de conglomérats divers, la presse ne s’appartenait plus. En moins d’une dizaine d’années, sa fragilité l’avait entièrement aliénée à toutes sortes d’intérêts privés. Contrairement à une autre promesse historique du PS, rien n’avait jamais été tenté pour interdire à un groupe industriel en rapport avec l’État d’acheter un titre de presse…
« petit à petit, sans faire de bruit, on avait donc fini par en revenir à la presse du XIXe siècle, où les journaux étaient corrompus de fond en comble, certains vivant grâce au fonds directement reçu du gouvernement pour le soutien de sa politique, d’autres grâce à la publicité financière déguisée, qui prenait la forme d’articles boursiers objectifs. Le procédé avait changé, mais le fil à la patte était identique. Les aides que l’État a distribuées à la presse servaient même encore dans certains cas, de monnaie d’échange pour assouplir sa ligne politique…
L’ampleur de la régression était incroyable…
« seul un gouvernement extrêmement volontaire pourrait un jour, peut-être, remédier à l’affaire. Tout était bien entendu fait pour que celui-ci n’advienne jamais. »
Rappel des subventions publiques attribuées aux groupes de presse privés.