Lettre de François Ruffin à Gérard Filoche
À la demande d’un de nos lecteurs, suite à la parution de la lettre de Gérard Filoche à Arnaud Montebourg et à Benoît Hamon, nous diffusons la lettre envoyée par François Ruffin à Gérard Filoche le 20 décembre 2016.
Mardi 20 Décembre 2016
Je reçois un courriel de toi qui me demande, « camarade, signerais-tu cela », avec en pièce jointe un appel, adressé aux «amis de Jean Christophe Cambadélis», pour que tu puisses te présenter à « l’élection primaire de la gauche ».
Tu sais, pas seulement ma camaraderie, mais mon amitié pour toi. Nous avons battu les estrades ensemble, à Amiens, où, le 12 janvier 2008, tu as aidé à la renaissance de Fakir, et je ne l’oublierai pas, à la Bourse du Travail à Paris et à la salle Franklin au Havre, tu as décroché notre « prix du rapace », j’ai même participé à tes rassemblements de la Gauche Socialiste, car avant tout, j’aime ton tempérament, cette chaleur, cette faconde, cette simplicité et cette obstination, bref, je t’aime.
Mais maintenant, non, je n’ai rien à demander à Jean Christophe Cambadélis ni à ses amis, rien à en attendre ni rien à en espérer.
Je n’ai plus rien à voir avec ces gens-là.
Je n’ai rien à faire dans ce que tu appelles « élection primaire de la gauche ». Comment nommer cela « la gauche », alors qu’il s’agit du Parti Socialiste ? Qu’il y ait encore, à l’intérieur du Parti Socialiste, des milliers et des dizaines de milliers de militants sincères et déboussolés, bref « de gauche », je l’entends fort bien. Mais, faut-il le répéter ?, durant cinq années, du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) à la loi travail en passant par le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) ou l’Accord National Interprofessionnel (ANI), ce Parti Socialiste a pris tout, sauf des mesures « de gauche ». Avec des réticences si tu veux, mais du bureau national jusqu’aux sections locales, en passant par les députés et les élus régionaux, c’est un large appui, au moins par la passivité, qu’ont reçu les choix du président et de son gouvernement.
Au pouvoir, le Parti Socialiste s’est montré « de droite » dans les faits.
Le temps de l’opposition et des élections revient, le Parti Socialiste veut se redonner une figure « de gauche » dans les discours. Il fait peau neuve et se rougit, comme un caméléon.
Même Manuel Valls, tu imagines.
J’écoutais ton camarade Benoît Hamon, Jeudi 15 Décembre 2016, dans l’émission politique de France Télévision. Franchement, je l’ai trouvé bon, convaincant sur bien des points et mu par une sincérité. Mais quand il raconte que « le discours sur les gauches irréconciliables, qu’a un peu tenu Jean-Luc Mélenchon en face de Manuel Valls, ce discours me semble factice, reposant sur des postures plus que des réalités et que sur le rapport au travail, sur la souffrance au travail et sur les problèmes de santé et d’environnement, tout cela converge. Sur la démocratie, cela converge », c’est du n’importe quoi bisounours.
Le quarante neuvième article de la constitution par deux fois, c’est comme cela que « sur la démocratie, cela converge » ?
Les vingt milliards d’euros de cadeau, chaque année, pour le patronat, cela converge, toujours ?
Le pacte austéritaire de Nicolas Sarkozy, d’Angela Merkel et de François Hollande, qui cadenasse les budgets de nos hôpitaux, nos écoles et nos salaires, cela converge encore ?
Ce sont des « réalités », tout cela, des « réalités » subies et encaissées par les salariés durant cinq années. Et la « posture », c’est de faire comme si tout cela n’avait pas existé.
Je vois bien la manœuvre, que le Parti Socialiste se présente comme une alternative à lui-même.
Voilà bien l’enjeu, pour moi, le véritable enjeu, de la présidentielle à venir ?
Non pas la victoire « de la gauche », je n’y crois pas, ou peu, elle relèverait du miracle.
Mais il est des défaites porteuses d’avenir.
Et l’enjeu me semble celui-ci, quel sera le sens du mot « gauche » demain ?
Est-ce que cela restera, dans la tête des gens, associé au Parti Socialiste et donc une vieille chose rabougrie, décatie, complice de l’oligarchie et donc synonyme d’écœurement, voire de haine dans les classes populaires ?
Toute cette histoire, Maximilien Robespierre, les communards, Jean Jaurès, le Front Populaire, pour aboutir à Manuel Valls et à Vincent Peillon, qui règleront leurs affaires entre courants ? Ou bien, est-ce que ce mot de « gauche » serait revivifié par une autre force habitée par un autre souffle, qui créera à nouveau du désir politique ?
Malgré ta vigueur, ton allant de tribun et ton timbre de stentor, tu n’es plus tout jeune, Gérard Filoche. Tu entres dans le temps de tes derniers combats. Et je voudrais te demander, amicalement, est-ce que cela ne te tenterait pas, plutôt que de grenouiller avec tes camarades dans ce Parti Socialiste pourri, est-ce que cela ne te dirait pas de finir en beauté et de participer à cette autre force, avec les communistes, les insoumis et qui voudra ?
Ce n’est pas gagné.
Ce n’est pas facile.
Et je sais combien tu as investi de temps et d’énergie en meetings, en débats et en publications, pour faire exister une gauche dans ce Parti Socialiste et combien il te serait donc coûteux de revoir ton plan de bataille.
Mais j’espère.
Et de toute façon, quoi qu’il en soit, nous nous retrouverons au coude à coude dans les manifestations et sur les piquets de grève, qui sont davantage notre came, à toi comme à moi.
Sois assuré de mon respect pour ton courage et pour ta combativité, moi qui ne tiendrais pas une semaine dans ce parti désormais faisandé.