Nous publions la lettre de notre ami journaliste Benjamin Joyeux.
En lisant sa lettre, nous découvrons la douloureuse expérience médicale dont il a été victime et qu’il a pu surmonter grâce aux soins précieux d’un médecin étranger irakien. Grâce à cet acte médical salvateur, nous avons eu la plaisir de le rencontrer et de partager ses convictions humanistes et de solidarité.
Nous nous associations avec force à l’envoi de cette incrimination à l’égard de ce ministre suppôt de l’extrême droite :
Monsieur le Sinistre de l’Intérieur Bruno Retailleau,
Vous avez déclaré au journal de 20h de TF1 le 23 septembre, à propos de l’Aide médicale d’Etat, ne pas vouloir « que la France soit le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales d’accès aux soins. » Je tiens aujourd’hui, en tant qu’ancien malade, à réagir quant à la monstruosité et la bêtise irresponsables de ces propos.
En juin 2007, alors que Nicolas Sarkozy venait d’être élu et que déjà la droite dite « républicaine » commençait à dangereusement dériver vers les rivages nauséabonds de l’extrême droite, j’étais alors soigné à l’hôpital Saint Louis à Paris pour un lymphome B non Hodgkinien à grandes cellules, tout juste diagnostiqué au stade 4[1]. Vous savez ? Le stade juste avant le cimetière. Et quand on a 27 ans, c’est un peu tôt pour tirer sa révérence. Je suivais alors un protocole de chimiothérapie extrêmement intrusif qui fut si efficace à exterminer les ganglions cancéreux squattant mon médiastin que j’en fis une hémorragie interne.
Et c’est ainsi que je me retrouvai en urgence absolue dans les services de réanimation de l’hôpital de Versailles durant trois jours et trois nuits. Durant les premières heures de mon arrivée, tandis que j’étais dans les limbes et que je continuais à perdre du sang (près de trois litres tout de même), sur toute l’équipe de soignantes et soignants qui s’échinaient autour de mon corps, seul un chirurgien réussit l’exploit d’identifier précisément l’origine de l’hémorragie et de la stopper nette. Et en cette nuit d’été 2007, d’extrême justesse il me sauva la vie.
Lorsque je repris un peu mes esprits dans les heures qui suivirent, je souhaitai bien évidemment le remercier du plus profond de mon âme, tant j’étais heureux de revenir parmi les vivants. Il glissa alors discrètement une tête par la porte de ma chambre d’hôpital et me fit un simple signe de la tête. Je n’oublierais jamais son regard, mélange de fierté et d’humilité. J’appris alors qu’il ne parlait pas français, d’origine irakienne et récemment arrivé sur notre territoire. C’est alors que je pris conscience d’un coup de l’importance et de l’universalité de la médecine moderne, capable d’obtenir des résultats extraordinaires et de sauver tous les malades, sans aucune distinction, qu’elle soit de nationalité, de fortune, de langue ou que sais-je encore. Nous sommes toutes et tous égaux face à la maladie, ou en tous cas devons l’être, et c’est tout l’esprit de notre si précieuse Sécurité sociale telle que pensée par Ambroise Croizat et ses pairs au sortir de la Seconde Guerre Mondiale.
Ainsi j’en arrive à vos ignobles propos : il n’y a pas d’« attractivité » de l’accès aux soins. On ne choisit pas d’être malade et de nous rendre à l’hôpital comme on choisit une nouvelle voiture ou un nouveau téléphone. Que l’on soit d’ici ou d’ailleurs, la maladie n’est JAMAIS un choix, et c’est essentiellement pour cela que les soins doivent relever au maximum du service public le plus universel qui soit. Il ne faut jamais avoir été malade ou bien être doté du degré de cynisme le plus ultime pour penser le contraire. Par exemple, le coût des soins de mon lymphome ont été estimés à plus de 100 000 euros, et si j’avais été Américain, relevant du système de santé privé des Etats-Unis, je serai sans doute mort depuis longtemps (j’en ai eu la preuve en regardant le documentaire Sicko de Michael Moore, sorti justement en 2007, dans lequel un infirmier trentenaire était mort du même lymphome que le mien, son assurance privée ayant refusé de prendre en charge ses soins).
Les étrangers en France qui travaillent notamment dans le secteur des soins sont essentiels, indispensables au non effondrement de nos établissements de santé, par ailleurs clochardisés depuis tant d’années par des choix politiques managériaux cyniques et irresponsables. A l’image de ce chirurgien irakien qui me sauva la vie, ils sont plus de 4500 PADHUE (praticiens à diplôme hors Union européenne) à travailler dans nos hôpitaux en étant payés comme des stagiaires, dans des conditions lamentables de précarité. Les reconnaître et les payer enfin à la hauteur des services qu’ils rendent à notre pays devrait être une des priorités en matière de santé.
Quant aux étrangers présents sur notre sol, il faut savoir que la moitié d’entre eux qui pourraient prétendre à l’Aide médicale d’Etat n’en font pas la demande, tant elle est déjà complexe à obtenir, sachant également que son coût budgétaire représente moins de 0,5% des dépenses annuelles de santé de notre pays. Tant le serment d’Hippocrate que la sécurité sanitaire de l’ensemble de la population obligent à prendre en charge et à soigner tous les malades, d’où qu’ils viennent. C’est une question non seulement d’humanisme minimal dans une société dite « développée » mais également de salubrité publique. Remettre en cause l’Aide médicale d’Etat est un totem d’extrême droite que l’on brandit cyniquement à la face de l’opinion publique, quand on n’a par ailleurs rien ou si peu à proposer pour améliorer l’accès aux soins pour toutes et tous.
Vos propos, Monsieur le Sinistre de l’Intérieur, sont donc une insulte envoyée à la face de l’ensemble tant des malades que du personnel soignant qui ont besoin de toute urgence de moyens et de considération. Certainement pas de boucs émissaires qui se retrouveront doublement victimes, et de la maladie, et de l’administration. Vous qui vous prétendez catholique, vous avez visiblement lu Les Evangiles à l’envers et n’avez rien compris au message du Christ.
« Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies » écrivait Molière. En restreignant les soins de santé aux plus précaires fonction de leurs origines, vous allez non seulement continuer d’entretenir un racisme endémique au lieu d’en chercher le remède, mais vous mettez de plus en danger sanitaire potentiel l’ensemble de la population.
Dans ces conditions, en tant qu’ancien malade, je me permets de vous adresser simplement, monsieur le Sinistre de l’Intérieur, ainsi qu’à votre supérieur hiérarchique, monsieur le Président de la République, l’expression de mon plus profond mépris.
Benjamin Joyeux
[1] Lire https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/faire-du-cancer-un-objet-politique-20230316_OVPY3PEAKJCKHP7NUOWU3L23NY/?redirected=1
26 septembre 2024
Comme dit dans ce beau texte, l’universalité est la seule solution pour tendre vers une société juste et harmonieuse.
Edgar Morin dit :
« Toute pensée politique doit se fonder sur une conception du monde, de l’homme, de l’histoire, de la société. Or, la connaissance morcelée, réductrice, manichéenne conduit à des aveuglements, générant du vide fragilisant et détruisant les fondements d’une pensée politique humaniste »
Avoir toujours pour base de raisonnement ce concept d’universalité, de décloisonnement, éviterait les décisions stupides et nuisibles émises par des esprits étriqués.
26 septembre 2024
Bravo Benjamin !
M. Retailleau parle d’attractivité mais il se garde de dire a qui il refuse cette attractivité. Veut-il une France contre-attractive en ce qui concerne le soin pour des FRANÇAIS majuscules ? Je suppose que non. Aurait-il le courage de décliner vers qui les soins ne devraient pas être « attractifs » ? Peut-on penser à du racisme ? A de la xénophobie… ? c’est très possible pour un ministre qui se préoccupe de l’intérieur !
Le pire c’est qu’au-delà la morgue, le verbe mauvais il dispose de pouvoirs. Vivement une 6ème république. Tiens, des volontaires pour travailler sur une nouvelle constitution ?