Objectif cinéma italien nous a permis de découvrir la vivacité et la qualité des films des nouveaux réalisateurs italiens. Giuglia Conte a programmé des films inédits et en avant première.
De belles surprises et d’émotions ont comblé les nombreux spectateurs amoureux du cinéma italien. La densité des films à voir ne nous a pas permis de découvrir ”Il Cerchio” de Sophie Chiarelli, et ”Parthenope” de Paolo Sorrentino, projeté dans une trop petite salle des ”Nemours”.
Travelling et gros plan sur les films vus par librinfo
Troppo azzuro de Filippo Barbagallo

Giulia et Filippo Barbagallo Crédit photo Alexis Machet – ADS
En ouverture de ces quatre jours, avec son premier film Troppo Azzurro, Filippo Barbagallo nous a plongé dans son univers intime rappelant celui d’un Nanni Moretti, marchant à contre sens de ses propres désirs. Secoué par ses pulsions amoureuses, Filippo sera incapable de ”conclure”, paralysé par la peur de se jeter dans l’inconnu. Un film attachant.
Le personnage de Filippo du film sort de l’écran pour rejoindre ses hôtes sur la scène de l’auditorium accueilli par le maire et les organisateurs des rencontres. Se réfugiant dans un numéro improvisé, Filippo évite les questions en usant de son français maladroit pour se dissimuler derrière son personnage d’adolescent adulte.
Son personnage d’enfant sous l’emprise maternelle (on retrouve l’influence de la ”mama”), se marie avec celui d’un cinéaste évoluant au sein d’un réseau protecteur paternel ami et producteur des films de Nanni Moretti.
Stranizza d’amuri de Giuseppe Fiorello
Avec ce film de Giuseppe Fiorello , nous quittons les décors urbains des bourgeois romains. La Sicile, par son apreté sauvage et populaire nous invite au sein d’une population pétrie d’une culture fruste où la violence des armes et de l’homophobie règne en maître.
Gianni, garçon gay de dix-sept ans, vit seul avec sa mère et subit les violences de son beau-père qui l’emploie dans son atelier mécanique. Raillé et harcelé par les consommateurs du bar voisin, il subit quolibet auxquels il répond par un sourire résigné, incapable de réagir face à cette meute imbécile.
À la suite d’un accident de moto provoqué par le jeune Nino, il se lie d’amitié avec lui. Adopté par la famille de Nino, il trouve un travail dans leur entreprise. Tout bascule, quand ils sont dénoncés.
Gianni subit les pires violences alimentées par le déshonneur de l’homosexualité.
S’inspirant d’un fait réel, Giuseppo Fiorello, a su filmer avec délicatesse cet amour d’adolescent mettant en lumière l’indigence et la médiocrité d’esprit d’une population manipulée par la religion et le conformisme d’une société patriarcale. L’immense qualité du réalisateur est de nous avoir permis de nous introduite au cœur de la vie de ce village.
Un film d’une grande sensibilité aux scène émouvantes.
Vermiglio ou la mariée des montagnes
de Maura Delpero
Sous l’apparence d’une simple histoire familiale dans un petit village de montagne du Trentin, nous découvrons, avec une cruelle violence, le pouvoir destructeur du patriarcat et du machisme.
Cesare, l’instituteur règne en maître sur sa nombreuse famille installée dans une ferme isolée de montagne. Ses enfants sont affectés aux travaux des champs et aux soins des bêtes.
Son statut d’instituteur lui permet d’exercer son pouvoir sur l’ensemble de sa famille. Il impose une discipline solaire très stricte à ses enfants en instaurant des préférences sur les filles les plus douées pour les études et rabaissant son fils Dino, qu’il juge a-scolaire, juste bon à n’être qu’un paysan ”Il n’y a pas besoin de diplôme pour rentrer le foin”.
Il apparaît aux yeux de sa famille comme le patriarche incontesté, le sage auquel on se soumet sans imaginer un seul instant que l’on puisse le contredire. Pourtant, le vernis de son image s’est fissuré.
Une de ses filles, en fouillant dans ses affaires, découvre une facette peu glorieuse de son père. Un individu égoïste, cachant ses plaisirs sexuels à travers des photos libidineuses, achetant des disques au détriment des besoins alimentaires de sa famille pour savourer en secret le plaisir de musiques raffinées.
On retrouve derrière cette société fondée sur l’asservissement de la femme, tous les travers dont jouissent les hommes.
C’est certain que nombre d’entre-nous se reconnaîtront dans le personnage infect de Cesare. Cela devrait permettre une introspection salutaire.
Merci à la réalisatrice, Maura Delpero d’avoir si magnifiquement crevé le masque des hommes pour faire apparaître le noirceur de leur domination.
Un mondo a parte de
Riccardo Milani
Voilà un film qui nous transporte vers des horizons de la beauté de la nature et de la solidarité humaine. Un film qui nous donne envie d’aimer l’humanité alors que l’espèce humaine s’enfonce dans la haine et la guerre.
L’acteur principal de ce film est l’enfance, la seule façon d’espérer en l’humanité.
Michele a enseigné 40 ans à Rome et n’arrive plus à apporter à des enfants déscolarisés l’éducation qu’il souhaite leur donner. Pour fuir cette ambiance, il demande sa mutation dans un petit village des Abruzzes pour trouver la sérénite de la nature et des élèves beaucoup plus coopérants.
Vous vous attendez à ce que Michele vit une certaine désillusion en découvrant la région. Vous n’avez pas tort !
Pris dans une tempête de neige, il est récupéré par une collègue. Chaussé de mocassins et d’une simple veste, il accède à son logement grelottant de froid incapable de ”bourrer” la cuisinière. C’est un des ses futurs élèves qui va lui apprendre à faire du feu.
Ses collègues découvrent chez Michele la caricature du ”bobo écologiste” vantant la beauté de la nature et la faune sauvage, à des années lumières des conditions de vie de ces populations.
Michele achète un gros anorak, des chaussures de montagne, crée des liens de confiance avec ses petits élèves, et se fait adopter par le village.
Malheureusement l’école est en sursis. Les habitants fuient le village par manque de travail, les commerces disparaissent, les jeunes ne veulent pas reprendre la ferme familiale. Cette école est sous le point de fermer par manque d’effectif. Sous la responsabilité d’un directeur d’une autre école plus importante, celui-ci veut récupérer les élèves pour assurer l’avenir de sa propre école et permettre la création d’un centre commercial.
Devant cette situation désespérée, Michele et sa collègue directrice adjointe mobilisent la population pour sauver l’école.
Vous vous doutez que leurs efforts seront couronnés de succès et que l’espoir porté par l’amour des enfants, fera que l’école restera ouverte.
Nous vous laissons deviner la fin…
Il terrorista Gianfranco De Bosio
Ce magnifique et terrible film inspiré des faits personnels et authentiques vécus par le réalisateur à l’hiver 1943 dans la résistance au nazisme, est, selon Émile Breton, critique cinéma à l’Humanité, « un film d’action et de réflexion sur la Résistance, dans une Venise hostile et glauque, et une œuvre d’intelligence et de sensibilité.” Un important travail de restauration de ce film sorti en 1963, nous permet de savourer les jeux lumineux des acteurs Gian-Maria Volonté et Annouck Aimé.
Durant l’hiver 1943, un groupe de résistants dont l’animateur est l’ingénieur» et les exécutants Rodolfo, Oscar et Danilo, réussit à faire exploser une charge à la Kommandantur de Venise. La réussite de l’opération est toute relative : une prostituée vénitienne y laisse la vie tandis que le commandant en réchappe. Les Allemands arrêtent quarante otages.
Le réalisateur, De Bosio, grâce à sa participation à la résistance italienne, nous fait partager la peur des ces hommes amenés à prendre les armes et, au péril de leur vie, déposer des explosifs au cœur même des bâtiments occupés par les allemands. Utilisant des stratagèmes périlleux imaginés par ”l’ingénieur”, joué par Gian-Maria Volonté, ils doivent affronter psychologiquement des actions de guerre auxquelles ils ne sont pas préparés. Cela ne peut que forcer notre admiration pour leur courage et la force de leurs convictions.
Un film qui résonne dans notre actualité.
La montée inexorable de l’extrême droite en France et en Europe, encouragée par les forces de droite dites ‘Républicaine”, nous fait craindre le pire. Dans ces conditions, un devoir de résistance s’imposera à nous, avec tous les risques évoqués dans le film de De Bosio.
Les échanges souvent tumultueux entre les forces politiques de gauche de l’époque écartelés entre les stratégies de compromis et celles de lutte radicale se retrouvent au sein même des débats actuels en France entre les formations socio-démocrates et révolutionnaires.
Ce que l’on peut retenir de positif, est, malgré les différentes stratégies politiques, tous se sont retrouvés pour combattre le péril fasciste. Qu’ils soient libéraux, socialistes, démocrate-chrétiens ou communistes, les résistants de Venise ont payé de leur vie pour sauver nos valeurs de justice et de liberté.
Un paese di resistenza
de Shu Aiello et Catherine Catella
Dans la même veine de ”Il Terrorista”, la programmatrice Giuglia Conte a créé le lien subtil avec les résistances de notre époque.
”L’affaire” de Riace, petit village de Calabre, qui a été fortement médiatisée il y a 20 ans, avait fait de l’accueil des migrants son avenir.
L’immense intérêt de ce documentaire est de mettre en lumière le magnifique combat de son maire, Domenico Lucano, dit « Mimmo », qui a vécu l’enfer judiciaire pour avoir décidé, dans un élan de solidarité et de clairvoyance, d’accueillir dans son village les migrants venus ”s’échouer” sur les pâtes calabraises. Une façon humaine et intelligente de repeupler son village menacé par l’exode de ses habitants.
Une certaine forme de désinformation nous a empêché de connaître le combat héroïque de ce maire et de ses soutiens, contre les décisions honteuses d’un pouvoir judiciaire aux mains des forces fascistes des partis d’extrême droite.
Ce documentaire nous apporte les informations nécessaires
Le procureur de Locri, qui avait demandé une punition exemplaire contre l’ancien élu de gauche, a obtenu le 30 septembre 2021 du tribunal treize ans et deux mois de réclusion, allant bien au-delà de la requête de la magistrature. Un verdict de plomb réservé généralement aux complices de Cosa nostra ou aux grands criminels.
Pour motiver cette condamnation, le maire est accusé d’escroquerie, d’abus de biens sociaux, de fraude aux dépens de l’Etat et d’aide à l’immigration clandestine, alors que tout est faux.
Pour justifier cette condamnation, le tribunal s’est appuyé sur un appel d’offre pour attribuer la gestion des ordures et sur l’organisation de ”mariages de convenance” afin de permettre à des femmes déboutées du droit d’asile de rester en Italie. Bien qu’il n’y a eu aucun enrichissement personnel, « Mimmo » a été arrêté et condamné à rembourser 500 000 euros reçus de l’Union européenne et du gouvernement italien.
«C’est extrêmement dur, a commenté l’intéressé à l’annonce de la sentence. J’ai passé ma vie à défendre des idéaux, à me battre contre les mafias. Je me suis toujours mis du côté des déshérités, des réfugiés qui ont débarqué. J’ai imaginé que je pouvais contribuer à la rédemption de ma terre. Je dois prendre acte que c’est fini.»
Au terme d’une longue procédure, la condamnation a été réduite à 18 mois de prison avec sursis.
Par un cri de victoire et des embrassades avec ses proches, Domenico Lucano, dit « Mimmo », a célébré l’arrêt de la cour d’appel de Reggio de Calabre du mercredi 11 octobre 2023. Les juges lui ont en effet notifié qu’il n’était plus « que » condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, en dépit des réquisitions du procureur.
Gérard Fumex