Le Grand Marché de l’éducation et de l’orientation s’affiche dans les grandes agglomérations…

 

Le moment est bien choisi…

La Communauté d’agglomération d’Annecy n’y échappe pas. Au moment où l’ensemble des lycéen(ne)s se préparent à choisir leur orientation qui déterminera leur parcours professionnel de nombreux forums se tiennent leur permettant de faire des choix.

C’est le moment choisi pour les officines privées d’aide à la scolarité et à l’orientation d’entrer en lice par la mise en place de campagnes publicitaires bien ciblées à coup de panneaux, surfant sur la peur et l’angoisse des jeunes et de leurs familles, face un avenir économique et social de plus en plus incertain et au service des dominants.

Alors, ici, l’entreprise Acadomia et bien d’autres ont les coudées franches pour proposer leurs services moyennant finances, face à ceux de l’Éducation Nationale qui n’a plus les moyens de le faire. Et pourtant il s’agit de missions publiques. Que fait-on de l’égalité de droits à l’éducation reconnue dans les articles de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), pourtant ratifiée par la France ?

Quel argumentaire est développé, quels enjeux vise t-on ?

Prenons deux exemples relevés pour illustrer la justesse de cette campagne publicitaire :

«  Quand un élève ne progresse pas, il doit abandonner les méthodes qui ne lui conviennent pas »

«  Un élève en difficulté est un enfant ignorant ses points forts »…

Ces réflexions sont suivies d’évaluation de l’entreprise d’aide pour prouver l’utilité de leur travail, sous-entendant que l’éducation nationale est incapable de remplir sa mission vis à vis de certains élèves.

+ 3,1 points de moyenne est la progression des élèves accompagnés par Acadomia en 2014/2015. Selon une étude Consumer Lab auprès de 2800 familles en 2015.

A découvrir qui pilote celle-ci, on comprend quels intérêts elle sert. Consumer Lab est un institut d’étude marketing spécialisée en innovation et appartenant au groupe Colorado qui intervient en France pour accompagner les entreprises dans leurs démarches d’innovation et de pilotage de l’expérience client pour apporter des réponses concrètes et opérationnelles. Pour eux, « il n’y a pas de bons clients, il n’y a que de bonnes expériences et ça se pilote ».

Qu’est-ce qui se cache derrière les mots de cette campagne ?

A lire les exemples et constats cités plus haut, nous assistons à des détournements de plus en plus fréquents qui nous font admettre que seule leur entreprise est capable de mettre fin aux difficultés du système public. Les coupables sont les méthodes de certain(e)s enseignant(e)s qui ne savent pas y faire et mettre au travail les élèves en ne leur donnant pas assez de devoirs, ne fabriquent pas l’excellence pour préparer le futur,  maintiennent le nivellement par le bas des classes hétérogènes, ne se préoccupent pas des 60% d’élèves qui échouent après bac car, évidemment, ce diplôme n’a plus de valeur puisque beaucoup d’élèves y accèdent…

Les orientations du Ministère de l’Education font aussi l’objet de critiques ; outre le manque de moyens, sont visées la formation, la question de l’excellence, de l’abandon des classes bilingues, de la pratique du latin /grec…si bien qu’il devient alors facile de récupérer le mécontentement de certaines catégories sociales pour pouvoir obtenir des clients.

Qui a intérêt à ce que cela dysfonctionne ainsi ?

Cela participe bien d’une entreprise de démolition progressive des services publics d’éducation où l’humain, le lien social laisse la place de plus en plus à la compétition féroce entre les individus et ceci dès le plus jeune âge. Quid de la notion d’accompagnement quand on fait disparaître les structures d’aide, d’insertion sociale, de suivi des familles..?

A Acadomia et dans bien d’autres structures privées, tout en se penchant sur la notion d’aide on sait récupérer les problèmes réels d’inégalités pour en faire un fond de commerce juteux.

Pour eux, ces problèmes sont inscrits socialement et génétiquement parlant : « il y a des élèves avec qui on ne peut rien faire et qui empêchent les autres de réussir et de s’élever, qui ne sont pas assez soumis à l’expertise du maître… »

Hélas, il n’y a jamais de débat de fond sur ces dysfonctionnements empêchant les élèves en échec  de se mettre pour de bon au travail, de réfléchir, d’éveiller leur conscience.

Comme le proclamait Giscard d’Estaing en 1974, pour justifier ses conceptions et orientations en matière d’éducation : « Il y a des élèves doués et des non doués… » Cette affirmation marqua profondément la société civile et l’empêcha d’analyser les causes des échecs. Cela nous tombait dessus comme une fatalité ! (There is no alternative disait-on en Grande–Bretagne)

Mais, comment la renverser et créer les conditions de la réussite ? Est-ce une question de mérite ? A qui est-ce réservé ? Vaste chantier souvent aux mains de certains experts qui n’associent pas les professionnels qui se débattent  seuls sur le terrain.

Alors quel coût pour les familles qui utilisent les services d’aide privés ?

On ne peut jeter opprobre sur certaines familles, car souvent elles sont désemparées face à l’échec et à la souffrance de leurs enfants. Mais est-ce normal que l’on doive payer, faire des sacrifices pour pallier les difficultés, « boucher les trous » disaient certains idéologues anglo-saxons dans les années 60-70 ?

Quand on consulte les tarifs horaires d’inscription aux cours individuels, groupes ou stages, on se demande quelles sont les  catégories sociales qui peuvent y avoir accès, même s’il y a dans notre pays des crédits d’impôts ? On découvre ainsi concrètement comment se fabriquent les inégalités de traitement conduisant à la ségrégation, à la violence sociale.

Quand on réfléchit sur ce qui se passe sur le bassin d’Annecy, et qui n’a rien de comparable avec ce qui se passe dans certaines banlieues parisiennes, on s’aperçoit néanmoins et dans le climat actuel que la peur envahit des familles. Le climat politique de confusion y est pour quelque chose. On sème la confusion. Il devient alors aisé de rejeter la faute sur ceux et celles qui ne trouvent pas leur place, qui sont abîmés par la vie, qui se trouvent relégués, à qui l’on dit qu’ils sont inéducables à vie…

Urgence : d’autres voies à construire et cela est possible quand on s’en donne les moyens.

Certes, ce n’est pas facile, quand on nous serine que de nombreux pays font face à des situations d’urgence, qu’il y a d’autres priorités politiques et économiques. Notre pays n’y échappe pas.

Il nous faut informer et éclairer les citoyen(ne)s de ce pays. Il n’y a pas que l’élite qui mérite l’excellence. Les êtres humains sont porteurs de richesses et nous pouvons créer les conditions pour qu’ils puissent prendre leurs affaires en main, construire un autre rapport au savoir.

Cela n’est pas magique, ne tombe pas du ciel, cela s’inscrit dans un projet politique s’appuyant sur la réflexion collective et non celle de quelques experts « bien nés, bien fortunés » qui veulent dominer la planète et restent sourds aux légitimes revendications.

Des leviers existent, à nous de n’oublier personne, de laisser place à l’humain pour franchir ensemble les épreuves, par la coopération pour bâtir des transformations durables dans le respect de la dignité de chacun et chacune en particulier celle des enfants pour reprendre la pensée de Janusz Korczak, défenseur de leurs droits.

 

Bibliographie :

La dignité de penser – Roland Gori – Actes Sud 2013

Philippe Meirieu et col…,Le plaisir d’apprendre –Autrement 2014

Évaluer sans noter Éduquer sans exclure sous la coordination de Michel Neumayer, Etiennette Vellas – Chronique Sociale 2015

Revue Dialogue du GFEN N°158 :  Actes des 8e rencontres nationales sur l’accompagnement 2015

 

Auteur: Colette CHARLET

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