Par Sandra Stavo-Debauge
Le guide de haute montagne Pierrick Hotellier ne fait pas étalage de sa vie privée sur les réseaux sociaux, mais le 24 février, visiblement au bout du rouleau, le parent aidant a publié un post sur Facebook comme une bouteille à la mer dénonçant une rupture de prise en charge subite de son fils de 16 ans, porteur d’autisme profond, par le SESSAD OVA d’Annecy, structure médico-éducative qui a notamment pour valeurs, « une prise en charge éducative et comportementale efficaces et bienveillantes et la recherche de solutions inclusives ». Une rupture de prise en charge qui le plonge dans l’incompréhension et le désarroi et qu’il vit comme une violence.
Nous avons contacté ce papa ainsi que le directeur de l’association OVA Annecy, Guy Colliard.

Pierrick Hotellier prend le micro pour la 10ème édition de Trace d’Espoir à la Sambuy pour expliquer ce qu’est l’autisme aux 170 participant.e.s avant de remettre les nombreux lots au public, de généreux donateurs se mobilisent pour l’association Mayann autisme et vie
Mayann, bientôt 17 ans, est porteur de ce qu’on appelle l’autisme profond, trouble neuro-développemental qui, comme nous l’explique son père Pierrick Hotellier, se situe au bas de l’échelle du trouble du spectre autistique (TSA) : « Le spectre autistique a un grand cadran : dans le haut du spectre, il y a l’autisme Asperger, ce sont des personnes avec des troubles du comportement, des troubles sociaux, mais une capacité d’utilisation du cerveau au-delà de notre niveau. En bas de l’échelle il y a l’autisme profond, ce sont des personnes qui n’ont pas accès à leur connexion intellectuelle. Ça ne veut dire qu’elles n’en ont pas, mais dans leur cerveau, les connexions sont trop compliquées pour utiliser leur compétence intellectuelle. Ça se traduit par des troubles de la communication, des troubles du langage, et des troubles du comportement qui peuvent aller vers l’auto ou l’hétéro agressivité : je me fais mal ou je fais mal aux autres. Tout ceci rend évidemment une inclusion sociale délicate. »
Vivre avec un enfant handicapé, un engagement et un combat permanent
Pour son fils qui lui demande une attention permanente, Pierrick déplace des montagnes.

Les bénévoles et membres de l’association Mayann Autisme et Vie accueillent les participants de Trace d’Espoir à la Sambuy
Il a créé l’association dingyenne Mayann Autisme et Vie dont la mission est d’accompagner le jeune homme.
Il organise aussi Trace d’Espoir, un événement sportif caritatif de ski alpinisme sans chrono pour « mélanger la différence avec le sport », au profit de l’association.
La dixième édition qui s’est tenue le 9 février dernier à la Sambuy a affiché complet avec 170 participants et 50 bénévoles, et permis de recueillir environ 3 000 €. Ce n’est pas de trop pour financer des heures d’éducateurs spécialisés en privé, car si la prise en charge des autistes âgés de moins de 6 ans progresse en France, plus les enfants autistes avancent en âge, plus les solutions deviennent compliquées à trouver. « Il y a une crise du personnel médico-éducatif en France et particulièrement en Haute-Savoie, et c’est aux parents de trouver des solutions. Ça fait 17 ans qu’on se bat et on nous dit « on n’a pas de solution pour votre fils donc vous allez le garder à la maison », voilà où on en est en France. »
Une rupture de prise en charge subite
Mayann est pris en charge quatre jours par semaine par deux structures, OVA et l’IME (Institut médicaux éducatif), deux jours chacune. Pierrick nous explique avoir eu une rupture de prise en charge de son fils l’année dernière par l’un des deux centres à qui il confie son fils deux jours par semaine : « Depuis octobre 2023, les prises en charge de Mayann et d’autres enfants ont été réduites de 50%. Pendant 8 mois, je me suis retrouvé à m’occuper de mon fils un jour par semaine alors que ce n’était pas prévu, sans aucune aide ni financière ni humaine.
D’octobre 2023 à fin juin 2024 Mayann n’a fait aucun progrès parce qu’on ne travaille pas des programmes éducatifs un jour par semaine. » Cette année, rebelote : « Le lundi 3 février à 16h, je reçois un appel d’OVA Annecy qui annule la prise en charge du mercredi 5 février et me demande de garder Mayann. Je dois annuler ma journée de travail [1] car je suis dans l’obligation de m’occuper de mon fils ce que je fais parce que personne ne peut le faire à ma place. Le 10 février je reçois un mail m’annonçant qu’il y aura de nouveau réduction des prises en charge du 17 au 21 février, et qu’il n’y aura pas de prise en charge le mercredi, mais uniquement le lundi de 9h à 13h30. » Le 17 février, il amène Mayann au centre. Le directeur, M. Guy Colliard veut lui parler. Pierrick refuse car son temps est minuté, il doit partir en montagne ce jour-là avec des clients: « J’ai été obligé de condenser ma journée de travail sur un 9h-13h30, je n’ai pas 5 minutes pour discuter. Malheureusement, j’ai eu un souci en montagne ce jour-là. Je préviens OVA que je ne pourrai pas être à l’heure pour récupérer Mayann mais que j’arrive au plus vite. Quand je récupère mon fils, il est dans un état catastrophique au niveau comportemental. »
Le lendemain, un mail du directeur l’informe qu’il suspend à titre conservatoire l’accompagnement de Mayann et lui demande de le garder dès le 19 février. Dans l’incompréhension, Pierrick s’interroge : « une suspension à titre conservatoire, c’est quand un salarié fait une faute grave dans une entreprise. Mayann est handicapé, on ne peut pas l’accuser de quoi que ce soit. Quant à moi, je ne pense pas qu’un retard puisse être considéré comme une faute grave. Est-ce c’est parce que la structure a des difficultés de personnel qu’elle met dehors ceux qui portent un handicap lourd pour s’occuper des enfants plus faciles à gérer ? »
Pierrick Hotellier a les traits tirés : debout depuis 4h du matin, sur la neige depuis 5h du matin pour Trace d’Espoir l’événement qu’il organise, supervise et sécurise à la Sambuy aidé de 50 bénévoles au profit de l’association Mayann Autisme et Vie, il a tout donné ce jour-là.
Quand nous l’avons joint la semaine dernière, il n’a pas les réponses à ses questions, uniquement des hypothèses. Est-ce une discrimination dans le handicap ? Ce serait d’une grande violence et de la maltraitance… « Je perds mon boulot, je m’occupe de mon fils sans aucune aide ni compétence technique pour gérer l’autisme et donc c’est Mayann qui en souffre. Il y a eu des départs en série chez OVA Annecy, des éducs qui avaient plus de dix ans de carrière. J’entends tout à fait les difficultés de personnel, mais nous les familles, on n’est pas des bouches trous et on ne peut pas supporter des problèmes d’ingérence en interne. » Il nous précise que Mayann n’est pas le seul concerné. Ce papa ne baisse pas les bras, mais on le sent au bord de l’épuisement.
La réponse du directeur d’OVA Annecy
La recherche de solutions inclusives figurant dans les valeurs d’OVA, nous avons contacté le directeur de la structure d’Annecy, M. Guy Colliard afin de lui demander ce qui a motivé sa décision de renvoyer à leur famille des porteurs d’autisme profond. « En aucun cas nous avons décidé de renvoyer des jeunes avec autisme chez eux, quels qu’ils soient. Effectivement, il y a eu des réductions d’heures dues à des difficultés de recrutement ou à des absences de salariés, comme cela arrive également dans d’autres structures médico-sociales », nous répond le directeur. Il reconnaît pourtant une suspension : « Concernant une famille en particulier, il y a eu en effet une suspension de la prise en charge à partir du 19 février suite à des comportements agressifs du père de l’enfant à son arrivée en nos locaux. Dès le 20 février, nous avons proposé par écrit à la famille plusieurs dates de rendez-vous afin d’envisager la reprise de l’accueil dans de bonnes conditions et avec des relations apaisées. Ces propositions sont restées sans réponse de la part du père. »
A l’évocation d’un papa au bout du rouleau, le directeur répond : « Comme vous l’évoquez, ce père est peut-être au bout du rouleau, mais cela ne justifie pas n’importe quels propos publics. En accord avec mon conseil d’administration, une réponse sera apportée aux propos mensongers voire diffamatoires tenus et relayés sur Facebook le 24 février, toujours par la même personne, à l’encontre de l’association et à mon encontre. »
Espérons qu’une issue favorable soit trouvée, mais cette situation est révélatrice du peu de cas que l’on fait du handicap en France, du manque de moyens humains et financiers alloués au handicap et des conséquences délétères que cela induit tant pour les familles et leur enfant handicapé que pour les structures d’accueil.
Car comme conclut Pierrick qui doit désormais garder son fils à la maison 5 jours par semaine : « Concentrer une vie sur 2 jours, c’est impossible. »
Crédit photos : Sandra Stavo-Debauge
[1] Un guide de haute montagne a un statut de travailleur indépendant et ne perçoit pas d’indemnité : si il doit annuler une journée de travail, il ne percevra pas de rémunération, à l’inverse d’un salarié qui peut s’absenter une journée pour s’occuper d’un enfant sans que ça n’ait de conséquence sur son salaire.