Le chômage et les emplois avilissants sont des obstacles à l’humanité.
Librinfo74 se propose d’engager une réflexion sur le travail, l’emploi et le chômage. Sur les retraites aussi. Sujets brûlants dans ces temps présents et à venir.
Certes, nous ne sommes pas les premiers à nous pencher sur le problème, sur ses dimensions humaines, sociales, politiques, économiques… Et nous ne serons pas les derniers. Nous prenons notre part, simplement, et nous invitons tous les lecteurs à réagir à nos propos.
Qu’est-ce que le travail ?
Qu’est-ce que l’humain ?
Le travail n’est-il pas justement ce qui rend humain ? L’homme n’est-il pas justement l’animal qui travaille comme l’oiseau vole ?
Il existe trois principes fondamentaux qui définissent l’humain et le distinguent des autres espèces. Or il existe trois principes fondamentaux qui caractérisent le travail. Et ce sont les mêmes.
Le principe de raison.
c’est le principe selon lequel l’homme est l’animal doué de raison, c’est-à-dire d’une intelligence qui lui permet de chercher à comprendre et à expliquer les phénomènes.
Si l’intelligence peut comprendre un phénomène, c’est tout simplement parce qu’elle peut nommer la cause de celui-ci et, éventuellement, prévoir ses conséquences. L’intelligence n’est rien d’autre que la faculté de lier entre eux une cause et un effet.
Or le travail est la même chose dans le domaine pratique, la faculté de produire une cause qui va aboutir à un effet prévu. C’est ce qu’on appelle utiliser un moyen efficace pour parvenir à un but préalablement imaginé et désiré.
Pour cette raison on peut considérer que les animaux en général ne travaillent pas, car même s’ils peuvent modifier la nature, ils le font sans être passés par la médiation de la réflexion qui permet l’utilisation de l’outil ou de la machine.
Si la trace de l’homme est l’outil, en archéologie par exemple, on peut dire que c’est en même temps et essentiellement la trace du travail. Et il n’y a pas de travail sans cette faculté intellectuelle de lier ensemble les moyens et les fins.
Mais cela ne suffit peut-être pas. Un enfant qui jette des cailloux dans l’eau pour faire des ronds manipule cette capacité intellectuelle, on ne peut pas dire pour autant qu’il travaille. En fait, il joue. Mais l’on peut dire que le jeu est, chez l’enfant, le brouillon du travail comme l’on peut espérer qu’il redevienne un jeu chez l’adulte après bien des apprentissages et des efforts.
le principe de réalité.
C’est un principe psychologique, et même psychanalytique, qui, selon Freud, consiste à renoncer à un plaisir immédiat pour un plaisir ultérieur qu’on se représente plus fort ou plus sûr. C’est sur ce principe que repose l’éducation. On apprend aux enfants à ne pas satisfaire immédiatement leurs désirs et ce temps, entre le désir primaire interdit et un autre désir, secondaire, socialement valorisé, est le temps de la réalité, c’est-à-dire le temps ou cet enfant ne rêve pas, ne joue pas, n’éprouve pas de plaisir.
Un homme, parce qu’il n’est pas une bête, doit apprendre à désirer autre chose qu’à satisfaire immédiatement ses instincts. Parce qu’il n’est pas un être naturel mais un être de culture, il doit pouvoir passer des désirs narcissiques aux valeurs collectives.
Ce passage s’appelle le travail, quelque chose qui exige de soi-même un sacrifice, quelque chose qui fait choisir la souffrance provisoire pour une satisfaction obtenue par la reconnaissance des autres.
Le travail est la mise en application toute simple du principe de réalité qui fait l’humain.
Le principe de solidarité.
Principe selon lequel l’homme est un animal social.
Il vit avec les autres dans une relation d’interdépendance et c’est la raison pour laquelle il est aussi l’animal politique.
Cette relation peut-être affective mais, même dans ce cas, elle donne lieu à des échanges qui permettent de satisfaire les différents besoins humains : besoin de consommation mais aussi de sécurité, de reconnaissance, d’épanouissement.
Le travail est incontestablement l’activité sociale qui permet de se rendre utile aux autres et, de ce fait, de pouvoir bénéficier de la production des autres. Comme l’explique déjà Platon, le travail existe dans la « division du travail ». Le boulanger, en échange du pain qu’il cuit pour tous les citoyens (travailleurs) de la cité, recevra des vêtements, des chaussures, des soins, de la protection, de l’éducation, etc.
Dans ces conditions, on peut affirmer que priver un homme de travail serait comme mettre l’oiseau en cage : une atteinte à son être même.
Mais il y a plusieurs façons de priver l’homme de son humanité : le chômage, bien sûr, en est une. Mais il ne faut pas croire non plus qu’il suffit à l’homme de posséder un emploi pour que (au sens fondamental que nous venons de définir) il travaille.
La notion de travail peut être remise en cause chaque fois qu’elle déroge aux principes cités plus haut.
L’animal ne travaille pas parce qu’il ne possède pas le principe de raison et ne se représente pas le but à atteindre pour choisir les meilleurs moyens (voir, à ce propos, la comparaison que fait Karl Marx entre l’abeille et l’architecte. L’architecte travaille parce qu’avant de construire le bâtiment dans la réalité, il l’imagine. Ce que ne fait pas l’abeille quand elle construit ses alvéoles.)
L’enfant ne travaille pas parce que son activité ne se situe pas au-delà du principe de plaisir. Il joue parce qu’il rêve. (Bien entendu, il commence à travailler dès qu’il va à l’école.)
L’homme primitif, qui se contente de cueillir, pour sa subsistance immédiate ce que la nature lui fournit, ne travaille pas. Non seulement parce qu’il ne passe par aucune médiation technique (ni outil ni savoir-faire acquis) mais aussi parce qu’il satisfait des désirs primaires et, de plus purement instinctifs.
L’homme qui a un emploi mais effectue une tâche mécaniquement, sans connaître le but de son activité, sans avoir réfléchi aux moyens, sans être capable de fabriquer son outil ou sa machine, travaille-t-il ?
L’homme qui a un emploi mais qui effectue une tâche sans intérêt dans le seul but de recevoir un salaire pour subsister, travaille-t-il ?
La distinction entre travail libre et travail aliéné n’est peut-être pas suffisante. Il faudrait réserver le mot « travail » à l’activité intelligente humaine, à l’activité politique consciente et volontaire, et utiliser le mot « servitude » pour les activités abrutissantes et soumises à la nécessité de survie, pour toutes ces tâches qui sont imposées par les puissances financières avec le seul souci d’augmenter la compétitivité et de réduire le « coût du travail » sans la moindre considération pour l’homme qui « sert ».
Le chômage et les emplois avilissants sont des obstacles à l’humanité.