Ce 16 juin avait lieu à Genève une discussion sur l’avenir de la Genève internationale, ce biotope institutionnel unique en son genre mais menacé comme jamais. Dans le contexte actuel de montée des tensions et de recul du multilatéralisme au profit de rapports de force étatiques de plus en plus guerriers, on continue encore à réfléchir dans la capitale de Calvin à des solutions en faveur de la paix et de la durabilité :
Le multilatéralisme genevois menacé comme jamais
Etant donné le contexte géopolitique actuel, avec la guerre qui s’intensifie comme jamais au Proche-Orient, celle qui continue en Ukraine, sans parler du Soudan, de l’Inde et du Pakistan, du Myanmar, de la RDC, etc., alors que les dirigeants du monde à la sauce Trump-Poutine-Netanyahou semblent se soucier du droit international comme de leur première chemise, jamais sans doute les institutions internationales n’avaient paru autant affaiblies depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Et l’arrêt du financement américain du système multilatéral global depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche n’y est pas pour rien[1].

Jardins de l’ONU à Genève ©Benjamin Joyeux
Or la ville de Genève, c’est le cœur battant d’une multitude d’institutions internationales censées défendre un cadre juridique commun global en faveur notamment de la paix et du droit humanitaire. C’est ce que l’on nomme la « Genève internationale », ou « Global Geneva » en Anglais. Cela correspond à cet ensemble d’organisations internationales, de missions permanentes et d’ONG présentes en très grand nombre sur le territoire genevois. Pour une ville de taille moyenne (un peu plus de 200 000 habitants, Zürich en comptant par exemple plus du double), Genève compte tout de même à elle seule 40 institutions, organisations et organismes internationaux, environ 750 organisations non-gouvernementales (ONG) et les représentations permanentes de 184 États, pour environ 32 000 fonctionnaires internationaux, diplomates et représentants de la société civile. Elle reçoit ainsi plus de 40 000 visites par an de chefs d’Etats et de gouvernements, de ministres et d’autres dignitaires en provenance du monde entier et organisent plus de 5000 conférences à vocation internationale. Un cas unique au monde pour une ville de cette taille[2].
L’état de la planète et de la géopolitique concerne ainsi Genève à plus d’un titre, et en ce moment il y a de quoi faire : chaque jour qui passe dans la cité de Calvin, des dizaines de réunions se déroulent pour tenter notamment de trouver des solutions face au génocide en cours à Gaza et à la famine qui s’y installe ou au conflit qui s’intensifie entre Israël et l’Iran. Mais pas grand monde parmi les journalistes notamment, ne semblent s’en soucier. Les crises font toujours les gros titres, mais les solutions pour les résoudre, elles, n’ont pas souvent voix au chapitre. L’adage populaire dit bien à propos des journalistes qu’ils ne parlent jamais des « trains qui arrivent à l’heure ». Or la ponctualité ferroviaire helvétique est bien connue.
Le Global Geneva Group avait ainsi décidé d’inviter les journalistes du bassin lémanique à couvrir une réflexion autour du rôle de Genève dans ce monde de plus en plus incertain.
Chercher des solutions malgré tout

Musée de la réforme le 16 juin 2025 ©Benjamin Joyeux
C’est pourquoi ce lundi 16 juin, au Musée internationale de la Réforme, à deux pas de la cathédrale Saint Pierre de Genève, avait donc lieu une rencontre consacrée au « rôle de la Genève internationale dans un monde en crise », en présence d’experts et d’expertes reconnus du monde du droit international, de la culture, de l’environnement, des sciences ou encore de l’humanitaire. Dès 18h, la petite salle de l’entrée du musée était pleine à craquer lorsque Edward Girardet[3], ancien grand reporter américain et rédacteur en chef de Global Geneva[4], bien connu du milieu médiatique genevois, prend la parole, insistant sur le rôle essentiel du journalisme à la fois face aux multiples guerres et conflits actuels, mais également face à la crise environnementale, reléguée désormais au second plan alors que ses effets se font de plus en plus sentir. Dans les intervenants qui suivent ensuite, il y a notamment Charles Adams, ancien ambassadeur américain qui ne se gêne pas pour décrire la « folie » de son actuel Président Trump et esquisser des scénarios pour pouvoir passer outre, ou encore Sophie Tholstrup, de Ground Truth Solutions[5], une organisation réfléchissant à pérenniser l’aide humanitaire et à en améliorer les effets dans un monde où il y a de moins en moins d’argent et de solidarité mondiale pour cela, alors qu’il y a toujours plus de personnes dans le besoin, ce qui ressemble un peu à la quadrature du cercle.
Tarak Bach Baouab[6], responsable du plaidoyer de Médecins sans Frontières Suisse, insiste lui sur la situation intolérable à Gaza et sur la « nécessité de ne pas laisser l’aide humanitaire devenir un outil militaire », comme le fait actuellement l’armée israélienne en dépit de tous les principes du droit international. Christine Lutringen[7], universitaire au Graduate Institute[8], explique ensuite que le multilatéralisme est décrédibilisé à cause du double standard permanent et qu’il faut inclure les voix émanant réellement des pays en crise, en particulier au Sud, en mettant notamment à jour la Charte de l’ONU. Quant au dernier intervenant de cette table ronde très riche, Nicholas Niggli, ancien Haut diplomate et chercheur multi-casquettes, spécialisé en « dynamique complexe des négociations », celui-ci esquisse en quelques minutes un chemin de réflexion pour faire de la « polycrise » en cours une « poly-opportunité », en appelant à réinventer notamment le contrat social de Rousseau, trouvant l’époque actuelle finalement passionnante.

Table ronde du 16 juin 2025 ©Benjamin Joyeux
En moins d’une heure, pas facile de trouver les solutions pour sauver le système international de l’effondrement actuel du multilatéralisme face à la loi du plus fort. Beaucoup de critiques sont à faire notamment sur son impuissance face au génocide en cours à Gaza. Néanmoins cela fait du bien de voir que de nombreuses organisations et leurs représentants s’attèlent encore à essayer malgré tout de chercher des solutions pour un monde moins violent et plus durable.
Pour rappel, l’ensemble des Etats de la planète avaient signé en 2015 l’Agenda 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable[9], un programme ambitieux pour l’avenir de toute l’humanité. Alors que celui-ci est censé arriver à échéance dans cinq ans, qui en parle encore parmi nos dirigeants ? Au G7 qui se termine actuellement au Canada, ceux-ci ne semblent qu’avoir l’armement à la bouche[10]. Alors même impuissante, la Genève internationale demeure une petite lueur dans l’obscurité d’un monde de plus en plus tenté par la force plutôt que par le droit.
C’est De Gaulle qui décrivait la diplomatie comme « l’art de faire durer indéfiniment les carreaux fêlés ! » On ne saurait lui donner complètement tort.
Benjamin Joyeux
[1] Lire https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/28/a-geneve-l-ecosysteme-international-sonne-par-l-arret-du-financement-americain_6587137_3210.html
[2] Tous les chiffres de la Genève internationale sur https://www.eda.admin.ch/missions/mission-onu-geneve/fr/home/geneve-international/faits-et-chiffres.html#:~:text=La%20ville%20de%20Gen%C3%A8ve%20h%C3%A9berge,184%20%C3%89tats%2C%20dont%20la%20Suisse%20
[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Edward_Girardet
[4] Voir https://www.global-geneva.com/
[5] Traduisible par de « vraies solutions du terrain », voir https://www.groundtruthsolutions.org/
[6] Lire https://analysis.ocb.msf.org/tag/tarak-bach-baouab/
[7] Voir https://www.graduateinstitute.ch/discover-institute/christine-lutringer
[8] https://www.graduateinstitute.ch/
[9] Voir https://www.agenda-2030.fr/
[10] Lire par exemple https://www.lexpress.fr/monde/amerique/g7-ce-quil-faut-savoir-sur-le-sommet-de-dirigeants-mondiaux-qui-debute-aujourdhui-2GTGY3JCCRAQNGKETDYOWVFX3M/