LA DROITE ET LA GAUCHE ou la Nature et la Culture.

On sait que depuis le 28 août 1789 la gauche et la droite désignent en France des tendances politiques et pas seulement les côtés du corps. Dans l’Assemblée Constituante avaient pris place à droite les représentants des classes privilégiées, partisans du roi, et, à gauche, les députés partisans des idées nouvelles, en majorité ceux du Tiers Etat. Aujourd’hui encore ces positions dans l’espace républicain font état d’opinions différentes sur la manière de vivre ensemble dans la société. Et, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non, tous les citoyens se situent forcément dans ce champ politique, que ce soit aux extrêmes ou vers l’entre-deux.

Mais que signifie cette distinction à notre époque ? À quoi reconnaît-on les hommes de droite et ceux de gauche ? Est-ce une question de conception de la morale, de l’économie, un point de vue philosophique ?

Certains prétendent que la distinction est dépassée, il n’y a plus ni gauche ni droite, que d’ailleurs, plus rien ne s’oppose à l’ordre établi et que l’histoire est finie depuis l’effondrement du bloc soviétique et la chute du mur de Berlin. Mais ces triomphateurs précoces qui voient dans le mouvement mondialisant de l’économie le cours naturel des choses, le cours enfin redevenu naturel de toute chose et la disparition des idéologies, ceux-là, justement, sont les hommes de droite.

C’est ainsi qu’on les reconnaît. Les hommes de droite sont des naturistes. Tous leurs discours sont farcis de ce mot, de cette référence : la Nature.

Quand ils parlent de la nature ils ne désignent pas le ciel, la mer, les arbres et les petits oiseaux, autrement dit l’environnement dans lequel évoluent les hommes comme toutes les autres espèces vivantes, non, ils manipulent le concept. Ils parlent de l’essence des choses, des programmes inhérents à tous les phénomènes, des lois éternelles et intangibles auxquelles nous ne pouvons que nous soumettre. Ils déguisent l’arbitraire en fatalité.

Les hommes de droite ont sacralisé la Nature. C’est la création divine, le cours parfait des astres et des saisons, des générations humaines et des héritages. C’est l’ odorats pour les chiens, la ruse pour le renard et, pour les hommes, l’appétit du profit. Toutes ces choses sur lesquelles nous ne pouvons rien et qu’il serait inutile d’espérer changer. Vous savez bien que les noirs courent plus vite que les blancs, que les femmes sont plus féminines que les hommes, que les pauvres sont paresseux. On n’y peut rien, c’est naturel.

On dit parfois que les hommes de droite sont des conservateurs. Mais non, ce sont des homo naturalis. S’ils ont tendance à reproduire toujours les mêmes comportements dans le temps, c’est qu’ils sont mus par une nature humaine qui les condamne à la répétition. Ainsi les hommes ont toujours fait la guerre et la feront toujours parce qu’ils ont une nature agressive. Un homme paisible ne serait donc pas tout à fait un homme. Ce serait un homme artificiel, un peu idéologique. Un humain qui n’aurait pas le désir de s’imposer, de dominer les autres et de les asservir, de s’enrichir sans limite, ce n’est vraiment pas naturel. Disons-le très clairement, ce serait sans doute un homme de gauche.

On nous le rabâche tous les jours à travers la propagande de notre gouvernement (soi-disant socialiste mais aux ordres de la finance internationale et à genoux devant la droite triomphante) : il est naturel que ceux qui travaillent plus gagnent plus et surtout que ceux qui méritent plus reçoivent plus. Il est bon que le concept utopique d’égalité laisse place à celui, naturel, d’équité qui justifie les inégalités mais les inégalités méritées.

Il y a, tout naturellement, des hommes doués de grandes qualités et des hommes pervers par nature, voire improductifs. On peut d’ailleurs les distinguer dès la petite enfance et on peut espérer que l’école, où ils ne manqueront pas de se signaler, joue pleinement son rôle de sélection préventive. On ne peut rien attendre de bon de ceux qui, par leurs gènes, sont voués à l’indiscipline, à la délinquance et à la criminalité et cela n’a rien à voir avec la saine émulation des enfants naturellement compétitifs que l’école doit en revanche encourager.

Et ce ne sont pas seulement les individus qui peuvent, par leur nature singulière, manifester leurs divergences par rapport à la vraie nature humaine, ce sont aussi certains groupes humains, en fonction de leurs origines et de leur hérédité. Le racisme n’est rien d’autre, après tout, que la reconnaissance des différences naturelles entre les humains comme le sexisme entre les sexes ou l’élitisme entre les capacités et l’interprétation de ces différences comme des inégalités naturelles.

De toute façon on n’ échappe pas à la nature. Il serait vain de vouloir s’opposer à cette force universelle qui règle le cours de toute chose pour préserver l’équilibre de l’ensemble. C’est pourquoi il vaut mieux laisser faire. « Vivre conformément à la nature » disait les stoïciens. Nos politiciens de droite mettent en pratique la maxime avec zèle. « Laissez faire le marché » disent-ils et cela revient au même. Quoi de plus naturel en effet qu’un marché ? Surtout s’il est mondial, libre et non faussée.

Et si ce marché profite à ceux qui le respectent qui osera dire que ce n’est pas juste ? C’est cela, en tout cas, qu’ils appellent la justice

Que trouvez-vous à y redire , hommes artificiels de gauche ?

Les hommes de gauche disent : certes, il y a une nature, il y a l’air, de l’eau, de la terre, du soleil, des plantes et des animaux et vous, hommes de droite, vous trouvez qu’il est naturel, humainement naturel, d’en faire une marchandise, de la vendre et de l’acheter sur votre marché naturel ? Vous trouvez naturel de la transformer en une vaste décharge ou déposer vos immondices ? Vous trouvez naturel de faire vivre les poules dans des cages, les éléphants dans des zoos et les humains dans des bidonvilles ou dans des cités pleines de téléviseurs et de supermarchés ?

Il y a une nature et vous la détruisez et son nom est dans votre bouche comme un instrument de guerre.

 

« À une époque où règne le compromis, où coule le sang, où on ordonne le désordre

Où l’arbitraire prend force de loi

Où l’humanité se déshumanise

Ne dites jamais « c’est naturel »

Afin que rien ne passe pour immuable. »  (Bertold Brecht.)

 

C’est à ce signe que se reconnaît l’homme de gauche : il ne dit pas « c’est naturel » pour parler des comportements humains, individuels ou collectifs. Le concept de nature humaine est un oxymore. Là où, dans l’univers, il y a les lois physiques, là où, dans l’animal il y a l’instinct, chez l’homme, à gauche, là où bat le cœur, se trouve la liberté.

La liberté, diront-ils à droite, n’est- ce pas la nature enfin débridée, enfin décomplexée ? Le désir de puissance dispensé de toute retenue ? Et le peuple obéissant aux lois économiques qui sont les lois inévitables de la nécessité naturelle ?

Il est vrai que tout est bon, à droite, pour éviter de penser. Non, la liberté n’est pas le retour à l’état de nature, la liberté n’est pas la sauvagerie. Au contraire, elle est l’accès de l’homme à la culture.

Et la culture n’est pas seulement, comme on voudrait parfois le faire croire à droite, un héritage de coutumes, de croyances et d’interdits communautaires. Même si la connaissance du passé, l’histoire, lui est indispensable, la culture est avant tout la capacité acquise par l’étude et la recherche d’avancer vers des buts qu’on s’est fixés et et qui libèrent des aliénations du passé. L’homme est un être de culture parce qu’il est ce qu’il se fait. Et c’est là sans doute le noyau de la pensée de gauche. La société crée l’individu et les individus ensemble décident de la société.

Le propre de la culture, à l’opposé de la nature, est qu’elle est choisie et qu’elle évolue. On peut toujours vouloir (et pas seulement espérer) plus et mieux.

Non, l’histoire n’est pas finie.

Nous voulons vivre ensemble. Et ce n’est pas encore acquis.

Nous voulons pouvoir nous respecter nous-mêmes et pour cela vaincre la peur que nous avons des autres, qui se manifeste par la méfiance et l’agressivité.

Nous voulons respecter les autres parce que nous aurons créé en nous une humanité respectable.

Oui ! Nous voulons, parce que nous sommes libres, parce que nous le voulons, devenir citoyens d’un monde d’hommes libres et qui voudront, parce qu’ils sont libres, vivre ensemble de la façon qu’ils jugeront la meilleure.

La nature n’a pas fait les hommes égaux, la culture le fera s’ils le veulent.

Auteur: librinfo74

Partager cet article :

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.