Anas Al-Sharif, journaliste palestinien correspondant d’Al Jazeera à Gaza, est mort assassiné par l’armée israélienne la nuit dernière. L’attaque visait la tente des journalistes située en bordure de l’hôpital Al-Shifa, à Gaza City. Il documentait le génocide depuis 22 mois. Sept personnes sont mortes à cause de l’explosion. Cette attaque porte le bilan des journalistes morts dans le cadre de leur couverture de la guerre génocidaire à 238.
Par l’Agence Média Palestine, le 11 août 2025.

La bombe a fauché Anas Al-Sharif, un collègue journaliste, deux caméramans, et le chauffeur de l’équipe de tournage au milieu de la nuit. Les quatre autre s’appelaient Mohammed Qreiqa, Moamem Alouwa, Ibrahim Zaher et Mohammed Nofal. Tous sont morts dans cette attaque décrite comme délibérée par des témoins sur place. Un sixième journaliste s’est ajouté à ce triste décompte en fin de matinée ce lundi 11 août : Mohammed al-Khalidi, lui aussi présent dans la tente de la presse.
Un symbole assassiné
Anas Al-Sharif était un journaliste estimé et respecté par ses pairs et reconnu pour sa couverture acharnée du génocide depuis le 7 octobre 2023. “Ce sont mes dernières volontés, mon dernier message. Si ces mots vous parviennent, c’est qu’Israël a réussi à silencier ma voix.” Cet écrit posthume, publié sur son compte X aujourd’hui, avait été rédigé en avril dernier par le journaliste lui-même. Il se savait menacé depuis longtemps. L’Agence Média Palestine avait déjà alerté sur la nécessité d’assurer sa protection l’année dernière.
Originaire de Jabalia, le plus grand camp de réfugiés palestiniens du pays, dans le nord de Gaza, Anas Al-Sharif a été une des figures journalistiques marquantes dans la couverture du génocide en cours depuis plus de 22 mois. Il avait 28 ans, était marié et père de deux enfants. Toute son équipe est morte dans l’attaque, ainsi qu’un photojournaliste indépendant, Mohammed Al-Khalidi, décédé en fin de matinée.
Dans sa déclaration posthume, il raconte son souhait de confier le futur de la Palestine aux citoyens du monde entier, dans une lettre poignante qui montre son attachement à son pays, son métier et à la tâche qui lui incombait : “Je vous confie la Palestine, le joyau de la couronne du monde musulman, le cœur battant de chaque personne libre dans ce monde. Je vous confie son peuple, ses enfants innocents et opprimés qui n’ont jamais eu le temps de rêver ni de vivre en sécurité et en paix. Leurs corps purs ont été écrasés sous des milliers de tonnes de bombes et de missiles israéliens, déchirés et éparpillés contre les murs.”
Son assassinat par l’armée israélienne a été largement condamné, par les syndicats et les associations de la profession et aussi plus largement par des organisations internationales. Son employeur, la chaîne d’informations qatarie Al-Jazeera, a dénoncé “une autre attaque flagrante et préméditée contre la liberté de la presse”, qualifiant ce meurtre de “ tentative désespérée de faire taire les voix qui dénoncent l’occupation imminente de Gaza”.
Du côté des Nations unies, le porte-parole du Secrétaire général de l’organisation, Stéphane Dujarric, a appelé une enquête sur les circonstances de la mort d’Anas Al-Sharif, affirmant “qu’à Gaza comme partout ailleurs, les professionnels des médias devraient pouvoir exercer leur travail librement, sans harcèlement, intimidation ni crainte d’être pris pour cible.”
Gaza, un tombeau pour les journalistes
Cette déclaration est loin d’être anodine, quand on sait la difficulté pour les journalistes de couvrir la guerre génocidaire à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Le régime israélien a très rapidement verrouillé l’accès à l’enclave palestinienne pour les professionnels de l’information, ciblant aussi les bureaux de plusieurs grands médias comme Al-Jazeera par exemple.
D’après le Syndicat des Journalistes Palestiniens, 238 journalistes sont morts depuis le 7 octobre 2023 alors qu’ils couvraient l’actualité du génocide. Ce chiffre terriblement élevé fait de cette guerre “le pire conflit jamais connu pour les journalistes” d’après un rapport de The Watson school of international and public affairs publié en fin d’année dernière.
La plupart du temps, les journalistes ciblés et tués par l’armée israélienne le sont au prétexte qu’ils seraient des “terroristes”, d’après les éléments de langage des officiels. Cette fois encore, cela n’a pas manqué. L’armée israélienne a reconnu que cette attaque était délibérée, affirmant sans avancer de preuve concrète qu’Anas Al-Sharif était un membre du Hamas. D’après The Guardian, la communication de l’armée aurait justifié la bombe en expliquant “qu’il occupait le poste de chef d’une cellule terroriste au sein de l’organisation terroriste Hamas et était responsable de la préparation d’attaques à la roquette contre des civils israéliens et les forces de Tsahal”.
Cette rhétorique du prétendu terroriste dissimulé sous une casquette de journaliste a souvent été utilisée par le régime israélien pour justifier les meurtres de journalistes et limiter au maximum la couverture médiatique des exactions conduites par le régime. C’est en tout cas le point de vue de Yuval Abraham, le journaliste israélien co-auteur du documentaire oscarisé No other land, qui expliquait cette nuit dans un post publié sur le réseau social X cette stratégie de l’armée israélienne : “Après le 7 octobre, une équipe appelée « cellule de légitimation » a été créée au sein du renseignement militaire. Des agents de renseignement recherchaient des informations susceptibles de « légitimer » les actions de l’armée à Gaza : les tirs ratés du Hamas, l’utilisation de boucliers humains, l’exploitation de la population civile, tout ce que vous connaissez. […] Semer le doute comme méthode pour justifier les atrocités. Identifier un journaliste comme un activiste sous couverture blanchit le meurtre de tous les autres journalistes.”
Peu avant sa mort, Anas Al-Sharif était d’ailleurs en train de documenter les bombardements se déroulant sous ses yeux : “d’intenses bombardements sont en cours, frappant les zones sud et est de la ville de Gaza”. Il succombera lui-même à ces bombardements quelques instants plus tard.
Anas Al-Sharif et son confrère Mohammed Qreiqa étaient d’ailleurs considérés comme parmi les derniers journalistes palestiniens à couvrir le génocide de l’intérieur de Gaza, du moins avec une audience très large. Leur mort a eu lieu seulement quelques jours après l’annonce par Netanyahu de son intention d’envahir la ville de Gaza, celle-là même où travaillaient les journalistes tués cette nuit. Pour Yuval Abraham, le sens de cet assassinat est plus que limpide : “Pourquoi le tuer maintenant ? À la veille des plans de conquête de la ville de Gaza ? La réponse est claire. Je pense qu’Israël a tué Anas Al-Sharif simplement parce qu’il était journaliste. […] Et pour la même raison, ils empêchent les médias internationaux d’entrer à Gaza : pour que les crimes soient moins visibles.”