Filature Pallud : la laine en héritage

Alors que depuis les années 80 une immense part de notre industrie textile a été expatriée dans des pays à moindre coût, en Asie, Maghreb, Europe de l’Est et ailleurs, perdurent encore sur notre territoire les traces d’un riche passé en la matière ne demandant qu’à renaître. A l’heure où tout le monde parle de retrouver notre « souveraineté industrielle », suite à la crise du Covid et la guerre en Ukraine, commençons par renouer les fils du passé : en sauvant par exemple la filature Pallud, à Meythet, disposant d’un patrimoine industriel unique pour filer la laine, mais plus que jamais menacé de disparition.

Locaux de la filature Pallud, 5 sept. 2023 ©Benjamin Joyeux

Un patrimoine industriel unique

Au bord du Fier, à Meythet, à quelques encablures du pont de l’autoroute 41 et au bout d’une impasse, tout un corps de bâtiments, semblant pourtant à première vue à l’abandon, renferment un véritable trésor, la filature Pallud. Créée en 1872 et définitivement fermée en 1987, cette entreprise familiale a vu défiler pendant plus d’un siècle quatre générations et des tonnes de laine qu’elle récoltait et filait. De la laine en provenance des moutons de la vallée de Thônes, mais également de Maurienne, de Tarentaise et d’ailleurs, qui arrivait brute à la filature pour être cardée[1], tissée, teintée par toute une ribambelle de solides machines en fonte semblant tout droit sorties de l’imagination de Tim Burton. Des machines tout d’abord actionnées par l’eau du Fier, via une roue à aubes, avant d’être électrifiées à la fin des années 20. Une vingtaine de machines reposent encore dans les locaux de la filature, réparties sur trois niveaux, semblant attendre que quelqu’un daigne à nouveau les rallumer[2].

C’est avec une grande fierté, teintée d’une certaine nostalgie, que Jean-Paul Pallud, président de l’association Filature Pallud et arrière-petit-fils de Joseph Pallud, fondateur de la filature, fait visiter aujourd’hui l’ancienne entreprise familiale. Prenant le temps de détailler une par une chaque machine et son rôle dans le filage de la laine, l’ingénieur et historien de formation insiste sur leur caractère à la fois pratique et historique et sur le patrimoine exceptionnel qu’elles représentent. Avec son cousin Bernard Pallud, par ailleurs tous les deux retraités, ils sont les derniers descendants sachant encore faire fonctionner les machines.

Pour Jean-Paul Pallud : « Une des promesses de notre filature est que c’est un outil de la fin du 19e siècle aujourd’hui complet avec tous ses savoirs faires et ses instruments, et qui peut revivre et filer encore de la laine. Notre filature a une valeur reconnue par la Fondation du Patrimoine et elle mérite d’être sauvegardée. Mais on ne peut pas le faire seuls. Il faut un projet pérenne s’inscrivant dans une réalité économique avec des producteurs de laine, en lien avec une collectivité qui s’approprie le projet, comme par exemple la ville d’Annecy, et nous l’aide à le construire et le pérenniser ».

Jean-Paul Pallud devant une de ses machines, 5 sept. 2023 ©Benjamin Joyeux

Toute une filière locale à relancer

Justement, du côté des producteurs locaux de laine, il y a une véritable demande en phase de renaissance : une race de brebis savoyarde, la « Thônes et Marthod », principalement ancrée dans la vallée de Thônes, a failli disparaître au début des années 1970, avant que des éleveuses et éleveurs passionnés ne décident de la relancer. Et tandis que la laine de ces brebis, par manque de débouchés économiques, avait tendance à être tout simplement jetée, elle connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, sur fond de volonté de valoriser à nouveau les circuits courts et locaux. Une association locale, Défrise ton mouton[3], est même née en 2021 avec comme principal objectif de valoriser cette laine des moutons Thônes et Marthod qui avait tendance à s’accumuler dans les bergeries. Ainsi 200 kg de laine avait été récupérés dès la première année par l’association et 500 kg en 2022, mais les bénévoles devaient se rendre jusqu’en Ariège pour pouvoir carder leur laine.

Les deux associations, Fillature Pallud et Défrise ton mouton, semblaient donc faites pour s’entendre et mettre en commun leurs compétences. Elles se sont ainsi rapprochées ces derniers mois, mais peinent encore à faire émerger un projet concret de relance de la filière laine. Un des principaux obstacles réside dans le fait que les locaux actuels de la filature Pallud, menacés d’écroulement, sont classés en zone rouge. Les machines doivent donc en priorité trouver un nouveau toit avant de pouvoir être relancées. La famille Pallud recherche depuis maintenant plusieurs années une collectivité prête à fournir des locaux susceptibles de les accueillir, d’une surface nécessaire estimée à 500 m2.

Depuis les années 80, la part de l’industrie a baissé d’une dizaine de points dans le PIB français et perdu plus de 2 millions d’emplois. L’industrie textile a été particulièrement touchée, ayant vu fondre en à peine vingt ans plus de la moitié de sa production et les deux tiers de ses effectifs, au profit principalement des pays émergents, en particulier en Asie, où l’industrie textile a pu fabriquer en très grande quantité et à moindre coût. Or la crise du Covid est venue piteusement illustrer notre immense dépendance aux chaînes d’approvisionnement internationales en matière de produits du quotidien, tant et si bien qu’un certain nombre de responsables ne cessent depuis de réclamer la « réindustrialisation » de notre pays et la « relocalisation » de notre économie.

Et bien chiche ! Avec les machines de la Filature Pallud qui ne demandent qu’à repartir et des associations comme Défrise ton mouton qui cherchent à revaloriser la laine du terroir, nous disposons de tout un écosystème permettant de relancer une filière laine locale s’inscrivant parfaitement dans l’air du temps. Malgré le réchauffement climatique, les pulls, bonnets et autres couvertures en laine ont sans aucun doute encore de l’avenir dans les plaines et montagnes de Haute-Savoie. La balle est dans le camp des collectivités locales comme la ville d’Annecy qui s’honoreraient de sauver et de faire renaître ce patrimoine industriel et historique exceptionnel.

Benjamin Joyeux

[1] Pour une définition du cardage : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cardage

[2] Voir l’historique et l’inventaire ici : file:///Users/benjaminjoyeux/Downloads/usine-textile-dite-filature-de-laine-pallud-ou-filature-du-pont-de-tasset%20(3).pdf

[3] Lire https://groupe-ecomedia.com/defrise-ton-mouton-dans-le-droit-fil-des-traditions/

Auteur: Benjamin Joyeux

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3 commentaires

  1. Voila un projet enthousiasmant!
    Merci pour cet article qui donne un peu d’espoir dans le renouveau d’activités utiles aux êtres humains, peu ravageantes pour l’environnement (j’imagine?), créatrices de beaux objets utiles et de longue vie.
    C’est vraiment une chance d’avoir gardé ce savoir faire!
    Les moutons Thônes et Marthod sont magnifiques et si on reste dans ‘la mesure'( troupeaux non surdimensionnés et ‘fabrique’ à l’échelle humaine), quelques pâtures seront peut-être épargnées par la folie de l’immobilier ou de Disney Land.
    J’imagine que des citoyen.ne.s, dont moi, seraient prêts à s’investir dans un tel beau projet.

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  2. Bonjour je ne sais pas comment vous aider, je suis partant pour relancer la filière laine en France. Nous venons de créer l’association LAINE D’ÉLEVEURS chez nous avec un objectif de monter une laverie moderne et écologique. C’est un très gros projet mais il faut commencer par le début pour relancer une filière tombé aussi basse que celle là.
    Bon courage à vous

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  3. Quelle richesse haut-savoyarde à faire revivre effectivement ! Le site des anciennes « forges de cran » où a été construit le très beau voilier l’Esperance III ne conviendrait- il pas en surface ? La filature ne demenagerait que de quelques centaines de mètres de l’autre côté du Pont de Tasset de Meythet à Cran- Gevrier qui plus est : toujours « Grand Annecy » Et l’industrie resterait française en honneur aux créateurs de cette filature ,dont l’outil industriel a été reconnu par la Fondation de France en lui attribuant en 2012 une « grande valeur ». Souhaitons que l’association « Défrise ton mouton « soit aidée à valoriser sa récolte de laine locale dans cette filature et non plus dans l’ Ariège ,vive le circuit court des lors que cela est possible et félicitations à l’association d’avoir sauver des poubelles ce produit pur et naturel qu’est la laine de moutons de race Thones et Marthod.

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