Enquête publique en cours sur la deuxième retenue d’altitude à Manigod : forêt, espèces & habitats protégés menacés

La commune de Manigod veut creuser sa deuxième retenue d’altitude d’une capacité de 48 800m3, à 1 640 m d’altitude, au niveau de la Tête de Cabeau. Elle s’apprête pour ce faire à sacrifier la forêt sous Crête Blanche, des habitats et des espèces protégés[1] par dizaines, avec un défrichement (d’une surface de 2,8 Ha) prévu dès cet automne. Une deuxième retenue pour, dit-elle, « sécuriser » l’enneigement[2].

L’alimentation en eau potable serait assurée par la retenue existante de Merdassier d’un volume de 10 000 m3 qui se trouve un peu en aval à environ 1 570 m d’altitude. Or il s’agit plutôt de sécuriser les investissements des promoteurs immobiliers et la spéculation, la commune ayant fait pousser en trois ans des résidences de tourisme premium et autres chalets de luxe au Col de la Croix Fry au pied des pistes, à (seulement) 1400 m d’altitude, faisant s’envoler les prix au m2.

L’enquête publique préalable à l’autorisation environnementale (au titre de l’article L214-1 du code de l’environnement) est en cours depuis le 16 juin. Vous avez jusqu’au vendredi 18 juillet 2025, 16h00 pour déposer votre contribution en Mairie, par mail (enquete-publique-6229@registre-dematerialise.fr) ou sur le registre dématérialisé : https://www.registre-dematerialise.fr/6229/

                                                                                           ©Manigod/enquête publique

 

La Clusaz-Manigod, des communes pompeuses »shadocks », frappées d’amendes

La 5ème retenue d’altitude de La Colombière à La Clusaz a de plus en plus de chance de ne pas voir le jour après cinq ans de luttes https://librinfo74.fr/retenue-deau-de-beauregard-la-rapporteure-publique-preconise-lannulation/ . Mais juste en face, la commune de Manigod a lancé son projet de 2ème retenue d’altitude[3] dont l’enquête publique est en cours. Exploité par Manigod Labellemontagne, son petit domaine skiable compte 25 km de pistes et culmine à seulement 1725 m d’altitude. Il est relié à celui de La Clusaz qui a écopé d’une amende fin mai pour prélèvement illégal d’eau pour le remplissage de la retenue d’altitude du Lachat. Manigod s’était aussi fait prendre en flagrant délit de pompage d’eau pour la production de neige artificielle par l’OFB (Office français de la biodiversité, la police de l’environnement) comme le révélait le media Blast en juillet 2024.

 

Construire avant d’évaluer la capacité de charge du territoire dont la disponibilité de la ressource en eau !

Plutôt que d’évaluer la capacité de charge du territoire dont la ressource en eau et bâtir (ou pas) en conséquence, les élus des stations de ski, tels des enfants gâtés qui ont semble-t-il perdu le lien à la terre et le sens de la mesure, bétonnent la montagne en faisant pousser des résidences de tourisme de luxe avec piscine et jacuzzi avant de se soucier de la disponibilité des ressources naturelles.

Aveuglés par le modèle du tout ski qui a certes fonctionné pendant cinquante ans mais qui arrive en bout de course, et par l’argent facile, ont-ils égaré en chemin le « bon sens » paysan de leurs aïeux, eux qui faisaient beaucoup avec peu et sans faire crédit aux générations futures ? C’est à croire car en artificialisant le Col de la Croix-Fry avant de se poser la question de la ressource en eau, tout en sachant qu’elle se fait rare comme la neige à cette moyenne altitude, Manigod n’a-t-elle pas mis la charrue avant les bœufs ? En l’espace de trois ans, sont sortis de terre une résidence de tourisme 4 étoiles MGM avec piscine et jacuzzi, des chalets luxe, et un imposant bâtiment comprenant notamment en plus de logement, l’office du tourisme, l’ESF, des magasins, une crèche. Une fois que le béton a coulé à flot, que tout est construit, augmentant d’autant le nombre de lits touristiques, le retour en arrière n’est plus possible. Le goulet d’étranglement est en place pour faire valoir une deuxième retenue pour combler des déficits d’eau lors de pics de consommation (une semaine à Noël et trois semaines en février selon le PLU). C’est qu’il faut bien couvrir les besoins en neige artificielle pour assurer le ski au pied pour les résidences premium (à cette altitude, de 1467 m à 1735 m, on ne peut plus tellement compter sur la neige naturelle pour assurer la saison de ski et encore faut-il avoir suffisamment de plages de températures négatives pour produire de la neige artificielle…), remplir les piscines et spa des touristes et, accessoirement fournir de l’eau à tout le monde. L’eau potable reste un cache nez pour rendre ce projet acceptable. Il s’agit avant tout de sécuriser les investissements immobiliers et donc la neige artificielle, comme l’indique la demande d’autorisation environnementale pour cette deuxième retenue vouée exclusivement à alimenter les canons à neige : « Le projet prévoit le renforcement du réseau de neige de culture sur le secteur de Croix Fry afin de sécuriser la liaison skis aux pieds avec le domaine skiable de La Clusaz. Enfin pour optimiser les installations neige existantes, les équipements de la salle des machines de Merdassier seront modifiés, sans modification du bâtiment existant. »

Ci-après, un extrait de la note de présentation non technique du projet, consultable sur Internet :

 

L’alibi de l’eau potable

Pour faire passer la pilule avec un verre d’eau potable, la demande d’autorisation environnementale consultable en ligne indique que : « le projet comprend la création d’un site de production d’eau potable depuis la retenue existante de Merdassier, La création du site de production d’eau potable engendrera le remplacement du complexe d’étanchéité de la retenue existante de Merdassier. » Ce projet comprend également « Une augmentation des droits de prélèvements sur la source de l’Étang, via le réseau d’eau potable de la commune, pour le remplissage de ces deux retenues » comme indiqué dans la note de présentation non technique du projet consultable en ligne.

Concernant les besoins en eau potable, le Collectif Fier Aravis a épluché le dossier et a levé un lièvre : « Les besoins en eau potable sont calculés à partir de données démographiques datant de 2015 et des projections totalement obsolètes (+1,2%) alors que la population de Manigod stagne voir diminue légèrement depuis plus de 10 ans. Le nouveau projet de SCOT (Schéma de cohérence territoriale) arrêté en avril 2025 est bâti sur une croissance de +0,7% qui est déjà largement supérieur à la réalité. »

Dans sa contribution à l’enquête publique (n°75), le Collectif a calculé que : « L’augmentation des besoins pour la population permanente est surévaluée de 400 % ! »

Il soulève un autre point clef : « Aucun projet de réduction des fuites d’eau alors qu’ils avouent un taux de 30% ! »

Stocker de l’eau à ciel ouvert n’est pas la meilleure des options : outre l’artificialisation d’un milieu et la destruction d’espèces protégées, l’eau s’évapore (Une note pédagogique de la FNE AURA sur la neige artificielle rappelle que la méthode actuelle de production de neige artificielle gaspille 30 à 40% de l’eau par évaporation), et cela nécessite aussi de la « potabiliser » !

 

Neige artificielle : des canons de dépendance

La petite musique des porteurs de projet qui consiste à dire que c’est en investissant dans le ski qu’on prépare l’avenir, était sûrement valable… mais vingt ans en arrière !

Pour démontrer la viabilité du domaine skiable et des investissements en neige artificielle à horizon 2050, la commune de Manigod s’appuie sur l’étude de Climsnow (rendue publique en décembre 2023). Climsnow est un outil développé par le consortium Météo-France / INRAE /Abest Horizons /Dianeige. Or le cabinet Abest figure parmi les cabinets d’études missionnés pour réaliser l’étude pour cette deuxième retenue d’altitude. Peut-il être à la fois juge et parti ? La question se pose…

Accros à l’artificiel, aujourd’hui les stations de ski des Aravis s’enferrent dans le piège du sentier de dépendance[4]. La chute sera d’autant plus brutale pour les socio-pros et par ricochet pour les habitants du territoire (Cf. fermeture de l’Alpe du Grand Serre en Isère). L’argument massue des porteurs de projet du maintien de l’économie grâce aux canons à neige (et donc aux retenues d‘altitude) a du plomb dans l’aile, c’est l’objet d’une partie de la thèse de Jonathan Cognard intitulée Production de neige et soutenabilité des systèmes socio-hydro-écologiques de montagne. Il a été l’invité des rencontres À haute voix[5] ce vendredi 4 juillet.

Vous avez jusqu’au 18 juillet

pour participer à l’enquête publique

Tels des shadocks, les élus et les exploitants des Aravis creusent toujours plus profond. Que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe. Alors mobilisez-vous. L’enquête publique est en cours jusqu’au vendredi 18 juillet 2025 à 16h00. https://www.registre-dematerialise.fr/6229/

Sandra Stavo-Debauge

 

[1] « La demande de dérogation porte sur la destruction, le dérangement et le déplacement de spécimens des espèces protégées suivantes :
– Le Crapaud commun,
– Le Triton alpestre,
– Le Lézard vivipare,
– La Rousserolle verderolle,
– 24 espèces d’oiseaux des milieux boisés : Accenteur mouchet, Bec-croisé des sapins, Bouvreuil pivoine, Buse variable, Casse-noix moucheté, Chevêchette d’Europe, Coucou gris, Fauvette à tête noire, Mésange bleue, Mésange boréale, Mésange charbonnière, Mésange Huppée, Mésange noire, Pic épeiche, Pic vert, Pinson des arbres, Pipit des arbres, Pouillot véloce, Roitelet huppé, Roitelet à triple bandeau, Rougegorge familier, Sittelle torchepot, Troglodyte mignon, Venturon montagnard.
– L’Écureuil roux,
– 11 espèces de chiroptères : Murin à moustaches, Murin à oreilles échancrées, Murin de Daubenton, Murin de Bechstein, Murin de Brandt, Murin de Natterer, Noctule de Leisler, Oreillard roux, Pipistrelle commune, Pipistrelle de Nathusius et Sérotine commune. »

[2] Sécuriser l’enneigement semble utopique à cette altitude, car si la neige naturelle se réduit à peau de chagrin, encore faut-il avoir, en plus de l’eau et de l’énergie, suffisamment de plages de températures négatives pour produire de la neige artificielle, ce qui n’est plus acquis. C’est pour ça que Manigod compte produire plus en moins de temps : « Garantir un volume d’eau suffisant disponible pour augmenter les capacités de production instantanées de neige de culture », lit-on en page 5 du dossier de présentation

[3] Une retenue d’altitude est alimentée en pompant de l’eau de source

[4] https://www.univ-grenoble-alpes.fr/actualites/the-conversation/environnement/the-conversation-production-de-neige-le-piege-de-la-dependance-pour-les-stations-de-ski–1198973.kjsp

[5] https://a-haute-voix.fr/programme-saison#rencontre_jonathan_cognard

Auteur: librinfo74

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