En Vert des deux côtés de la frontière

Ce mardi 20 juin au soir, au centre Martin Luther King à Annemasse, une vingtaine de militants et élus écologistes français et suisses et quelques curieux s’étaient réunis à l’occasion des Etats généraux de l’écologie. Leur objectif, se rencontrer et parler à bâtons rompus durant plus de deux heures des problématiques du territoire du Grand Genève. Sachant que celui-ci a la spécificité d’être à cheval sur la frontière franco-suisse, nécessitant de penser et d’organiser les politiques publiques du territoire de façon transfrontalière. Une gageure pour beaucoup, et pourtant sans doute une nécessité, tant la ville de Genève a d’influence, en bien comme en mal, sur le développement des départements français limitrophes et au-delà.

Salle du Centre Martin Luther King, le 20 juin 2023 ©Camille Content

Un territoire qui atteint ses limites

Parmi les élus présents côté Suisse, Nicolas Walder[1], ex Maire de Carouge et actuel Conseiller national (équivalent du député national français), Philippe de Rougemont[2], député au Grand Conseil de Genève (parlement cantonal) ou encore Cédric Jeanneret[3], également élu au Grand Conseil.

Côté français, après un mot d’accueil de Nathanaël Giard, responsable du groupe local EELV du genevois, Robert Burgniard[4], conseiller municipal délégué d’Annemasse et fin connaisseur du territoire du Grand Genève, entre dans le vif du sujet. Il dresse un rapide historique du Grand Genève, une structure finalement assez méconnue. Elle naît pourtant dès 1973 avec la création du CRFG, Comité régional franco-genevois, et de la CFG, la fameuse compensation financière genevoise : c’est une somme versée chaque année par le canton de Genève aux territoires français limitrophes en raison des charges publiques que les communes riveraines supportent pour les habitants travaillant à Genève. La CFG s’élève à 3.5% de la masse salariale brute des personnes habitant dans les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie et travaillant à Genève, quelle que soit par ailleurs leur nationalité. Ce qui représentait en 2022 plus de 340 millions d’euros. Pour l’élu d’Annemasse, l’attractivité financière énorme de Genève (un PIB de 61 milliards de Francs suisses, à peu près équivalent en euros, en 2021) met en surchauffe l’ensemble du genevois français. En effet, avec un salaire minimum de 4400 CHF, on voit en moyenne à métier équivalent son salaire multiplié par trois du côté suisse de la frontière. Tant et si bien que le nombre de travailleurs frontaliers explose (plus de 104 000 sur le canton genevois fin 2022), avec tous les impacts que cela entraîne, sur les infrastructures de transport, le prix des logements, la pression foncière, la ressource en eau, etc. L’agglomération d’Annemasse risque d’ailleurs de manquer d’eau d’ici 2030. Bref les déséquilibres structurels du genevois ont atteint leur paroxysme, et Robert Burgniard de citer le conseiller d’Etat écologiste genevois Antonio Hodgers, qui avait déclaré récemment dans la presse : « la machine économique genevoise doit ralentir »[5], ce qui lui avait valu des monceaux de critiques de la part des milieux économiques.

Le responsable des Verts Transfrontaliers Jérôme Strobel[6] appuie les propos de l’élu d’Annemasse, insistant sur les énormes inégalités salariales du territoire, avec tout ce que cela implique en termes de précarité pour les salariés côté français, ayant notamment énormément de mal à se loger. Bref le territoire du grand Genève semble atteindre aujourd’hui ses limites physiques, l’aimant genevois devenant plus une contrainte qu’une opportunité.

De gauche à droite, Nicolas Walder, Nathanaël Giard et Robert Burgniard ©Camille Content

A la recherche d’un nouveau modèle

Nicolas Walder côté suisse indique avoir parfaitement conscience de tout cela, soulignant la problématique du modèle économique genevois actuel, basé notamment sur une attractivité fiscale néfaste et des activités de négoce des matières premières prédatrices pour l’environnement et parfaitement délocalisables. D’après l’édile, le gouvernement genevois serait plus conscient que le gouvernement national suisse actuel des énormes enjeux sociaux et environnementaux du territoire, nécessitant d’après lui un renforcement des discussions transfrontalières en faveur d’un nouveau modèle économique. Quelques réussites sont à souligner, en matière d’agriculture durable ou de mobilités douces, mais deux éléments doivent drastiquement changer : le cadre économique et la fiscalité de Genève.

Ce nouveau modèle à expérimenter sur le territoire genevois pourrait aussi inspirer utilement la France en matière de liberté publiques, comme le souligne ensuite le conseiller régional écologiste d’Auvergne-Rhône-Alpes Benjamin Joyeux. Comparant la démocratie suisse, ses institutions et ses votations citoyennes régulières, à la 5e république française et son glissement autoritaire actuel, de la répression des Gilets Jaunes à la dissolution effective des Soulèvements de la Terre, l’élu régional en appelle à plus de dialogue et de respiration démocratique côté français en s’inspirant des bonnes pratiques helvétiques. Une raison de plus de multiplier les échanges transfrontaliers.

Surtout que les défis ne manquent pas, comme les énoncent ensuite Philippe de Rougemont : la poursuite de l’autoroute du Chablais, le projet du nouvel accélérateur de particules du CERN[7], la problématique du débit du Rhône et les centrales nucléaires françaises le long de son cours d’eau, etc. Mais si les grands projets écocidaires se multiplient, l’élu genevois fait souffler un brin d’optimisme dans l’assemblée en rappelant les nombreuses victoires culturelles de l’écologie : la charte du Grand Genève en transition, l’ensemble des idées et constats sur le changement climatique repris aujourd’hui par nombre de gouvernements à travers la planète, l’échec des grands accords de libre-échange, AMI, TISA, CETA, grâce à la mobilisation populaire, etc. Toutes ses victoires sont, d’après Philippe de Rougemont, à porter au crédit des écologistes et de leur vision transnationale.  Mais il s’agit désormais de passer des paroles aux actes.

Après de multiples échanges, les participant.e.s à cette soirée inédite en viennent à la même conclusion : on a besoin de plus de collaboration des deux côtés de la frontière, en proposant des projets structurants comme par exemple des universités transfrontalières. Affaire à suivre !

Comme disait Victor Hugo : « L’expression a des frontières, la pensée n’en a pas. »

Camille Content

[1] https://nicolaswalder.ch/

[2] https://verts-ge.ch/philippe-de-rougemont/

[3] https://verts-ge.ch/cedric-jeanneret/

[4] Voir https://www.annemasse.fr/mairie/conseil-municipal/les-conseillers-municipaux-de-la-majorite

[5] https://www.tdg.ch/la-machine-economique-genevoise-doit-ralentir-832292476062

[6] L’écouter par exemple sur https://www.radiolac.ch/podcasts/6-minutes-avec-09032023-0737-075346/

[7] Lire par exemple https://www.tdg.ch/le-projet-fou-dun-accelerateur-de-particules-de-91-km-sous-geneve-et-le-leman-159293409974

Auteur: librinfo74

Partager cet article :

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.