« Education Populaire », cette expression a-t-elle encore un sens ?

L’éducation populaire regroupe tous les organismes, institutions, associations qui se donnent pour objectif de permettre au plus grand nombre l’accès à la culture.

Ce sont les M J C. (Maison des Jeunes et de la Culture), les bibliothèques de quartier, les cinémathèques, les musées, les salles de concert et de cinéma… Tout ce qui s’ajoute à la formation initiale donnée à l’école, dans les lycées, les universités et autres établissements qui décernent des diplômes.

L’éducation populaire est gratuite ou facilement abordable et favorise aussi la culture  comme développement de la personne sur le plan de la sensibilité, de la connaissance et de la réflexion et non en vue d’une formation professionnelle.

Mais l’éducation populaire semble avoir perdu, ces dernières années, l’aura qu’elle avait juste après la seconde guerre mondiale, quand il paraissait évident à tous que la culture était un bien précieux qui ne devait pas être réservé à une petite partie de la population mais, au contraire, démocratiquement partagé et mis à la portée de tous, quel que soit le niveau d’études.

Chacun des termes de l’expression semble avoir perdu de la clarté du sens qu’on lui donnait en 1945.

Qu’est-ce que l’éducation ?

Et que signifie populaire aujourd’hui ?

1/ Éducation : accès à la culture. Nature culture. Animal humain.

Étymologiquement « éduquer » vient du latin: « e(x)-ducere » qui signifie « faire sortir de » ou « conduire au-dehors ».

Très longtemps l’expression est restée sans mystère, il s’agissait de faire sortir l’enfant de l’état de nature, où il était gouverné par les instincts et les appétits, pour l’amener à l’état de culture, où il est capable de vivre de façon polie, policée, civilisée, c’est-à-dire en contrôlant ses pulsions animales pour faire dominer en lui la volonté réfléchie et responsable du citoyen adepte des lois et de la morale.

En bref, l’homme n’est pas un animal parce qu’il est éduqué et cette éducation n’est jamais achevée, chacun de nous peut toujours être plus cultivé, plus raffiné, plus distingué, et il ne le peut que par la fréquentation des écrivains, des poètes, des peintres, par la pratique des sciences, des techniques, des sports d’équipe… Toutes disciplines qui rejettent les comportements égoïstes, grossiers, apeurés de l’animal que nous avons été et installe les bonnes manières qui permettent de vivre en société, de converser, de s’expliquer et finalement de s’entendre pour vivre ensemble le mieux possible.

Mais il n’est pas certain que ces définitions soient admises par tous nos contemporains.

Faut-il considérer que ce qui fait la valeur de l’homme, ce qu’il recherche par l’éducation, cette fameuse culture, soit bien ce qui le distingue et l’oppose à l’animal ? Ce qui lui permet de sortir de l’état de nature ?

On sait que, déjà, Jean-Jacques Rousseau en doutait, lui qui prétendait que c’est la société et sa prétendue civilisation qui corrompent la nature humaine, innocente en elle-même.

Nous avons été trop loin aujourd’hui dans le « progrès » des sciences et des techniques, mais aussi peut-être dans le développement de nos arts contemporains et de nos mœurs politiques pour ne pas constater que la nature est abîmée aussi bien dans notre environnement, pollué de façon catastrophique, que dans notre santé physique, de plus en plus menacée par toutes sortes de cancer et autres sida, et surtout dans notre santé psychologique (que d’angoisse !) et même, si j’ose dire, sociale (que d’injustices, que de tension, que de conflits !).

Je ne suis pas sûr que les nouvelles tendances écologiques ne remettent pas en cause cette idée que l’éducation doit nous distinguer de l’animal et l’idée même que nous nous faisions de l’animal, être inférieur dépourvu de sensibilité et d’intelligence, simple « machine » selon Descartes, que nous pourrions sans scrupules maltraiter, torturer et supplicier.

Nous assistons même à des retournements radicaux avec des mouvements comme la « deep Ecology »(ou écologie radicale) et son penseur Peter Singer qui élève le « spécisme », ou mépris de l’animal, au même degré d’immoralité que le racisme chez les humains, voire pire.

C’est pourquoi la notion de culture n’a pas toujours très bonne presse chez certains qui ne seraient pas loin de faire l’apologie du bon sauvage si le mot sauvage ne résonnait avec une forte nuance de mépris.

2/ Éducation : accès à la culture. Culture, inculture. Vulgaire, distingué.

L’autre sens attaché au mot « culture », à laquelle l’éducation enfantine ou populaire donnait accès, s’entendait comme ce qui fait la différence entre l’homme vulgaire et l’homme distingué.

On va à l’école, à l’université, dans les musées, on voyage, on fait du yoga et on surfe sur Internet… Pour ne pas se faire remarquer comme le dernier des ignorants.

Mais aussi bien la culture que la distinction ont beaucoup évolué avec la démocratisation de l’éducation et les nouveaux modes de connaissance. Il faut bien avouer que ce qui distinguait autrefois a plutôt tendance aujourd’hui à vous rendre invisible. Tu as fait du grec et du latin et tu ne sais même pas qui est Nabila. Non mais allô, quoi! t’es complètement dépassé (je dis « dépassé » parce que je ne connais pas le vocabulaire jeune qui se parle aujourd’hui).

Et puis, bon, d’accord, j’ai voyagé et, comme tout le monde, j’ai pris des monceaux de photos pour bien prouver à mes amis que j’y étais allé. J’ai fait des « selfies » avec la pietà de Michel-Ange à Saint-Pierre de Rome et si je vous les montre vous verrez que j’étais bien bronzé. Mais bof ! J’ai lu des livres, j’ai vu des films… Ouai… toujours bof ! Ce n’est pas comme ça qu’on se fait remarquer aujourd’hui et cette culture (celle qui est comme la confiture : moins on en a plus on l’étale) qui marquait autrefois l’appartenance à la classe supérieure ou qui permettait d’être plus snob que les autres n’est pas vraiment à regretter. Aujourd’hui, sur ce plan au moins, les hommes sont un peu plus égaux. On pourrait même dire qu’en matière de « nouvelle culture » plus tu en as plus tu peux te vanter de ne pas en avoir.

Nous savons bien que la seule vraie distinction entre les humains aujourd’hui est celle qui sépare ceux qui ont de l’argent (beaucoup) et ceux qui n’en ont pas (ou très peu). Ce n’est finalement pas du tout une question de culture même s’il ne faut pas nier que si certains semblent doués pour s’enrichir (n’ayant pas de sentiments moraux naturellement très développés) d’autres se donnent du mal pour apprendre. Mais une chose est sûre, ils ne vont pas chercher ce savoir dans les organismes d’éducation populaire.

3/ culture : opium du peuple.

Finalement on peut se demander à quoi sert la culture. Pourquoi vouloir être éduqué si ce n’est pour gagner de l’argent ? On en vient même à soupçonner que l’éducation populaire est réservée au peuple parce que ça lui permet de se donner des occupations saines qui le détournent gentiment des ennuis que lui causent pendant ce temps les requins du capital et de la finance.

Quelquefois même, il semblerait qu’on se « fout de sa gueule » de façon magistrale en lui faisant comprendre qu’il y a des artistes tellement géniaux qu’il n’arrivera jamais ni à goûter leurs œuvres ni à comprendre leur message et que, pour cette raison, il doit admirer, accepter son incompétence et continuer à obéir à « ceux qui savent » lesquels sont évidemment payés par ceux qui possèdent.

4/ Culture : conscience. Éducation au langage.

Mais nous ne pouvons pas en rester à ces conclusions négatives. Il existe encore et toujours quelques héros de l’éducation populaire qui n’ont pas désespéré et qui maintiennent les idéaux qui présidaient à la création du CNR en 45. Éduquer, pour eux, signifie faire sortir de la soumission et mener à la liberté, la culture signifie pour eux la conscience.

Et il n’y a ni liberté ni conscience sans l’acquisition du maximum de capacités d’expression et de compréhension.

L’éducation populaire est, donc, l’ensemble des moyens qui sont offerts à tous, hommes, femmes, jeunes et âgés de toutes origines, de s’approprier le langage (tous les langages, parlé, écrit, pictural, théâtral, cinématographique, musical, poétique et politique…) pour l’ entendre et le parler.

Il s’agit d’entendre et de détecter les langues de bois, les mensonges, la propagande, les pièges et de ne pas s’y laisser prendre. Il s’agit de parler et de dire ce que l’on dénonce, ce que l’on refuse et de dire aussi et surtout ce que l’on désire, ce que l’on veut, ce que l’on exige.

Par ce qu’on est le peuple et que le peuple est souverain.

Auteur: librinfo74

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