Autrice : Sandra STAVO-DEBAUGE
Des Jeux d’hiver sobres, durables, écologiques et peu coûteux, ces promesses des porteurs de la candidature Alpes 2030, les deux présidents de région AURA et PACA, Wauquiez et Muselier, ne résistent pas à l’enquête du journaliste Guillaume Desmurs. Son essai « Le crépuscule des Jeux – Enquête sur les JO d’hiver 2030″[1] paraît opportunément aux éditions Paulsen/Guérin ce jeudi 6 février.
« L’ambition de cet essai n’est pas de faire le procès des JO, mais de comprendre ce qu’ils révèlent de nos territoires montagnards à l’heure d’un inévitable chamboulement », précise l’auteur. Un essai plus que jamais nécessaire[2] tant cette candidature est teintée d’opacité et qui tombe fort à propos avec le nouveau rebondissement de cette semaine ; le renoncement de Martin Fourcade pour la présidence du Cojop (Comité d’organisation des Jeux).
Guillaume Desmurs [2] nous a accordé un entretien.
Librinfo : Guillaume Desmurs, pouvez-vous préciser aux lecteurs d’où vous parlez ?
Guillaume Desmurs : Je parle du point de vue d’un montagnard qui a grandi en station de ski (NDLR : Les Ménuires puis Saint-Martin de Belleville – Guillaume est né en 1973), qui a vécu les jeux de 1992 et qui en a conçu une grande fierté. Je parle du point de vue d’un montagnard qui voit aujourd’hui comme tout le monde les enjeux qui nous arrivent dans la figure, voir qui sont déjà là : dérèglement climatique, fonte du permafrost, fragilisation des infrastructures, ressource en eau, transition énergétique, décarbonation de l’économie et du transport, logement, et donc la capacité à vivre à l’année sur des territoires qui se dépeuplent. Je parle de là et j’observe cette candidature des Jeux Olympiques 2030.
L : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire cet essai ?
G.D : Je l’ai écrit parce que c’est un événement qui est au croisement d’enjeux hyper importants : la démocratie, l’usage de l’argent public, tous les enjeux cités plus haut, des enjeux existentiels pour nos territoires de montagne et la transition indispensable. Et puis la politique, le sport… Au croisement de tout ça, on a cette candidature qui arrive.
Je travaillais sur ces sujets quand Charlie Buffet, mon éditeur chez Guérin, a eu l’idée d’en faire un livre. Il a joué un rôle important dans l’élaboration de ce bouquin que j’ai écrit entre janvier et novembre 2024.
L : La structure du livre en trois parties + conclusion – 1-candidature express, 2-promesses passées au crible, 3-l’avenir – est hyper claire, mais avec les rebondissements incessants de cette candidature, l’écriture n’a pas dû être facile ?
G.D : Merci. Oui, ce qui était difficile, c’est que l’actualité se déroulait en même temps que j’écrivais et c’est la première fois que ça m’arrive. Il y avait du nouveau tous les jours, encore aujourd’hui avec Martin Fourcade qui renonce à la présidence du Cojop (Comité d’organisation des JOP). La deuxième difficulté, c’est que les JO sont un événement tellement énorme qu’il y a beaucoup d’angles possibles. Il y en a que j’ai volontairement choisis de ne pas traiter. Par exemple le CIO, le rôle du CIO, j’en parle mais je ne suis pas rentré dedans. Je n’ai pas non plus regardé cette candidature du point de vue des athlètes.
L : Comment avez-vous procédé pour votre enquête ?
G.D : J’ai questionné des gens qui connaissent bien le sujet et je me suis contenté de lire toute la littérature existante ; les articles de presse, les articles et études d’économistes, d’universitaires, de spécialistes de la durabilité, des articles sur les retombées économiques, sur l’impact des JO sur l’immobilier, sur des quartiers, etc. Bref, tout ce qui est accessible. Je n’ai eu aucun document confidentiel. En revanche, il existe énormément d’études très intéressantes qui montrent qu’il se passe à chaque fois la même chose avant, pendant, et après les Jeux et qu’on répète aussi les mêmes mensonges à savoir que les JO seront les plus verts, durables, etc. Or, pas du tout. C’est pareil à chaque fois : le budget est en moyenne le double de celui qui a été annoncé, il y a des éléphants blancs, ces infrastructures qui sont laissées soit à l’abandon, soit déficitaires, alors qu’on nous avait promis que les JO paieraient les Jeux (ce qui n’a d’ailleurs pas été le cas de 1992). Les projets immobiliers dont on nous promet qu’ils deviendront du logement social, gentrifient inévitablement les quartiers. On voit aussi que les JO ne provoquent pas une explosion du nombre d’inscriptions et de licenciés dans les clubs des sports. Il est donc intéressant de lire la documentation existante pour se rendre compte que pour les JO 2030, rebelote, on nous refait les mêmes promesses que depuis 40 ans et on est à peu près sûr qu’il y aura les mêmes résultats !
L : Dans les entretiens que vous avez menés, vous donnez plutôt la parole aux détracteurs des Jeux, est-ce un parti pris et pourquoi ?
G.D : Tout simplement parce que je n’ai pas trouvé de défenseurs de jeux et surtout personne de la candidature n’a souhaité me parler. Antoine Dénériaz n’a pas répondu à mes appels, ni à mes messages sur son portable. Vincent Jay, qui est quand même directeur de la candidature (responsable du projet Alpes 2030 pour la région Rhône-Alpes), n’a pas souhaité répondre à mes questions. Il y a deux personnes qui sont plutôt pro JO que je cite de façon anonyme, parce qu’ils ont souhaité garder l’anonymat. C’est quand même dingue que ces personnes qui sont proches de la candidature, qui connaissent très bien et qui la soutiennent, aient souhaité garder l’anonymat ! Je ressors de tout ça en me disant que ça n’est pas sérieux, cette candidature n’est pas sérieuse et les derniers développements de cette semaine avec Fourcade le confirment. Le Cojop devait être fonctionnel cet automne, on est début février, il n’y a toujours pas de président, on ne sait pas qui ça sera, on nous annonce le 18 février… c’est pas sérieux.
L : Si les promoteurs des jeux ne souhaitent pas s’exprimer ou alors sous couvert d’anonymat, qu’en est-il des élus ?
G.D : En fait, ce n’est pas une candidature qui se fait en partenariat avec les maires : ils ne sont pas partie prenante, ils ne connaissent pas le détail de la candidature, mais ils n’ont pas eu le choix. Il faut savoir qu’il n’existe aucun document officiel détaillant cette candidature émanant d’une quelconque structure, organisme ou collectivité. Le seul document c’est le rapport de la commission futur hôte du CIO de juin 2024, en dehors de ça, il n’y a aucun autre document officiel. Donc les maires ne sont pas au courant, ça ne se fait pas avec eux, ça ne se fait pas avec les territoires c’est une candidature politique pilotée par deux hommes politiques, Wauquiez, Muselier, point.
L : Les maires des stations hôte espèrent récupérer qui sa salle de sport, qui son ascenseur valléen, etc. ?
G.D : Oui, ça va servir à ça et c’est ce qu’on voit déjà dans le rapport de la commission hôte. Comme l’ascenseur valléen de Bozel, on voit que ce sont des projets qui sont déjà dans les tiroirs depuis longtemps qui vont trouver là une source inespérée de financement et un appui politique pour exister. Les élus locaux sont entre le marteau et l’enclume, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas le choix sous peine de se voir sucrer leurs subventions et parce qu’ils seraient bien contents de sortir leur ascenseur valléen, leur parking, leurs bâtiments, leur contournement, leur passerelle, etc. Et puis « une station olympique c’est quand même pas mal, alors on soutient… »
L : Vous avertissez d’emblée que « l’ambition de cet essai n’est pas de faire le procès des JO, mais de comprendre ce qu’ils révèlent de nos territoires montagnards à l’heure d’un inévitable chamboulement », une façon de ne pas « structurer et polariser le débat de façon simpliste et dangereuse : pour ou contre ? », ce que vous dénoncez, préférant parler de critique ?
G.D : Oui, je le dis d’emblée. Des livres sur le procès des JO et du CIO existent déjà, et ce n’est pas ce que j’ai choisi de faire. Celui que j’ai choisi de faire c’est plutôt : est-ce que ces JO vont être au service de la transition des territoires de montagne dont on a urgemment besoin et dont les promoteurs de la candidature nous disent qu’elle sera au service de la transition des territoires de montagne. Or il n’y a absolument rien qui prouve que ça va être le cas ; pas la moindre once de preuve ou de chose concrète qui montre que cette candidature sera au service des territoires, et c’est dans 5 ans, le 8 février 2030 !
L : « Les jeux olympiques sont des sports de riches payés par les pauvres dont le but est la promotion de l’immobilier et du tourisme », pourquoi avoir choisi cette citation de l’activiste politique Sam Brown impliqué contre les JO d’hiver 1976 de Denver en ouverture du livre ?
G.D : Si j’ai gardé cette citation de Sam Brown, c’est qu’elle me paraît très juste et qu’elle fait un lien entre les JO Denver 76 et aujourd’hui. Ma grande découverte en travaillant sur ce bouquin, c’est ce qui s’est passé à Denver, la façon dont les JO ont été promus, l’attitude du CIO, et la façon dont les activistes se sont organisés et ont réussi à faire capoter les JO. C’était à une époque où il n’y avait pas encore de partenaires privés, mais c’est les mêmes jeux d’acteurs : le business et les hommes politiques locaux s’allient pour faire une candidature qui doit être une campagne de pub au bénéfice des stations de ski et de l’immobilier. En 2024, c’est exactement pareil.
L : Cette citation de Sam Brown ne laisse guère de place au doute ?
G.D : En fait tout est résumé par cette citation, j’aurai pu arrêter mon bouquin là ! Je la trouvais caricaturale quand j’ai commencé à écrire ce livre, j’étais beaucoup plus nuancé que ça. J’ai attaqué ce bouquin avec les jeux de 92, puis sont arrivés les Jeux de Paris au milieu de l’écriture, Jeux que j’ai trouvé plutôt réussis. J’ai attaqué ce livre avec un a priori, pas positif, mais plutôt neutre sur les Jeux. Mais plus j’avançais dans l’écriture, plus je tombais de haut et plus je me disais, « mais c’est pas sérieux, c’est hallucinant cette histoire. » Rajoutés à cela les derniers développements de la situation en France, notamment le déficit record de la cinquième République des finances françaises, le fait que Gabriel Attal ait refusé de signer la garantie et qu’il a demandé deux notes à l’inspection des finances, notes qui n’ont pas été publiées.
Bref plus j’avançais plus je tombais de haut et cette citation qui paraît un peu extrême, caricaturale, me paraît tout à fait juste, me paraît tout à fait factuelle après un an à bosser sur le sujet. Car oui le CIO, c’est un organisme extrêmement riche qui ne paie pas d’impôts, qui va faire supporter les déficits, les investissements et les dépenses aux États, et qui va quant à lui engranger la plupart des recettes. Et les gens riches dont on parle, ce n’est pas les sportifs, c’est les grandes boites comme Airbnb ou Mac Donald, qui sont partenaires des Jeux Olympiques.
L : Finalement, on ne voit guère d’arguments pour se réjouir des JO2030, vous gâchez un peu la fête !
G.D : Oui, je suis désolé, mais je l’annonce au tout début du livre ! Faire une belle fête déficitaire, moi ça ne me pose aucun problème, par contre on est en démocratie et il faut qu’on soit tous d’accord pour se payer une belle fête. Or, on ne nous a jamais demandé notre avis, ça se fait dans un tout petit comité. Je ne suis pas d’accord en tant que citoyen qu’on privatise les bénéfices et qu’on collectivise les pertes. Et encore une fois, ça n’est pas contre les JO. Et oui je vais gâcher la fête parce que c’est comme les JO de Paris dont on n’a toujours pas eu le bilan, on ne sait pas combien ça a coûté et on ne le saura probablement jamais. La Cour des comptes nous a donné un aperçu : ça coûte cher, ça se chiffre en centaines de millions voir en milliards d’euros. Paris c’était magnifique, la cérémonie d’ouverture m’a bluffée, les épreuves étaient très belles, très bien, mais à quel prix ? Est-ce que nous sommes prêts collectivement en tant que société à payer ce prix ? Et le prix n’est pas seulement financier : le prix à payer en terme de limitation des libertés publiques, de militarisation de l’espace public, ce sont des questions importantes à se poser en tant que société. Or il n’y a pas eu de débat.
L : Pourquoi faut-il se procurer votre essai ?
G.D : Pour comprendre, pour avoir des infos. Moi j’ai fait le boulot de lire, j’ai fait le boulot de synthétiser et d’analyser. Je ne veux pas démonter les Jeux Olympiques, je dis juste que cette candidature, ça n’est pas sérieux. Donc regardez, regardez ce qui s’est dit, regardez la chronologie, regardez la façon dont ça s’est déroulé, regardez les promesses, elles ne tiennent pas une seule seconde et regardez les enjeux auxquels font face nos territoires de montagne. Comment ils vont changer, évoluer, c’est la troisième partie du livre. Ces JO posent cette question : « Êtes-vous sûrs que c’est dans cette direction que vous voulez faire évoluer nos territoires ? » Ces Jeux ne seront pas à même de nous mettre dans la bonne direction, au contraire, et d’ailleurs, maintenir le modèle économique en place et donc l’immobilité, c’est le programme de ces Jeux.
L : C‘est pas sérieux, c’est votre conclusion !
G.D : Oui, ces jeux ne sont pas sérieux mais ils ne prennent pas non plus la population au sérieux. C’est fou qu’aujourd’hui, il n’y ait toujours pas de document officiel. Sur le site de la région AURA par exemple, aucun document ne nous dit ce qui va se passer, à quels endroits, à quelles dates, ce qui va être construit, ce qu’on considère comme un investissement au service de l’intérêt général, combien ça va coûter, ce qui risque d’être déficitaire, les bénéfices de ces Jeux olympiques. »
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7 février 2025
Non seulement il n’est pas possible de savoir quoique ce soit sur l’avancée du projet, que ce soit de manières générale ou local (exemple du Fort des 3 têtes à Briançon, qui devrait devenir un village olympique mais dont le maire dit que c’est tout à fait normal de tenir les études de faisabilité et les coûts, secrets aux yeux des habitants) mais il est totalement impossible pour les opposants aux JOP d’organiser des rencontres d’information pour les populations. Presque partout, les espaces publiques comme des salles de réunion leur sont refusées.
Les opposants sont à priori qualifiés »d’activistes »
Oui là démocratie est réellement en danger.
C’est effectivement pas sérieux, mais c’est également inquiétant, très inquiétant.