La 23e édition des assises européennes de la transition énergétique s’est ouverte à Genève ce mardi 31 mai au matin. Trois ours d’échanges et de débats intenses en présence de multiples acteurs et personnalités œuvrant en faveur de la transition, ancrés sur certains territoires emblématiques comme le Grand Genève. Au menu de cette édition notamment, comment faire mieux avec « moins », ou comment faire rimer sobriété avec acceptabilité,
voire mieux avec gaîté. Tout un programme ! Tatiana Valovaya, directrice générale de l’ONU à Genève, à l’entrée des Assises ce 31 mai © Benjamin Joyeux
A partir de ce mardi 31 mai 2022 et pendant trois jours, les Assises européennes de la transition énergétique (AETE 2022) prennent place à Palexpo, lieu incontournable des grands évènements de Genève, à deux pas de l’aéroport international. Pour leur 23e édition, ses tr(assises, intitulées « Moins pour plus ! » accueillent près de 3500 congressistes autour d’une centaine d’évènements : débats, conférences, témoignages, ateliers ou encore visites de terrain. Sans oublier le Off des Assises (comme à Cannes), où du 10 mai au 5 juin tout un tas d’activités ont d’ores et déjà pris place sur l’ensemble du Grand Genève pour sensibiliser les habitant.e.s à la thématique de la transition.
Ces rencontres permettent de faire dialoguer des scientifiques, ingénieurs et experts avec des élu.e.s, des acteurs économiques et associatifs et des représentants des institutions internationales. Près de 70 personnalités nationales et internationales doivent prendre la parole au cours des 17 plénières qui rythment l’événement pour échanger sur la transition énergétique des territoires et le changement climatique.
C’est en 1999 qu’ont été lancées les premières AETE par la Communauté urbaine de Dunkerque en partenariat avec l’ADEME(2), rejointes par Bordeaux Métropole et le Grand Genève, devenant rapidement le rendez–vous annuel incontournable de tous les acteurs territoriaux européens mobilisés pour la transition énergétique. Un peu le pendant pour les territoires de ce que sont les COP pour les gouvernements.
Un territoire emblématique
Métropole de plus d’un million d’habitant.e.s, le Grand Genève est un territoire très spécifique, à cheval sur la frontière franco–suisse, incluant la capitale internationale siège européen des Nations Unies, à laquelle s’ajoutent 209 communes suisses (canton de Genève et district de Nyon) et françaises (départements de l’Ain et de la Haute–Savoie).
Des inégalités criantes
Le dynamisme économique de Genève et ses salaires très attractifs attirent quotidiennement environ 100 000 travailleurs étrangers, les fameux « frontaliers », posant ainsi à ce territoire de très grandes problématiques en termes d’inégalités, de mobilité, de logement, d’aménagement du territoire et de préservation des ressources. Les inégalités sont particulièrement criantes
sur ce bassin de vie, avec une ville comme Annemasse classée quatrième commune la plus inégalitaire de France en 2021, derrière Neuilly, Paris et Boulogne–Billancourt(1).
Le Grand Genève est ainsi totalement emblématique du principal enjeu de la transition écologique tel que décrit par un certain nombre d’intervenants en ce premier jour des Assises, celui de la démocratie et de la justice sociale.
« Moins de quoi pour plus de quoi ? »
De gauche à droite, Arnaud Leroy, Claudine Bichet, Antonio Hodgers et Patrice Vergriete, le 31 mai 2022
©Benjamin Joyeux
Lors de la conférence de presse d’ouverture, ce mardi matin, les personnalités présentes ne s’y trompent guère.
Que ce soit Antonio Hodgers, Président du Grand Genève, Patrice Vergriete, Maire de Dunkerque, Claudine Bichet, Vice Présidente de Bordeaux Métropole ou encore Arnaud Leroy, Président de l’ADEME (2), tous soulignent d’emblée en présentant ces Assises que la transition énergétique, aussi urgente soit–elle, ne pourra se faire sans l’ensemble des habitant.e.s. Ce qui est au cœur de la toute première plénière de la journée, intitulée « Moins de quoi pour plus de quoi ? ». Pour Patrice Vergriete notamment : « on ne réussira à faire de la ville durable que si on embarque entre 80 et 90% de la population ». Et pour convaincre tout le monde, il est inévitable de montrer « la qualité de vie de ce qui nous attend » pour que la sobriété nécessaire soit « associée à des gains ». Et le Maire de Dunkerque de citer l’exemple de sa ville dans laquelle les transports en commun sont gratuits depuis septembre 2018, ayant entraîné une hausse moyenne de fréquentation des bus dunkerquois de 85 %3. Mais pour prendre ce chemin de la transition, « il faut un véritable et immense débat démocratique », M. Vergriete en appelant la France à s’inspirer utilement de la Suisse.
Ce que souligne également Claudine Bichet, pour qui « la sobriété choisie vaut mieux que l’austérité subie », en présentant « un projet de société qui apporte des externalités positives, à commencer par la santé ». Car qui dit par exemple moins de transports en voitures individuelles, dit moins de pollution et donc de maladies respiratoires. Pour la Maire–adjointe de Bordeaux, il s’agit de «faire autrement » (création d’un nouveau label bordelais de la construction frugale), de « vivre autrement » (accompagner les habitant.e.s sur les mobilités en passant de 50% à un tiers de déplacements en voiture) et de « penser autrement » (les élus
et l’administration doivent apprendre à faire avec les gens, avec de nouveaux outils comme un laboratoire de la transition ou une coopérative carbone).
Pour Antonio Hodgers, la transition énergétique repose en fait sur trois grands chantiers : un chantier d’innovations technologiques, permettant des gains écologiques importants mais insuffisants face à l’ampleur des enjeux ; un chantier de révision complète de nos infrastructures issues de l’économie d’après–guerre (le rail plutôt que la voiture et l’avion, l’isolation des bâtiments, etc.) ; et enfin un chantier culturel, peut–être le plus grand défi, nécessitant d’inciter au changement des comportements individuels tout en respectant pleinement les libertés et la démocratie.
Bref, si le « moins » semble inévitable pour mettre en œuvre la transition nécessaire et viser la neutralité carbone pour 2050, celui–ci doit être choisi, accepté et même apprécié. Comme le dit Arnaud Leroy : « on boira peut–être un peu moins de vin mais on restera guilleret ».
Ce que résume ainsi Jean–François Caron, maire de Loos–en–Gohelle et fondateur de la Fabrique des Transitions, grand témoin durant ces trois jours d’assises : « les enjeux de transition sont d’abord des enjeux de transformation des imaginaires ».
(1) Lire https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/03/a-annemasse-l-argent-suisse-creuse-les-
inegalites_6082596_3224.html
(2) L’ADEME est l’Agence française De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie. Arnaud Leroy va quitter l’agence pour rejoindre le groupe Sphère, spécialisé dans les emballages ménagers, le 9 juin prochain. Lire https://www.actu-environnement.com/ae/news/arnaud-leroy-ademe-groupe-sphere-39396.php4
(3) Lire notamment https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/04/a-dunkerque-la-gratuite-du-transport-public-est-plebiscitee_6017944_3234.html
Mais pour que le « moins » puisse être synonyme de « mieux », encore faut–il sans doute revoir les règles du jeu, notamment en matière économique et financière. C’est ce que nous invite à faire Bruno Roche, fondateur de la plateforme de l’Economie de la Mutualité, lors du grand débat qui suit. Constatant « qu’aujourd’hui la comptabilité évalue le taux de profit sans prendre en compte les externalités », l’économiste invite à « faire du partage de la valeur un processus de création de valeur » en « intégrant le principe de réciprocité dans les modules de création de valeur ». Pour lui « le concept de sobriété n’a de sens que si on le mesure » car « quand on ne mesure pas, on gaspille ». C’est tout le principe de la finance responsable dont Genève est désormais une place incontournable.
Alors certes tous les voyants sont au rouge et les enjeux en matière de transition absolument urgents et colossaux si l’on veut lutter contre le changement climatique dans la droite ligne de l’accord de Paris. Mais en attendant, le monde change à toute vitesse, parfois en mieux, et les territoires ne cessent d’innover sur tous les plans, dessinant dès à présent le monde de demain, le fameux « monde d’après » que l’on tarde à voir émerger à l’échelle nationale. Ces Assises européennes de la transition énergétique ont au moins ce mérite : mettre en exergue durant trois jours ce monde qui se bouge pour répondre aux vrais défis du 21e siècle.
Benjamin Joyeux
(1) Lire https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/03/a-annemasse-l-argent-suisse-creuse-les-inégalites_6082596_3224.html
(2) L’ADEME est l’Agence française De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie. Arnaud Leroy va quitter l’agence pour rejoindre le groupe Sphère, spécialisé dans les emballages ménagers, le 9 juin prochain. Lire https://www.actu–environnement.com/ae/news/arnaud–leroy–ademe–groupe–sphere–39396.php4
(3) Lire notamment https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/04/a–dunkerque–la–gratuite–du–transport–public–est plébiscitée_6017944_3234.html