L’Escalade, une fête populaire toujours bien vivante à Genève

Ce dimanche à Genève était le point d’orgue des festivités de l’Escalade, fête traditionnelle annuelle qui célèbre la victoire de 1602 des Genevois sur l’armée savoyarde. 423 ans plus tard, la ville de Calvin célèbre avec toujours autant d’entrain son histoire et son unité. Une tradition pas toujours bien connue de ce côté-ci de la frontière mais bien vivante :

Genève, à proximité du Pont du Mont Blanc, le vendredi 5 décembre en début d’après-midi. Tout le quartier est bouclé et des policiers sont partout. Pour autant, l’ambiance n’est absolument pas oppressante et on perçoit une vague de cris de joie qui monte depuis la rue du Rhône. Soudain, un cortège de jeunes collégiens chamarrés de différentes nuances de blanc surgit du bout de la rue en chantant à tue-tête. Garçons et filles sont badigeonnés de mousse à raser des pieds à la tête et marchent d’un pas décidé, nullement gênés par le froid vif qui règne pourtant en ce début décembre.

« Que se passe-t-il ? » me permets-je de demander à un adolescent croisant mon regard. « C’est l’Escalade bien sûr ! » me répond-il très enthousiaste.

Défilé de collégiens dans Genève le 5 déc. 2025 ©Benjamin Joyeux

Bien évidement que c’est l’Escalade, quoi d’autre ! En bon Français, je ne pensais pas tout de suite à cette tradition typiquement genevoise qui revêt une importance vitale de ce côté-ci de la frontière. Pourtant une multitude de boutiques me donnaient des indices depuis plusieurs semaines, avec leur vitrine arborant ostensiblement des marmites en chocolat de différentes tailles. Mais quel rapport entre des marmites en chocolat et le fait d’escalader me direz-vous ?

L’histoire de L’Escalade, de la Mère Royaume et de sa marmite

Dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602, les troupes du Duc de Savoie Charles Emmanuel Ier[1]  tentent de prendre d’assaut la ville de Genève en escaladant ses remparts (le nom Escalade vient de là). Mais ce plan échoua totalement grâce à la résistance héroïque des Genevois qui, une fois alertés, réussirent à repousser les assaillants. Dix-huit d’entre eux périrent tout de même cette nuit-là.

On raconte notamment qu’une femme préparant une soupe de légumes l’aurait alors lancée depuis sa fenêtre sur la tête d’un soldat savoyard. Bien nommée la Dame ou encore la Mère Royaume (de son nom d’époux), son geste qui l’a rendue célèbre est entré dans la légende en donnant naissance à la fameuse tradition de la marmite en chocolat garnie de légumes en massepain. C’est ainsi qu’aujourd’hui, dès la mi-novembre, on voit fleurir dans les boutiques genevoises pléthore de marmites en chocolat, noir ou au lait, finement décorées des armoiries de la ville et emplies de légumes en massepain. Chaque famille genevoise se doit d’acheter au moins une marmite et le rituel consiste à demander au plus jeune enfant de la famille de casser celle-ci d’un coup de poing en déclamant : « Ainsi périssent les ennemis de la République ! ».

 

Marmites en chocolat dans la devanture d’une chocolaterie genevoise ©Benjamin Joyeux

La fête de l’Escalade commémore ainsi chaque année la victoire de 1602 et la liberté qu’elle symbolise jusqu’à aujourd’hui pour les Genevois, célébrant au passage leurs traditions culinaires et culturelles.

Une tradition bien vivante et inclusive

De retour à Genève en ce dimanche 12 décembre, la foule se presse en ce milieu d’après-midi dans les quartiers de la vieille ville, entre la Cathédrale protestante St Pierre, la place du Bourg-de-Four, la promenade de la Treille et le Parc des Bastions. La Compagnie de 1602[2], en charge des festivités, fait défiler en costume d’époque des dizaines de participantes et participants, à pied ou à cheval, au son des fifres[3] et des tambours, jouant notamment le Cé qu’è lainô, hymne officiel de la République et canton de Genève[4]. Des coups de canon viennent ponctuellement faire sursauter les spectateurs, dans une ville habituellement peu réputée pour son bruit.

Canon genevois promenade de la Treille le 12 déc. 2025 ©Benjamin Joyeux

Cavaliers en vieille ville le 12 déc. 2025 ©Benjamin Joyeux

De petites cahutes dispersées en vieille ville distribuent gratuitement soupes de légumes et vins chauds, particulièrement bienvenus pour réchauffer la foule tandis que nombre d’ateliers et de stands permettent au public de redécouvrir l’époque de l’Escalade. Ainsi de la Maison Tavel qui organise par exemple un parcours découverte destiné aux enfants pour l’occasion[5]. Ces derniers font d’ailleurs partie intégrante des festivités, paradant et chantant en petits costumes d’époque de maisons en maisons comme d’autres le font durant Halloween, sans pour autant réclamer des bonbons (qu’ils trouveront dans leur marmite en chocolat).

Parade place du Bourg-de-Four le 12 déc. 2025 ©Benjamin Joyeux

Il est également possible d’explorer les passages secrets de la Ville, comme l’étroit passage du Monetier[6], fermés le reste de l’année. Les sportifs ne sont pas en reste puisque le weekend précédent celui des festivités (cette année les 5 et 6 décembre), la Course de l’Escalade, d’une longueur d’un peu plus de 7km, prend place en vieille ville depuis 1978, rassemblant des dizaines de milliers de participantes et participants, de tous âges et nationalités. Cette année, Jimmy Gressier[7], l’athlète français champion du monde du 10 000 m, a remporté la course, de même que la Kényane Winnie Jeptarus pour les dames[8].

Le point d’orgue de l’Escalade reste le Grand Cortège historique qui rassemble tous les personnages d’époque, cavaliers, soldats, musiciens et artisans en un seul défilé, qui traverse à la nuit tombée le Parc des Bastions en ce dimanche 12 décembre, tandis que petits et grands assistent au spectacle tandis que d’autres préfèrent profiter de la patinoire éphémère.

Ainsi, au-delà de la reconstitution historique, l’Escalade constitue une véritable fête populaire genevoise, aux accents carnavalesques, offrant un moment chaleureux de rassemblement et de partage pour petits et grands ouvert à tous, et notamment à ces Français descendants des troupes du Duc de Savoie. Pas rancuniers ces Genevois ! Ces festivités semblent célébrer l’histoire et les traditions, sans accent nostalgique ou propos revanchards afin de favoriser un agenda réactionnaire et d’extrême droite, comme le font certains à la mode du Puy du Fou ou Pierre-Edouard Stérin[9] de ce côté-ci de la frontière. Comme nous le montre l’Escalade, tradition et modernité peuvent avancer de concert, surtout lorsqu’elles n’excluent personne.

Comme l’écrivait Maurice Druon : « Une tradition, ce n’est jamais qu’un progrès qui a réussi. »

Benjamin Joyeux

[1] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Emmanuel_Ier

[2] Voir https://www.1602.ch/

[3] Petite flûte traversière généralement en bois, lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Fifre

[4] Voir https://www.youtube.com/watch?v=yfIo2jKwj5c

[5] Voir https://www.mahmah.ch/propos/maison-tavel

[6] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Passage_de_Monetier

[7] Lire https://fr.wikipedia.org/wiki/Jimmy_Gressier

[8] Lire https://www.letemps.ch/sport/jimmy-gressier-et-winnie-jeptarus-remportent-la-course-de-l-escalade

[9] Lire https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/16/une-dizaine-de-communes-se-retirent-du-label-les-plus-belles-fetes-de-france-apres-la-revelation-du-financement-par-pierre-edouard-sterin_6630375_823448.html A Rochexpo le 17 janvier prochain, un « banquet savoyard » doit d’ailleurs être organisé par Le Canon français, société financée par Stérin.

Auteur: librinfo74

Partager cet article :

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.